Une tasse de café
Bon ! Il vient, ce café ? Ce n’est pas que je m’ennuie, mais… si, en fait. Il est toujours en train de lire le journal. Rien ne semble pouvoir le perturber, aujourd’hui. Sauf ma main quand elle a effleuré la sienne. Je n’aurais jamais pu penser qu’il puisse devenir aussi rouge. Pour un futur héros, je le trouve bien sensible. Peut-être qu’il essaye de se cacher derrière les feuilles de papier. Ma pauvre, je crois que tu es complètement en train de craquer pour lui ! A la fois, je le connais depuis si longtemps… Je l’ai accompagné dans presque tous ses voyages un peu partout dans le monde. Quoiqu’il n’y a pas besoin de beaucoup bouger, aujourd’hui… Il est plus facile de tout gérer avec les ordinateurs et les téléphones. Je trouve ça dommage. Bientôt, nous n’irons plus en Norvège près du grand frêne, nous ne pourrons plus faire de croisière sur le Nil…
Voilà enfin ce fichu café ! Il dépose son journal et me lance un regard inquiet.
« Quelqu’un a pénétré par effractions chez les Hespérides… »
Oh mince ! C’est mauvais signe. Les fruits que l’on trouve là-bas sont dangereux. Au moins autant que les pommes d’Idun. Si quelqu’un est parvenu à s’introduire dans ce lieu des plus protégés, je crains que ce ne soit pas pour faire le bien.
« Ils se chargent déjà de l’affaire… De toute façon, ils ne me confient pas ce genre de responsabilités. »
Je n’aime pas entendre ce genre de nouvelles. Ca donne mauvais goût au café. De quoi gâcher une bonne journée. Le soleil aura bientôt fini de se coucher. Il commence à faire froid. J’aurais dû prendre un manteau en plus de ma robe. Maintenant, je vais geler sur place. Autant boire ma boisson tant qu’elle est chaude.
Je remarque qu’il est en train de fixer ma main. Hum… Il n’est pas aussi inébranlable qu’on le dit, finalement. Les légendes parlent d’un être fort et courageux… Il est brave, c’est indéniable. Il est musclé, aussi, mais tout cela a l’air incomplet… Je ne sais pas trop pourquoi, mais je trouve que les prophéties exagéraient, ce qui est rare. Ce n’est pas si grave, somme toute. Ce n’est pas grave tout court. Il est mon meilleur ami depuis que je suis toute petite, et je n’ai rien à lui reprocher de vraiment important. Brrr… Il fait de plus en plus froid. Je frissonne.
Maintenant que le soleil est passé derrière l’horizon, les seules lumières sont celles des réverbères. Je trouve un charme à cette forme d’éclairage bien que certains le trouvent trop artificiel. Nouvelle gorgée de café. J’irai bien faire un tour près du fleuve, ce soir. Evidement, la personne qui habite de l’autre côté a mauvaise réputation, mais je sais ce que le mot « réputation » implique.
Il a déjà fini sa tasse, mais il ne semble pas pressé de partir. Il regarde le trottoir d’en face avec un air songeur. Je ne sais pas ce qu’il compte y voir, mais il semble particulièrement attentif. Peut-être est-il tout simplement en train de penser. Je ne sais pas trop. Je bois une dernière gorgée. Je demande l’addition. Mes paroles le réveillent.
« Je paye. » dit-il d’un ton sans réplique.
« Non ! C’est moi m’en occupe ! » réponds-je malgré tout.
« Hors de question ! Que dirait-on si je laissais une demoiselle régler les consommations ? »
Je rougis un peu. Demoiselle… Venant de lui, c’est un compliment. Par contre, il ne fera pas abandonner de cette manière.
« Je m’en fiche ! Laisse-moi faire ! »
Le garçon arrive avec une petite assiette sur laquelle est posée la note.
« Empêchez-la ! » crie-t-il au serveur.
Notre dispute est un peu puérile, d’un œil extérieur, mais je m’amuse. Finalement, avec l’aide du garçon, il parvient à m’empêcher de débourser. Bon gré, mal gré, j’abandonne. Mais ce n’est que partie remise ! Il verra…
Nous nous mettons à marcher un peu au hasard des rues dans la nuit déjà fraiche. J’aimerais bien lui prendre la main, mais je n’ose pas trop. Je regarde ma montre. Ah, oui. Il est tard, en fait. J’oubliais qu’en été, le soleil se couche à pas d’heure. Je vais le raccompagner. Demain, nous devrons prendre le train. Autant dormir un peu.
« Je te ramène chez toi ? » me demande-t-il.
Il m’a devancé, le fourbe !
« Ah non ! Tu as gagné pour le café, mais là, c’est moi qui te ramène. »
Il soupire, puis réfléchi.
« De toute manière, on doit aller par là. » indique-t-il en pointant du doigt une avenue en face.
« Mhh… Ok. »
Je reste méfiante. Il est capable de faire un détour pour faire en sorte que ce soit lui qui me ramène. Il va voir.
Il n’y a quasiment plus personne dehors. C’est tranquille. Je me sens bien, à marcher à côté de lui. J’aimerais que ce moment ne s’arrête jamais… Nous traversons à un carrefour. Je m’arrête pour regarder le parc un peu plus loin. Je repense à tous les bons moments passés là-bas. Petite bouffé de nostalgie… J’inspire un grand coup. Je ne vais pas le faire attendre trop longtemps au beau milieu de la chaussée, non plus.
Je tourne la tête et aperçois la voiture qui fonce sans bruits sur lui. Je tends mon bras. Cela ne servira à rien, mais c’est un reflexe. Je hurle. Il regarde derrière lui. Trop tard ! Le véhicule le percute de plein fouet. Il est projeté vers la zone de travaux de l’autre côté de la rue. L’automobile ne ralentit pas. Je cours vers lui. Tant pis pour le chauffard. Je dois m’occuper de mon ami d’abords !
Oh non ! Il… il a été transpercé. Je tombe à genoux. Le choc l’a envoyé sur une barre de fer qui dépasse à présent de sa poitrine. Je prends son pouls. Rien. Non ! NON ! Ce n’est pas possible ! Il ne peut pas mourir comme ça ! Il ne peut pas ! Je me mets à pleurer. Je prends ma tête entre mes mains. Je ne sais pas quoi faire. Je l’ai perdu…
* * *
La voiture pénètre dans une grande propriété. Le portail automatique laisse passer le véhicule, puis se referme derrière. Le chauffeur sort, puis suit une allée de gravillons qui contourne une grande demeure. Arrivé derrière, l’homme se trouve dans un verger. Quelques pommes sont déjà tombées par terre. Il s’approche d’un arbre plus grand que les autres, au centre du jardin.
« Alors ? » demande une voix sifflante provenant du végétal.
« Il est à deux doigt de la mort. » répond l’homme.
« Parfait ! »
Un serpent descend du pommier en s’enroulant autour du tronc.
« A présent, la fille va aller voir le Méphistophélès à la petite semaine pour lui proposer un marché. Elle va y laisser son âme… » explique le reptile.
« Quelle importance ? Nous aurions plutôt eu besoin de celle du garçon. »
L’ophidien se met à siffler de rage.
« Sinistre idiot ! Ce n’est pas de lui que parle la prophétie ! Bien que tout le monde le croie, ce n’est qu’un mensonge ! »
« Mais alors… ce serait… »
« Exactement ! »
Le serpent glisse jusqu’au sol, puis se redresse.
« A présent, puisque l’enfant du Tartare a récupéré les pommes d’or, le soutien de Nidhögg nous est tout acquis… Je vais pouvoir enfin faire chuter ce monde. »
L’homme tremble. Le reptile reprend.
« On ne se croit pas débarrassé du Léviathan impunément. »
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