Alya soupira en fixant le plafond blanc. Son casque braillait un titre de métal symphonique dont elle raffolait. Le volume sonore était exagéré et lui meutrissait les oreilles. Mais ainsi, elle assommait les pensées avant qu'elles ne puissent se former dans son esprit troublé.

La liste de lecture s'acheva et les quelques secondes de blanc lui firent jeter le casque à l'autre bout du lit. Elle n'arrivait plus à se changer les idées.

Après le choc, le déni. Mais pouvait-on en vouloir à une jeune femme de 23 ans qui venait à peine d'entamer la moitié de ses études ? Et qui habitait encore chez ses parents ?

Alya était une fille réservée, introvertie, qui aimait vivre dans le monde virtuel de ses jeux vidéo. Elle appréciait passer des heures enfermée dans sa chambre, sur son lit ou dans un fauteuil créé pour les joueurs professionnels, un lourd casque-micro sur les oreilles, à chatter avec de parfaits inconnus ou des amis qu'elle ne rencontrerait sans doute jamais en chair et en os. Mais peu lui importait, elle incarnait à elle seule l'ère digitale.

Son caractère discret et solitaire n'inquiétait pas ses parents. Elle était ainsi depuis l'enfance : plus plongée dans les livres que les pieds dans la boue. Ses notes brillaient par leur constance et leur excellence, ses professeurs nourrissaient pour elle de grands espoirs. Gentille et équilibrée, elle n'avait jamais fait de vagues. Etonnement mature, elle se passionnait même pour la spiritualité et la philosophie.

Enfant unique, elle était le centre d'attention de ses deux parents. Protégée de tous les dangers, les récents évènements la faisaient se sentir plus que jamais décontenancée par la sauvagerie qui venait s'exprimer même en bas de sa rue.

La petite famille tranquille habitait dans le 1er arrondissement de Lyon, dans un coin calme en bas des pentes de la Croix-Rousse. Si le quartier gagnait en animation au fil des années, cela restait un secteur réservé à des ménages aisés.

Les soirées animées, les fêtes entre amis, les quelques chants nocturnes des soulards cédèrent leur place aux cris, aux bruits sourds et suspects. Depuis cette nuit, elle entendait régulièrement des hurlements, des rires empreints de folie et même des coups de feu.

Ces sons peu rassurants venaient autant du dehors que du dedans. Les murs, même épais, peinaient à masquer les turpitudes anormales des voisins. Alya se refusait à imaginer ce qui pouvait se tramer autour d'elle, à seulement quelques mètres.

Elle acceptait l'idée qu'elle ne sortirait plus pour se ravitailler. Elle devait devenir enfin autonome.

Elle se sentait chanceuse dans son malheur : le frigo et les armoires débordaient des produits qu'elle préférait. Ses parents ne manquaient jamais de la gâter avant de partir pour un long week-end. Même si elle était trop flemmarde pour cuisiner, Alya estimait qu'elle disposait d'une semaine de vivres. Plus en se rationnant.

L'idée de mettre le pied dehors, même dans le couloir, suffisait à provoquer des tremblements dans tout son corps. La jeune femme ne voulait pas envisager une autre alternative que d'attendre le retour de ses parents. Elle éprouvait une indéfectible confiance dans leur capacité à gérer tous les aléas de la vie.

Alya tiendrait donc le plus longtemps possible dans un relatif confort. Trop naïve peut-être, elle était convaincue que l'armée allait venir pacifier la zone. S'il s'agissait d'un virus ou d'un gaz qui provoquait des comportements aussi atroces, les autorités trouveraient une solution d'ici une semaine ou deux.

Pétrie de ces hypothèses rassurantes, elle finit par s'endormir, sans savoir encore qu'aucun mur ni aucune porte ne pourraient la protéger de ce monde en perdition.