Chapitre 18 - Il est partout
Il ouvrit les yeux sur un vieux plafond sale, d’une teinte blanc cassé.
Sa poitrine lui faisait mal et il se sentait incapable du moindre mouvement. Son cerveau était en surcharge. Les pensées, derrière des murs solides de sa conscience, avaient érigées leur protocole de sureté. Il était allongé à même le sol, sur la moquette de son enfance, au milieu des détritus.
Inspirant violemment, il se redressa avec peine, jusqu’à se retrouver assis, la tête entre les genoux, les mains par terre. Son esprit lutta contre un étourdissement violent. La sensation d’un pieu pénétra l’arrière de son crâne et ressortit entre ses sourcils.
Cela faisait des années qu’il n’avait pas eu une gueule de bois aussi violente.
Il se remit debout en chancelant, s’agrippant à sa commode et réajusta les dernières bribes de souvenirs.
Sa tête se tourna vers l’ordinateur et plus précisément, l’emplacement vide où avait été auparavant branchée la disquette.
« Bordel ! » jura-t-il.
Il s’approcha de la tour informatique, balaya quelques emballages vides à sa base, bouscula la machine de droite à gauche comme pour vérifier que l’adaptateur n’était pas simplement tombé.
« T’es stupide ou quoi ? Tu t’imagines que ce genre de machin peut vraiment se déconnecter tout seul et aller se taper une balade ? »
De colère, il envoya voler le dessus du bureau. Les sourcils froncés, il vint se positionner derrière les rideaux de la fenêtre et scruta la rue. Deux enfants faisaient du skate-board autour de plots de couleur. La disquette n’avait pas pu disparaître comme ça… Il écarta d’emblée la possibilité d'hallucinations, alors il ne lui restait qu’une seule hypothèse. Quelqu'un lui avait volé la disquette !
— Bordel, Léo ! s'exclama t-il.
De la buée apparut sur la vitre, aux niveau de ses narines. Fulminant, il franchit la porte et descendit les marches quatre à quatre.
Alors qu’il posait la main sur la poignée de la porte, sa mère apparut dans l’encadrement du salon. Défaite, un pan de sa robe de chambre tombant de son épaule jusqu’au coude, elle affichait une expression glaciale. Elle resta à le toiser en silence de longues secondes, au point qu’il en ressente un certain malaise. Il s’apprêtait à ouvrir la bouche quand elle le devança :
— Il faut que ça cesse, Mickaël.
Il afficha une expression interloquée et haussa une épaule. Une nouvelle fois, elle lui coupa l’herbe sous le pied quand il voulut parler :
— Les choses doivent retourner dans leur ordre originel.
Un mouvement de recul instinctif le fit s’éloigner alors qu’il dévisageait sa mère comme une étrangère.
Son cœur cogna plus fort dans sa poitrine. Il ouvrit la porte à la volée et détala.
Perturbé par ce bref échange, il s’engagea dans la rue, la remontant en direction du premier arrêt de bus. La ligne cinq le conduirait directement à l’université. Il était persuadé de le trouver là bas, où il avait tout son matos de geek. L'idée de s'être fait avoir et l'absence de la disquette était similaire à un état de manque. Une rage terrible le poussait à la récupérer... à tout prix.
Il ne remarqua pas immédiatement que les rires des enfants s’étaient tus. Pourtant, inconsciemment, il sentait qu'un changement imperceptible s'était produit. Le lourd véhicule se stoppa devant lui, bloquant son champ de vision. Il monta, composta son ticket et rejoignit un siège libre. Quand le bus démarra dans un vrombissement poussif, Mike aperçut deux enfants à travers les vitres. Ils avaient abandonné leur skate-board, qui roulait à quelques mètres d’eux. Ils se tenaient immobiles, à le dévisager avec un regard sévère. Ils le suivirent des yeux jusqu’à ce que le le bus tourne à l’angle de l’avenue principale. Mike en eut les mains glacées.
Aux abords de Baltimore avenue, avant même d'arriver sur le campus, il sut qu’il s’était passé quelque chose. A cette période de l’année, jamais il n’y avait autant de circulation. Aujourd'hui, les bouchons démarraient près d’un kilomètre avant l’entrée sur le parc. Scrutant l’extérieur avec appréhension, il dut attendre d’avoir dépassé le jardin botanique pour comprendre. Des camions de sapeurs-pompiers étaient stationnés autour des résidences, bloquant plusieurs accès. Il était clair qu’il arrivait après la bataille, à en juger par les tâches noircies des uniformes des sauveteurs. La plupart s'affairaient à enrouler la pesante lance à incendie, dont ruisselaient encore quelques gouttes.
D'instinct, Mike s’était levé et se tenait à la barre, prêt à bondir hors du véhicule dès qu’il le pourrait.
Visiblement, une partie des étudiants avait été évacuée, ce qui expliquait les voitures entassées à l’extérieur. Un chaos silencieux régnait sur les lieux. Il rejoignit les services d’urgence et interpela un jeune pompier qui rangeait des sacs noirs dans des soutes :
— Vous pouvez me dire ce qui s’est passé ?
— Un incendie a éclaté la nuit dernière, on a rapidement été alerté heureusement. C’était le bâtiment derrière Pocomoke, là-bas… désigna-t-il du doigt.
Mike reconnut immédiatement l'édifice qui abritait la chambre qu'il partageait avec Léo. Il arrondit les yeux et ajouta, tremblant :
— Il y a… des blessés ?
— Un seul. Il a été évacué à l’Hôpital adventiste de Washington en début de matinée. Ça venait de sa chambre. Tout a brûlé. On a mis presque une heure à maîtriser les flammes…
Mike fut pris d'un horrible pressentiment. Il manqua d’air.
Le pompier le soutint alors qu'il s'écroulait :
— Monsieur, ça va ?
— Est ce que... quel est son nom ? Il est blond ? Sa chambre, c'était la 58B ? articula t-il, le souffle court.
Le pompier réfléchit :
— 58...? Oui, oui, je crois bien que c'est ça. Vous le connaissiez ? Jordan ! cria t-il à un de ses collègues. Jordan, viens m'aider !
Mike se débattit et tomba sur le sol. Il trébucha et se releva.
— Attendez, monsieur ! Jordan !
Mike continua à s'éloigner, horrifié.
Fuir la réalité.
C'est pas possible. Et dire qu'il voulait lui faire la peau quelques minutes auparavant !
Il se mit à courir sans savoir où ses pas le conduisaient. Il avait juste besoin de s’éloigner, sinon il allait s'effondrer. Les questions tournaient comme un ouragan : Est-ce que Léo allait bien ? Etait-ce vraiment lui qui avait pris la disquette ? Etait-ce à cause d’elle que l’incendie s’était déclaré ? L'idée même de rejoindre l'hopital était au dessus de ses forces.
Fuir.
Il ne s’arrêta qu’une fois arrivé au ponton qui conduisait au lac Artemesia. C’était un endroit qu’il avait beaucoup apprécié par le passé, le favori d'Alix. Il n'y était pas revenu, depuis sa mort. Les rives sauvages n’étaient plus que l’écho douloureux de leurs promenades et avaient perdu, avec sa disparition, tout caractère de splendeur.
Ses talons résonnèrent sur le bois du chemin qui sinuait au-dessus de l’eau. Celui-ci conduisait à une esplanade, surmontée d’un kiosque surplombant le lac. On y accédait par une volée d’une dizaine de marches. Mike inspira profondément, sentant sur ses épaules le poids d’une intrigue dont il ne parvenait plus à voir l’issue. Il grimpa l’escalier et, à l’abri sous le toit hexagonal, il posa ses paumes sur la rambarde et fixa l’eau qui scintillait sous les éclats d'un timide soleil.
— L'eau bruissante et miroitante… dit une voix dans son dos, avec un jeu théâtral dans l’intonation.
Un rire s’éleva, glaçant le sang de l'étudiant.
Il reconnut immédiatement les mots de l'étrange poème.
Etonnament, ce n'est pas de la peur qui l'envahit. Il se crispa et serra les dents. Le vide qu'il ressentait la seconde précédente s'emplit brusquement d'une déferlante de colère. Le corps tendu comme une corde de violon prête à se rompre, il ravala avec peine sa rage. Cette lutte intérieure cogna contre son crâne, à l'en rendre fou.
— Qu’est… ce… que… vous… articula-t-il, la mâchoire crispée.
Puis après avoir pris une profonde inspiration :
« … me voulez ?! hurla-t-il en faisant volte-face.
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