Monstres
Je me précipitai vers la foule, j'avais entendu son cri, j'en étais certaine. Plus je m'approchais en courant, plus j'entendais ces gens hurler : « Démolis-la ! Allez, frappe-la ! Plus fort, continue ! » Mes jambes devenaient molles, la peur me saisissait au ventre, remontait jusqu'à mon coeur et pourtant, je foncais tout droit. Arrivée devant cette masse inhumaine, je me frayai un chemin à la force de mes bras. J'écartais, je poussais, je criais à ces démons abrutis devant leurs téléphones qu'ils se tassent hors de mon chemin ! Certains se retournaient, indignés d'être interrompus durant leur tournage ; ils me bousculaient et m'insultaient en retour, mais je ne les entendais pas. La seule chose qui parvenait à mes oreilles étaient les hurlements enthousiastes de la foule.
Puis, ce slogan bien connu de la rue ; on réclamait le sang. En choeur, comme un seul monstre attendant un sacrifice, ces jeunes rassemblés ne cessaient de le répéter, invoquant la violence. Lorsque je brisais le dernier rempart humain, lorsque j'arrivais enfin au centre de leur cercle, mon coeur cessa de battre. Laurence, ma soeur, était allongée sur l'asphalte grise et froide, le visage trempé dans son propre sang. Ce même visage avec qui j'avais grandi ne ressemblait plus qu'à un gros tas de boursouflures mauves, rouges et noires. Parmi ses hématomes, les grands yeux de Laurence autrefois bruns dorés étaient maintenant devenus deux minuscules points noirs qu'elle essayait vainement de protéger de ses bras meurtris.
Par dessus ma soeur, se tenait une autre fille. Ses longs cheveux blonds étaient rattachés en un chignon impeccable. Son visage ovale aux traits parfaits était habillé d'une peau blanche, sans défauts, sans doute tous masqués par une épaisse couche de maquillage ; maintenant maculée de gouttes de sang. Ses yeux bleus, assassins, fixaient son labeur en dessous d'elle. On aurait dit l'une de ces poupées possédées que l'on voit si souvent dans les films d'horreur et elle continuait de frapper et frapper encore, encouragée par ses pairs.
Ma raison cessa de fonctionner, le fait que je n'étais plus protégée par l'enceinte de l'école ne m'effleura même pas l'esprit, pas plus que les conséquences qu'auraient mes actes plus tard. Toute peur quitta mon corps et fit place à une rage indescriptible, une haine dont je ne me serais jamais cru capable. Elle envahit chacun de mes muscles et de mes nerfs à un tel point, que je ne pu tenir en place plus longtemps. Je fondis sur la poupée démoniaque. On dit souvent que les filles sont plus violentes que les garçons, qu'elles cherchent à marquer leurs adversaires. Cette fille avait marqué ma soeur, je la marquerais aussi.
Cela se passa vite, cela ne dura probablement pas plus d'une minute, mais pour elle, cela dû lui sembler ô combien plus long. Dans le chaos de l'évènement, nous nous retrouvâmes au sol et moi par dessus elle, comme elle l'était avec Laurence un peu plus tôt. Je n'y allais pas seulement avec mes poings, mais avec la pointe de mes coudes. Je ne me souciais plus des cris, horrifiés cette fois, du public. Ils voulaient un spectacle, ils en auraient un comme ils n'en avaient jamais eu.
La fille hurla d'abord, puis ses cris se changèrent en pleurs et en gémissements. Ses efforts pour se débattre étaient comme de l'huile sur le feu de ma rage. Je n'avais pas manqué de tirer sur ses boucles d'oreilles non plus. Ses lobes n'étaient plus que deux bouts de chair en charpie. Son maquillage déjà hideux avait coulé sous ses larmes et se mélangeait maintenant à son sang. Avec son rouge-à-lèvres que j'avais étalé autour de sa bouche à coup de poings, la poupée ressemblait maintenant à un clown défiguré. J'ignore combien de temps j'aurais continué si deux bras ne m'avaient pas agrippée fermement. À mon tour d'être plaquée au sol. On me tordait les bras dans le dos, je hurlais de rage.
En tournant ma tête, je remarquais enfin les uniformes bleus qui dispersaient la foule et l'éclat caractéristiques des voitures de police et des ambulances un peu plus loin. Ils étaient en retard. Ils avaient manquer le carnage. On me relevait sur mes jambes tout aussi brusquement que l'on m'avait écrasée au sol. Je suivais le rythme du mieux que je le pouvais tandis que le policier me récitait mes droits. Je tentais de jeter un coup d'oeil derrière moi. Prenaient-ils soin de ma soeur, au moins ? Les jeunes se dispersaient tout en me fixant de leurs regards épouvantés. Je les haïssait tous, cette bande d'hypocrites ! N'étais-ce pas ce qu'ils voulaient, ce qui était arrivé ? Ne désiraient-ils pas la violence ? On me fit entrer de force à l'arrière d'une voiture noire et blanche. Lorsque la portière fut refermée derrière moi et que je fus coupée du monde, le calme revint, mais... tout semblait confus. Je fermai les yeux et essayai de me rappeler ce qui venait de se passer. Qu'avais-je fais ?
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