Quand je rentre au chalet en début de soirée, je ne m’attends pas à retrouver Evie. Pourtant elle est là, assise sur la marche de la porte, transie de froid. Pourquoi n’a-t-elle pas essayé de me joindre par téléphone avant ? Comme toujours, Evie est imprévisible !

Elle se lève quand elle m’aperçoit, un pâle sourire s’affiche sur sa figure. Evie semble incertaine. Elle me paraît si petite et menue ! Je lui rends son sourire, heureux de le retrouver. Elle étire ses membres raidis par l’immobilité et la température proche de zéro, puis se niche dans mes bras, tout contre moi. Elle m’a tellement manqué !

Je fourre mon visage dans ses mèches de cheveux qui dépassent de son bonnet en respirant profondément son odeur. Elle sent si bon ! J’ai envie de la railler un peu, de lui demander s’il elle vient pour l’échauffement de son fessier. Mais je ravale ma blague déplacée, je ne souhaite pas l’indisposer. Je préfère la serrer dans mes bras, lui montrer combien j’ai été perdu durant sa disparition. Elle se love contre moi, lève son joli menton, ses lèvres trouvent les miennes. Je l’enlace doucement, son désir irradie comme un halo irrésistible, je l’embrasse avec passion.

J’ouvre la porte de chez moi d’une main, tiens fermement la taille d’Evie de l’autre pour l’attirer dans mon antre. Elle se laisse volontiers conduire. Nous nous arrêtons sur le seuil. Je lis exactement ce que j’espère voir en elle. L’émerveillement. La formidable étincelle qui s’allume lorsque nos regards et nos bouches s’accrochent. Je m’oublie dans le tourbillon voluptueux de nos corps si proches, l’entraîne sans y songer vers la peau d’ours étendue à terre. Je prends un instant pour remettre du bois dans le poêle, dont les braises sont mourantes. Quelques coups de soufflet raniment un feu joyeux dans la pièce. Je m’empare de nouveau de la bouche d’Evie, la serre contre moi, puis l’écarte à regret pour défaire son manteau et le mien. Elle se laisse faire, indolente. La fraicheur de ses mains tempère mon envie de la dévêtir davantage, je lui prépare une tisane pour la ragaillardir.

— As-tu mangé, Evie ?

— Oui, m’affirme-t-elle.

Je l’invite à s’asseoir, puis rapproche mon fauteuil si près du sien qu’ils se chevauchent presque.

Ses pommettes reprennent des couleurs tandis que je frotte ses membres afin de la réchauffer. Elle est si petite, si menue ! Cela ne cesse de m’étonner de constater à quel point elle est à la fois fragile et terriblement forte.

Dès qu’elle a avalé la moitié de la tasse de tisane que je l’oblige à boire, je caresse sa joue puis j’enfouis mon nez dans ses cheveux, pour me repaitre de son odeur. Je ne supporte plus d’être aussi loin d’elle, je me lève pour la tirer contre moi. Elle s’abandonne, ferme les yeux lorsque je déplace ma bouche vorace sur sa chair tendre, pour goûter ses lèvres ourlées, délicatement pulpeuses.

Elle m’enlace et répond passionnément à mon baiser.

Ma queue se raidit instinctivement lorsque ses hanches se plaquent contre le haut de mes cuisses.

— J’ai imaginé que le pire était arrivé, je lui murmure en un souffle, m’interrompant un instant pour la détailler. Son expression de bien-être se mue en une moue contrite. Me redoute-t-elle ? Craint-elle ma vindicte pour sa mise en danger malgré la limite que je lui ai imposée ? Je jurerais qu’une ombre d’angoisse traverse son regard, avant de s’enfiévrer d’un désir réprimé.

— J’ai agi comme j’ai senti que je devais le faire, s’insurge Evie, sûre de son bon droit.

Ma queue se durcit encore, sa petite rébellion éveille en moi un instinct possessif et protecteur.

— Pour l’heure, je n’ai pas envie de te punir, mon ange, je lui glisse insidieusement.

Est-ce le soulagement qui traverse ses prunelles sombres ? Il me semble pourtant détecter une pointe de regret dans l’immensité de son regard.

— Tant mieux, lâche-t-elle, presque à contrecœur.

— J’ai cru t’avoir perdu, je lui avoue en l’observant attentivement.

Je lis sa surprise d’entendre cet aveu de ma faiblesse. Je projette de mettre mon âme à nu devant elle, de lui révéler ce que je ressens. Elle a pris tant d’importance dans ma vie que je dois le lui exprimer, quand bien même cela chamboulera mon existence, quelle que soit sa réponse.

— Evie, je poursuis doucement. J’ai des sentiments pour toi. Je n’avais pas envisagé cela. Mais lorsque nous ignorions tous où tu te trouvais, je suis devenu fou d’inquiétude pour toi. J’ai imaginé le pire…

Des larmes affluent aux coins de ses paupières, son regard bouleversé m’apprend l’effet que lui fait ma déclaration. J’imagine qu’elle va se jeter dans mes bras, mais elle n’en fait rien.

— Est-ce que ça signifie quelque chose pour toi ? m’interroge-t-elle.

Son souffle en suspend me laisse deviner qu’elle appréhende ma réponse.

— Oui, je la rassure. Cela veut dire que je désire m’engager avec toi dans une relation qui est plus qu’un simple flirt.

— Qu’attends-tu de moi, au juste, me demande-t-elle, comme un écho à la question que je lui ai posé il y a une semaine.

Je prends soudain conscience de la rapidité avec laquelle Evie s’est mise à compter pour moi. Elle remplit un espace vide dont je n’avais pas connaissance, s’ajustant parfaitement à moi.

Mon âme sœur…

Sa présence douce agit comme un baume sur mon cœur meurtri. Son infinie tolérance pour la diversité des êtres humains, son caractère intrépide et indomptable, sa passion des sports extrêmes et les réactions de son corps au contact du mien constituent une alchimie dont je suis tombé éperdument amoureux.

— Rien de plus que ce que tu m’offres déjà. Pour le moment, je chuchote.

— Tu as toujours envie de me punir, souffle-t-elle, craintive, en totale contradiction avec la flamme de désir qui illumine ses prunelles.

Sa bouche arrondie en un arc interrogateur ressemble à un cœur rouge cerise. Un frisson me parcourt l’échine, je réprime mon besoin de déchirer ses fringues et de l’empaler sur ma queue, sans préliminaires.

— Mes sentiments pour toi ne peuvent pas altérer ce que je suis, je grogne, conscient de jouer notre avenir sur sa réponse.

Elle se tait, pensive, le regard baissé dans une posture où la soumission se dispute à l’indécision. Evie est une femme sauvage. Jamais je ne briserais cela, car c’est ce qui m’excite tant chez elle.

— Tu me plais aussi, m’avoue-t-elle sans fausse pudeur. Mais je refuse de renoncer à ma liberté, si notre relation devenait plus sérieuse.

— Je ne te mettrais jamais en cage, ma chérie. Sauf si tu le désirais, j’ajoute, goguenard. En réalité, la seule limite que j’exige de toi est d’assurer ta sécurité. Je ne tiens pas à t’enfermer. Je réclame cependant que tu ne te lances pas tête baissée dans des situations où tu pourrais perdre la vie. Est-ce suffisamment clair ainsi ?

— Est-ce que les sports extrêmes entrent dans cette catégorie, selon toi ?

— Non. Pas si les risques ont été soigneusement calculés au préalable.

— Je crois que je pourrais assumer tout cela, affirme ma petite mutine avec un sourire craquant qui me fait fondre immédiatement.

Son consentement pudique provoque en moi un raz de marée d’allégresse, une émotion surprenante que je découvre pour la première fois. C’est mon tour d’être bouleversé. Je prends Evie dans mes bras car je ne dispose plus de mes mots. Je l’enlace éperdument, en faisant attention à ne pas la broyer. Elle se suspend à mon cou, son petit corps se plaque au mien, sa bouche vient caresser les poils drus de ma joue avant de se poser sur la mienne. J’attrape ses hanches, la presse contre mon érection tout en la dévorant d’un baiser long et passionné. Enflammé par le désir, je me contiens à grand peine pour la dévêtir sans la blesser. Elle m’aide à ôter mes propres couches d’habits, puis je l’entraîne vers le sol, nus à même la peau d’ours qui a vu naitre nos premiers ébats.

Je redécouvre son corps merveilleux, aux proportions harmonieuses. Elle est façonnée par le sport, une invitation criante aux plaisirs charnels. Son cou délicat est gracile comme celui d’une princesse, son port de tête est altier. Sa peau satinée, que je parcours de petits baisers, est une tentation ensorcelante. Ses épaules, finement musclées et droites, surplombent un buste magnifique sur lequel ses seins, ronds et fermes, s’accrochent haut. Ses aréoles brunes me narguent, je ne peux résister à l’envie de mordiller un téton. Evie gémit doucement, tandis que les pointes érectiles se dressent. Je lèche sa peau de velours en poursuivant mon exploration. Sa taille mince s’épanouit sur des hanches larges. Je couvre son ventre plat d’un lit de baisers, puis redescends sur ses cuisses superbes, robustes comme celles d’une amazone. Je hume son parfum étourdissant et embrasse chaque partie de chair qui passe à ma portée. Ses genoux, l’arc de ses mollets galbés, ses chevilles fines et ses pieds délicats sont tout aussi joliment modelés. Evie se tortille sous mes assauts, chatouillée par les poils hirsutes de mon menton, enivrée par mes effleurements.

Lasse d’être passive, elle caresse ma tempe, puis ma joue rugueuse. Je remonte vers ses lèvres, en prenant place au-dessus d’elle. Je la recouvre entièrement. Elle m’enlace de ses bras et m’attire contre elle, nos bouches se scellent. Je plonge immédiatement dans le nirvana, un bonheur pur aux accents de félicité. Cette femme est divine, je ne la laisserais plus jamais me quitter. Mes doigts s’égarent le long de ses courbes pour atteindre son point sensible, que je titille. Un son rauque s’échappe de sa gorge, ce qui m’encourage à persévérer. Son bouton gonfle sous ma pression légère, tandis que mon ange terrestre ondule de ses hanches, les pupilles écarquillées et le souffle court. Elle est si facile à manipuler ! Je m’empare de ses poignets avec ma main libre afin d’empêcher ma diablotine de bouger. Immobilisée, elle ne peut que subir mes assauts, ce qui la plonge dans un état proche de l’hystérie. Tendue par le plaisir, ma petite Evie geint, puis crie. Je jubile en poursuivant mon tourment. Lorsque je la sens proche de l’orgasme, j’interromps ma caresse pour aventurer mon index à l’orée de son intimité. Son sexe est ouvert, abondamment lubrifié, prêt à me recevoir. Ma queue perçoit cet appel avec un élan douloureux, que je ne peux pas ignorer davantage. Mon genou écarte un peu plus ses cuisses afin que mon calibre se fraie un passage vers sa grotte intérieure, le seul endroit au monde où je désire me trouver en ce moment. Je lâche ses poignets prisonniers pour aller taquiner la pointe de ses seins. Evie s’accroche à moi, ses ongles se plantent dans mes omoplates, ce qui déclenche en moi le déferlement surpuissant de mon envie de la posséder à tout jamais. Je m’enfonce en elle délicatement pour que sa chair s’écartèle sur mon gland. Je la laisse s’habituer à moi, puis plonge en elle jusqu’à la garde, ce qui lui arrache un cri ravi. Je sens ses muscles intérieurs se contracter autour de moi, elle m’emprisonne dans son cocon chaud et protecteur. Je me retiens de bouger un moment. J’attends que la vague de plaisir s’atténue, pour amorcer un long et lent assaut. Je me noie en elle, en allers et retours d’une langueur infinie, afin de me repaitre de la sensation de cette chair qui m’enveloppe et m’enserre. Evie répond à chacun de mes coups de reins par une force identique à la mienne, en écho. Puis son ventre affamé se plaque contre le mien, la tension de ses doigts sur mes épaules s’accentue. Evie en veut plus. Ses lèvres cherchent les miennes et me mordillent, ses hanches impatientes accélèrent le tempo. Lorsque je cède soudainement à sa pression d’une impulsion puissante, mon amazone crie de plaisir. Ce son embrase ma raison, je perds toute retenue pour m’enfouir éperdument en elle, vaincu par mes sens et pour la posséder, elle. Je suis en rut, un véritable animal sauvage. Je plante mon regard dans le sien, afin de vérifier que je ne suis pas en train de la blesser. Ses pupilles dilatées clament son plaisir, sa jouissance est proche. Et je sais exactement comment je vais la faire exploser, tandis que mes doigts descendent inexorablement vers son point névralgique. Je lui murmure :

— Tu es prête ?

Je ne lui laisse pas l’opportunité de répondre, insidieusement, mon index taquine sa zone sensible, en rotation. Evie se met à hurler, je perds le contact visuel, ses yeux plongent dans un monde parallèle. Des spasmes secouent son corps tout entier pendant une minute, tandis que je me relâche en elle simultanément.

Je demeure en elle, tandis qu’elle se serre contre moi avec toutes ses forces subsistantes. Je me laisse tomber à côté d’elle, nous restons un long moment blotti l’un contre l’autre, haletants. Nos cœurs cognent à l’unisson, nos souffles courts s’entremêlent. Evie m’observe, embrasse le coin de mes lèvres, se recale du mieux qu’elle peut, le plus près possible de moi. Dès que sa respiration s’apaise, sa main parcourt mon épaule, éprouve la fermeté de ma peau, puis s’égare sur ma clavicule.

— Je peux te poser une question ? murmure ma jolie nymphe.

— Je t’écoute, je lui réponds dans un souffle, car je redoute ce qu’elle va me demander.

— D’où viennent les balafres qui zèbrent ton dos ?

Je reste un instant pensif. J’aime cette femme, je lui dois la vérité. Nous devons apprendre à nous connaître, et cela comprend le récit de nos passés, y compris les cicatrices qui nous ont blessées.

— Je les ai acquises aux États-Unis, après la cérémonie de remise des diplômes de ma fin d’études.

Evie écarquille les yeux. Elle devait s’imaginer que les zébrures dans mon dos étaient des stigmates laissés par la guerre, mais il n’en est rien.

— Que t’est-il arrivé ? m’interroge-t-elle.

Ses questions éveillent des souvenirs dont je me serais bien passé. Mais tant pis. Autant crever l’abcès et raconter ce qu'elle doit savoir, quand bien même cette évocation réveille en moi une fureur qui n’a jamais faibli.

— Je m’étais lié d’amitié avec un garçon dont le seul tort était d’avoir une peau de la couleur de l’ébène.

Evie ne s’attendait pas à cela, son air interrogateur et attentif m’incite à dérouler cette vieille histoire.

— J’ai fait mes études, à l’UCLA, l’Université de Californie à Los Angeles. Tout au long du cursus, j’ai joué pour le club de basket, parce que c’était ce qu’il fallait faire, si on voulait augmenter ses notes. Je suis devenu ami avec Wilson, un type qui avait mérité d’être là, et qui avait reçu une bourse. Sa famille n’avait pas trop les moyens de l’aider, aussi, lui et moi nous nous serrions les coudes au niveau de nos finances. Peu de temps avant la remise des diplômes, il m’a révélé qu’il avait rencontré une femme qui lui plaisait. Comme lui, elle venait de la campagne, du Middle West. Ils commençaient tout juste à se fréquenter, rien de sérieux.

— Quel rapport avec ce qui t’est arrivé ? m’encourage Evie avec une voix très douce.

— Et bien, si la famille de Wilson ne voyait aucun inconvénient à ce qu’il ait une compagne d’une origine ethnique différente, il n’en était pas de même pour le frère de la jeune fille. Lui et une douzaine d’autres gars ont débarqué après le bal de fin de promo. Ils ont attendu gentiment, sans se faire remarquer, que Wilson et moi reprenions notre véhicule pour rentrer chez nous. Puis ils nous ont barré la route. Et c’est là que les ennuis ont commencé. C’étaient des types de Ku Klux Klan.

— Hein, s’étrangle Evie. Cette organisation existe encore ?!

— Elle ne porte plus ce nom-là, aujourd’hui. Mais ils ont survécu à travers de nombreux groupes revêtant des appellations variées, plus ou moins apparentés au nazisme, pour une grande majorité d’entre eux.

— Que vous ont fait ces salopards ? demande ma jolie Evie avec tant de colère que je n’ose pas imaginer ce qu’elle obligerait ces types à subir si elle en tenait un !

— Ils nous ont faits prisonniers, Wilson et moi, pour nous transporter ailleurs.

— Oh, mon Dieu, soupire Evie.

Son expression est si triste que je comprends instantanément qu’elle est en totale empathie avec moi. Je ne l’en aime que plus fort, mais je me blinde intérieurement pour que ma voix reste la plus neutre possible. J’ai toujours autant besoin de chialer quand je repense à ce qui s’est produit ensuite.

— Les boys nous ont ligotés et bâillonnés. Ils nous ont mis des bandeaux sur les yeux, puis nous avons roulé des heures durant. Quand les véhicules se sont arrêtés, Wilson et moi n’en pouvions plus d’envie d’uriner. Mais pas question de supplier ces salopards. Le pire nous attendait encore. Lorsqu’ils ont enlevé nos bandeaux, ils avaient tous revêtu l’uniforme du Klan. Nous nous trouvions en pleine campagne, un endroit désolé. Sur la prairie, nous pouvions voir des croix de bois. C’est là qu’ils nous ont attachés, de dos, pour nous fouetter, chacun à tour de rôle. Cela a duré une éternité. Wilson et moi n’en pouvions plus. Nous hurlions tous deux, mais personne ne venait à notre secours. Nous nous étions urinés dessus depuis longtemps. Les types ricanaient, nous insultaient, et buvaient beaucoup d’alcool. Ils jouaient avec des lames sur notre peau, pour alterner un peu notre supplice. Puis ils ont simulé notre exécution. Nous étions tous les deux au bord de l’évanouissement, mais eux, ils comptaient aller au bout de leur logique de suprémacistes blancs. Ils voulaient la mort de Wilson, vu qu’il avait osé embrasser la sœur de l’un d’entre eux, et la mienne, parce que j’étais son pote.

— Où était la copine de Wilson, à ce moment-là ? questionne Evie.

— Elle ignorait ce qui se passait. Elle était repartie du bal avec ses amies, comme le lui avait demandé son frère, sans se douter de ce qu’il nous réservait.

— C’est vraiment horrible, compatit ma jolie brune.

— En effet, j’acquiesce. Lorsque ces salopards ont fait semblant de nous exécuter, nous ne savions pas que leurs fusils étaient chargés de gros sel, et non pas de balles. Mais ils sont allés au bout de leur logique. Ils nous ont tirés dessus. Je suis tombé dans les vapes.

— Comment t’es-tu sorti de cet enfer ?

— Les boys nous ont laissés sur place. C’est un paysan qui nous a trouvés le lendemain matin. Wilson n’avait pas survécu. Il a fait une crise cardiaque. J’ai été conduit à l’hôpital le plus proche, où je suis demeuré trois semaines.

— Que sont devenus ces salopards ?

— J’ai porté plainte, ainsi que la famille de Wilson, mais rien n’a abouti. Il y a eu plusieurs vices de procédure, et la cour a conclu un non-lieu.

— C’est franchement dégueulasse, s’exclame Evie.

— Tu peux le dire, je renchéris.

Ce qu’elle ne sait pas, c’est que je n’en suis pas resté là. J’ai retrouvé quelques-unes de ces ordures, et je leur ai réglé leur compte. Aujourd’hui encore, je n’en suis pas fier. J’ai attendu mon heure et préparé mes actes minutieusement. Le premier a été le frère raciste de la petite amie de Wilson. J’ai trafiqué les freins de sa voiture, garée sur le parking de son bar favori, par une nuit d’hiver en plein brouillard. Je me suis débrouillé pour assister à l’accident, et fait en sorte qu’il ne survive pas. Ensuite, j’en ai attrapé trois, parmi les pires, pour leur arranger le portrait à ma façon. L’un est aveugle, les deux autres sont dans des fauteuils roulants. Comme j’étais rentré en France pour intégrer les GCM, je suis revenu aux États-Unis en fraude, par le Mexique. C’est grâce au soutien de deux mecs de l’équipe de basket qui se sont engagés chez les marines que j’ai pu agir discrètement. Le reste de cette bande de connards doit encore se faire dessus en pensant à moi.

Evie s’approche pour m’embrasser. De ses lèvres douces, elle renvoie tous mes souvenirs dans le petit coin de mon esprit où je les contiens habituellement.

C’est trois heures du matin, je me réveille. J’admire un instant Evie endormie sur le ventre à mes côtés. Ses longues mèches de cheveux ondulés s’étalent librement autour de son visage détendu. J’abandonne un baiser sur son épaule avant de me lever.

Je remets une grosse bûche dans le poêle, me fais un sandwich pour la route et laisse un mot à ma petite chérie. Marko et moi allons prendre position à la passe de Latpali afin de se poster avant l’ennemi pour observer la direction que prendront Djalil et le marchand. Je charge le sac de mon parapente et mes skis de randonnée, et rejoins Marko à mi-chemin entre Ouchgouli et chez moi. Seuls Marko et Aleksander sont au courant du plan pour retrouver les djihadistes. Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas averti Evie de mon absence. Sans doute ai-je trop le réflexe du fonctionnement secret de l’armée, qui implique de rester opaque sur nos mouvements. J’imagine sans peine sa frustration à son réveil, et espère qu’elle pourra pardonner mon départ furtif alors que je lui interdis de faire la même chose.

Marko et moi nous retrouvons en silence. Pas besoin de paroles entre nous, nous avons tellement l’habitude de travailler ensemble ! Nous décollons tous deux de la route enneigée, la pente favorise la prise du vent dans nos voiles. Nos skis de randonnée nous permettent d’atterrir sur n’importe quel promontoire, du moment qu’il est suffisamment étendu pour le freinage.

Le plan est simple : Marko se campe au nord de la passe, en amont de la zone de rencontre, en sorte d’avoir une vue largement dégagée sur la vallée qui se déplie de part et d’autre du col. Je me poste à proximité du point de rendez-vous et Marko surveillera à bonne distance leurs mouvements. En effet, j’aurais pu installer une puce sur Djalil pour localiser la cachette des djihadistes. Mais à la place de ces types, je ferais déshabiller le gamin entièrement pour éviter toute surprise de ce genre.

Un très long moment dans la neige et le froid nous attend. Nous atterrissons chacun de notre côté, il fait encore nuit. L’aube se lève lentement, les brumes matinales se dissipent à leur tour, puis notre astre s’élève enfin. L’avantage est que nous n’aurons aucune difficulté à suivre Djalil et le marchand. L’inconvénient est que le moindre rayon de soleil peut se refléter sur nos jumelles, ce qui trahirait notre position.

Personne n’arrive pour surveiller la venue de Djalil du côté de nos ennemis, ce qui indique une certaine confiance de leur part dans le fils Baktou. Le commerçant approche seul à l’heure prévue, et Djalil de même. Il oblige le môme à se déshabiller entièrement, chaussures comprises, et lui impose aussi de jeter son téléphone, ce qui me donne raison. Caché dans l’ombre d’un arbre, j’épie leur rencontre avec mes jumelles. Marko est en hauteur, invisible derrière un bloc de rochers recouverts de neige. Je me mets en route dix minutes après leur départ, pour ne pas me faire repérer. Marko observe leurs mouvements de loin, et m’indique chaque changement de cap. Le marchand et Djalil redescendent de la passe en suivant la vallée qui s’écoule vers l’ouest.