Chapitre 68 Evie

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Les heures passent lentement dans la crypte à demi-obscure, éclairée par deux chandelles tremblotantes. Chanoune a cessé ses pleurs lorsque je suis arrivée, puis les a repris quand elle a compris que je n’avais aucune nouvelle de Djalil. Les deux autres jeunes filles sont prostrées dans un recoin à même une couverture posée sur le sol. Elles semblent faire bloc contre leur amie. Peut-être lui en veulent-elles de les avoir poussées à se convertir. Sans doute imaginent-elles qu’être restées orthodoxes les aurait sauvées de l’enlèvement par les djihadistes.

Je me présente, puis j’essaie de leur faire raconter leur capture, mais aucune des deux ne réagit. Alors, je les interroge sur tout ce qui me passe par la tête. Ont-elles de quoi manger, de quoi boire ? Les geôliers sont-ils méchants ou brutaux avec elles ? Vient-on les voir souvent ?

Comme je suis en échec dans toutes mes tentatives de conversation et que seuls les sanglots de Chanoune me répondent, j’entreprends d’effectuer le tour de la pièce. Je compte quinze pas de la porte au mur, et vingt dans l’autre sens. Aucune ouverture, hormis la sortie qui mène à l’escalier et deux soupiraux qui affleurent au plafond, par lesquels entre le froid de l’extérieur. La voûte est assez basse, au demeurant. La température est glaciale, l’humidité règne sans partage sur les moisissures des parois. Une table et quatre chaises en bois sont au centre de la pièce pour tout mobilier.

Je fais les cent pas pour me réchauffer, puis arrête parce que je m’aperçois que je dépense une énergie dont je vais avoir besoin. La réaction des gamines me met les nerfs en pelote. Je fais une piètre infirmière, si je ne parviens pas à communiquer avec ces adolescentes. Je m’installe sur un siège, à côté de Chanoune.

— Et maintenant, je murmure en anglais. On attend l’arrivée des forces spéciales ou on agit ?

Chanoune relève ses yeux pour me fixer. Elle sèche ses larmes.

— Tu voudrais procéder de quelle façon ?

— Il me faut des renseignements pour élaborer un plan. Ce qui n’est pas possible si toutes les trois continuez à vous taire.

Chanoune se tourne vers Nino et Alexandrina, pour leur parler. Je ne sais pas ce que la jeune mère leur dit, mais ça fonctionne. Alexandrina rompt le silence.

— Ils viennent trois fois par jour. Un homme seul, jamais le même. Celui du matin apporte de quoi boire et se nourrir, ainsi qu’un seau. Pour les commodités, ajoute-t-elle l’air gêné. Le midi, c’est simplement une cruche d’eau et un bol de soupe. Le soir, l’un d’eux repasse. Il revient avec de quoi manger et aussi avec le seau.

— Sont-ils violents ?

— Non. Juste poli. Et maladroit parfois, pouffe Nino. L’autre jour, le plus jeune s’est renversé le seau sur les pieds en butant dans la porte en repartant. Il était aveuglé par la beauté d’Alexandrina, s’esclaffe-t-elle.

Ce sont bien des adolescentes, tiens ! Elles sautent des larmes au rire sans transition !

— Sont-ils armés lorsqu’ils arrivent ?

— Toujours. Mais pour poser la nourriture, ils laissent leurs mitrailleuses en bandoulière.

Je réfléchis une seconde. C’est le soir puisque la nuit est tombée depuis un moment. Pourtant, les geôliers ne sont pas passés. Cela ne devrait pas tarder à approcher.

— Je vais me cacher derrière la porte et brandir une chaise sur celui qui la franchira, je décrète, en m’exécutant.

Alexandrina vient vers moi et me plaque un baiser sur la joue. Elle se poste de l’autre côté de l’entrée, pour tirer en avant celui qui s’engagera. Les filles ont désormais une lueur d’espoir dans le regard.

Je ne sais pas où va nous mener ce plan, mais au moins on ne va pas rester les bras croisés en attendant que mon prince charmant débarque. Hum, d’ailleurs, pas si sûr qu’il demeure charmant lorsque je le retrouverais…

Mais une heure passe sans que rien ne vienne.

Au bout de cinq minutes, je pose le siège que je tenais à bout de bras au-dessus de ma tête, les muscles en compote. Seul le silence fait écho au bruit mat de la chaise sur le sol en pierre. L’élan d’espoir s’éteint à mesure que les minutes s’égrènent dans un calme oppressant. Les filles semblent à nouveau résignées, leurs regards vides font peine à voir.

Je baisse les yeux vers les dalles inégales plantées à même la terre battue. Existerait-il une sortie secrète utilisée par les moines autrefois ? Je ne remarque rien de spécial d’où je me tiens. Je récupère une chandelle neuve et l’allume. C’est la dernière. Si personne ne vient pour nous apporter de quoi nous alimenter, nous pourrons tout aussi bien rester coincées ici pour toujours ! Je chasse cette pensée lugubre et entreprends de refaire le tour de la petite crypte. Elle a dû contenir un cercueil, car la table, une fois écartée, révèle les traces d’un objet assez grand pour cet usage. Je me demande qui a viré le gisant. Est-ce les djihadistes, ou bien les moines ?

Les dalles sont différentes à cet endroit. J’essaie d’en gratter une avec mes ongles, sans autre effet que de m’en casser un !

Nino se tourne vers moi, l’index sur ses lèvres.

— Someone is coming ! Quelqu’un vient !

Je fais signe que j’ai compris, lâche ma chandelle sur la table, qui n’est plus à sa place. Tant pis. Je cours en silence me mettre en position.

On entend un ahanement, comme si quelqu’un transportait quelque chose de lourd. J’ai juste le temps de lever ma chaise alors que la porte s’ouvre.

Alexandrina attrape le type par le bras pour le tirer vers l’intérieur.

L’homme ne s’attend pas à cela, il est déséquilibré. Il fait un pas en avant.

C’est le chef des djihadistes !

Trop tard pour reculer…

À mon tour j’avance, et jette le siège de toutes mes forces sur sa tête.

— Aïe, crie Brahim en lâchant sa mitraillette.

Quelqu’un d’autre s’exclame « Merde ! ».

C’est Azir, les bras encombrés par le poids du mufti inconscient.

Pour faire bonne mesure, Nino balance un coup de poing sur la tempe du leader à moitié assommé, qui s’écroule.

Chanoune récupère la kalachnikov au sol, tandis qu’Alexandrina attrape Azir par la barbe pour l’attirer à l’intérieur. Il jure en arabe.

Je bondis derrière le terroriste pour m’emparer de son revolver, rangé dans sa ceinture. Son kami le gêne et l’entrave tout autant que le vieux mufti dans ses bras.

Désormais, c’est nous qui sommes armées et maitrisons la situation ! Alexandrina tourne le chef sur le ventre et s’assied sur son dos. J’exulte en refermant notre cellule. Je suis très fière des gamines !

— Relâchez-nous, implore Azir.

— Pourquoi rabats-tu la porte ? s’étonne Chanoune.

— Parce qu’ils sont trop nombreux là-haut pour qu’on puisse s’enfuir. On va d’abord réfléchir avant de faire un truc stupide. C’est nous qui avons des otages, à présent !

Les filles sourient. C’est bon de voir la joie se peindre sur leurs visages. Elles savent que les Forces spéciales vont intervenir tôt ou tard, et que désormais, plus personne ne peut nous menacer.

— Vous ne pouvez pas vous en sortir comme ça, s’énerve Azir en regardant autour de lui.

— C’est toi qui es fichu, je rétorque. Pose le mufti sur la table et assieds-toi, dis-je en lui montrant les chaises restantes.

Celle que j’ai utilisée sur le crâne de son frère ne pourra plus servir de sitôt, car elle a perdu un pied dans la bagarre.

— Où se trouve Djalil ? interroge Chanoune en pointant l’arme sur la tête du terroriste.

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