Chapitre VIII
La pose du plâtre n’a pas été une partie de plaisir surtout lorsque le docteur a remis en place la partie fracturée pour repositionner le poignet dans l’axe de son bras. Harmonie a hurlé de douleur malgré l’anesthésie locale et nous n’étions pas trop de deux, l’infirmière et moi, pour contenir la jeune femme.
Ensuite, après une ultime radio pour dissiper toute source d’anomalie future, son poignet a disparu derrière les bandelettes blanches enroulées du coude jusqu’à la phalange de ses doigts.
Je regarde la jeune femme qui très attentive, surveille le déroulement des opérations. De temps en temps elle me glisse un léger sourire. La douleur a disparu et elle est maintenant beaucoup plus détendue.
Elle admire le travail terminé, remercie le médecin et l’infirmière et avant de prendre la direction de la sortie, elle se tourne vers moi.
- Alors, vous vous êtes décidé ? Vous faites quoi ? Vous me gardez ou vous me laissez choir comme une vieille chaussette ?
- Pour maintenant, je ne rattraperai plus le temps perdu. On peut continuer ensemble si vous voulez mais je n’ai pas tout compris. Vous allez où exactement ?
- Je voulais quitter le Nord, les Hauts de France. Le climat est trop humide la-bas. Je choppe toutes les maladies respiratoires qui traînent même en été. Après comme je vous l’ai déjà dit, je n’ai pas de préférence particulière. Je m’adapte partout où je vais.
- Je dois être à Nice ce soir.
- Alors si vous le voulez bien, va pour Nice.
- Dix heures en compagnie d’un petit bourgeois capitaliste, vous allez tenir ?
- Si vous n’êtes pas trop chiant, ça devrait pouvoir le faire et puis, je n’ai jamais dit que j’allais me laisser faire. Je sais être coriace quand il le faut.
- Oui, ça j’ai vu. On se tutoie, se sera plus simple non ?
- D’accord mais si vous m’énervez, je vous vouvoie.
- Et moi si vous êtes insupportable, je vous jette dehors dis-je en riant.
- Ce ne sera que la deuxième fois mais je suis toujours là. Je vais finir par croire que vous tenez un peu à moi.
- J’avoue que vous m’amusez et tout compte fait, j’aime bien votre présence. Histoire de me changer les idées, c’est on ne peut plus réussi.
A treize heures, on quitte enfin l’hôpital. On y est resté trois bonnes heures. Avec tout ces rebondissements, j’ai maintenant cinq heures de retard sur l’horaire initial mais comme personne ne m’attend, tout va bien. Et puis elle m’amuse de plus en plus avec son côté Caliméro. Ni méchante, ni vindicative, ni vulgaire, je ne supporterai pas. Je prends plaisir à la titiller. Je cherche ses limites sans les approcher de trop près, conscient qu’elle pourrait ruer dans les brancards pour un mot mal placé. Le jeu du chat et de la souris et ce n’est pas pour me déplaire.
- On va essayé de trouver quelque chose à manger avant de reprendre l’autoroute.
- Tenez, je vois l’enseigne d’une restauration rapide la-bas.
- Heu ! Comme resto, ce n’est pas terrible ça.
- Oui mais ça au moins, je peux me l’offrir.
Harmonie prend la direction du comptoir pour commander.
- Tu fais quoi ?
- Ben je vais passer commande.
- Viens à la borne, c’est plus rapide.
- Euh, moi je n’ai pas de carte bleue. Tu sais, la banque et moi...
Je l’entraîne de force devant une borne et nous passons commande avant de nous attabler.
- L’air de rien pour un mec, tu as un foutu caractère quand même. Mais tu es sympa et j’apprécie.
Pour la deuxième fois, on se retrouve seuls, face à face. Mais cette fois ci, j’ai tout mon temps pour l’observer. Elle me surprend. Son visage s’est ouvert sur des yeux étincelants, sa bouche banale surmonté d’un petit nez légèrement en trompette, ses sourcils mauves qui contrastent avec la couleur de ses cheveux. Sa peau halée qui égaye son visage, le décolleté de ma chemise qui plonge sur ses seins, ses yeux d’un blanc profond sur lesquels reposent deux petites noisettes qui me scrutent et me dévisagent tout en sourire.
Sous la chemisette que je lui ai laissée, elle a des épaules osseuses, plutôt maigrichonne. J’ai été surpris par la pilosité qu’elle a développée sous les bras. Pour une femme c’est plutôt rare et de fil en aiguille, je me suis demandé en cachette ce qu’il en est un peu plus bas. Ses bras sont tout menus avec quelques tatouages originaux, en couleur pour certain, parfaitement disposé, dosés sans excès. Seuls les motifs interpellent.
J’ai adoré ses seins. Petits comme je les aime même si elle a tout fait pour les cacher et comme le sort s’est acharné contre elle, elle n’a pas eut d’autre choix que de capituler. Ma chemisette blanche lui va très bien et elle se coordonne parfaitement avec son jean noir, faisant ressortir son visage basané.
Manger avec un seul bras valide, ce n’est pas simple surtout que le menu ne s’y prête pas trop. J’aide Harmonie tant que faire ce peux. Un fois rassasiés, on quitte la table en terrasse, laissant aux moineaux le soin de finir le ménage.
- Je vais aux toilettes. Attends moi dans la voiture.
Je regagne ma Mercedes et j’allume la radio. Une minute passe, deux, puis trois. Harmonie frappe au carreau.
- Ca va ?
- Euh non. J’ai un problème ; je n’arrive pas à baisser mon pantalon.
- Et ?
- Tu peux venir ?
Dans les toilettes des femmes, toutes les cabines sont occupés. Nous attendons sagement que l’une d’elles se libère. Dire qu’on nous regarde bizarrement relève à n’en pas douter de l’euphémisme. Les mines outrées et désapprobatrices au possible soulevées par le look d’Harmonie et surtout ma présence incongrue en ce lieu purement féminin trahissent le malaise général. Harmonie me regarde et elle éclate de rire devant la gêne que je manifeste. J’avoue que je suis plutôt embarrassé ne sachant pas trop quelle contenance adopter.
- Il faudrait qu’elles se dépêchent. Je vais pisser dans ma culotte.
- °° -
Un Wc se libère et lorsque nous nous engouffrons tous les deux à l’intérieur, on entend à travers la porte une suite de gros mots plutôt vindicatifs proférés avec une verve prudente mais manifeste.
- Je crois qu’on se fait insulter lui dis-je en riant.
- On s’en fout. Dépêche toi, je ne tiens plus.
Situation un tantinet soit peu cocasse. Je suis dans les toilettes des femmes avec une fille en pantalon, bien foutue il ne faut pas se mentir et qui me demande de le lui retirer. Jusque là, tout va bien. J’ai un peu d’expérience en la matière mais ici en plus, l’espace est réduit et il faut faire vite sinon on risque l’inondation.
Mes doigts fébriles débouclent sa ceinture. Le bouton ne résiste pas longtemps et la fermeture éclair retrouve la position que je préfère chez une femme ; ouverte.
- Baisse le s’il te plaît et après je devrais pouvoir me débrouiller.
Je tire sur le pantalon et effectivement, il est plutôt fortement serré, rendant la manœuvre totalement impossible d’une main. La petite culotte d’Harmonie se découvre lentement ; un petite culotte normale sans fanfreluche, rose défraîchie. J’ai cru à un moment qu’elle allait venir avec mais elle est restée sagement accrochée aux fesses de ma passagère.
- Je sors ?
- T’es con ou quoi. Il va falloir me le remettre après. Tourne-toi face à la porte. j’obtempère et j’entends Harmonie se démener comme une folle.
- Merde ! J’y arrive même pas. Patrick, j’ai encore besoin de toi.
Je me retourne. Harmonie est debout, le pantalon en bas des pieds, la culotte à moitié baissée d’un côté.
- T’es pas obligé de te rincer l’œil. Allez dépêche-toi s’il te plaît.
J’abaisse sa culotte et comme je le supputais, il y a la-dessous une touffe épaisse, plutôt dispersée, peu entretenue.
- Un peu plus encore. Je n’aime pas m’asseoir sur les cuvettes dans chiottes publics. On choppe tout ce qui traîne. Tu peux te retourner contre la porte maintenant ?
Harmonie se soulage lentement, avec une grande délicatesse. Je souris dans ma tête devant les images qu’elle vient de m’offrir, devant son intimité dévoilée, devant cette situation tout aussi épique qu’incongrue. Après lui avoir tendu quelques feuilles de papier arrachées au rouleau mural et opérer un habillage en règle nous sommes sortis ensemble de la cabine sous le regard médusé du directeur de l’établissement appelé en renfort. Quelques explications ont suffi pour calmer le gérant courroucé de prime à bord ; le plâtre d'Harmonie ayant fini par le rendre compréhensif.
On regagne la voiture, partagés entre rire et désinvolture.
- Vous êtes content ?
- Content de quoi ?
- De m’avoir vu à poil. J’ai bien vu que ça vous émoustillait.
- Même pas une once d’érection, juste un frémissement. Après, j’avoue que comme nana, tu es plutôt bien foutue. A quand le prochain arrêt ? J’ai déjà hâte d’y être.
- Plutôt pisser dans ma culotte que de recommencer ce cirque.
- On verra, on verra Harmonie dis-je avec une pointe d’ironie.
- Vous m’énervez grave.
- Oui je vois bien. Depuis quelques temps, tu t’es mise à me vouvoyer. Pour ta gouverne, sache que j’étais aussi gêné que toi si ce n’est plus. Je ne m’attendais pas à devoir déculotter une femme pour qu’elle puisse se soulager dans les toilettes d’un restaurant. Ce n’était pas écrit dans mes tablettes ce matin, tout comme j’ignorais que je devrais couvrir ses seins avec l’une de mes chemisettes. Et le pire de tout c’est qu’à ton histoire, je ne vois pas de solution et c’est ce qui me tracasse le plus. Il va se passer quoi quand je vais te déposer dans le centre ville de Nice ce soir ?
- Je sais pas. Je suis perdue moi aussi. Je viens de me rendre à l’évidence que toute seule, je n’y arriverai pas. Il faut que je trouve un centre d’hébergement, un truc où on pourra m’aider pendant quelques temps.
- Tu ne préfères pas plutôt retourner chez ta mère. D’ici on est à peine à une heure. Je peux t’y emmener si tu veux.
- Chez mes parents ? Plutôt crever.
- Je ne sais pas ce qu’ils t’ont fait mais visiblement tu ne les portes pas dans ton cœur.
- Je préfère éviter le sujet si tu veux bien.
- Ok, tu as une autre solution ?
- Il y a quelqu’un qui t’attend à Nice ?
- Non, personne. Je suis seul.
- Pas de femme, pas de gosses ?
- Une femme mais on vient de se séparer et une fille tout juste majeure qui est restée la-haut.
- Alors tu pourrais m’héberger pour cette nuit à ton hôtel, ça ne dérangera personne ?
- Tu ne perds pas le Nord toi.
- Alors, c’est oui ou c’est non ?
- C’est une solution mais je ne suis pas chaud.
- Je comprend. Et il faudrait que je fasse quoi pour que tu te décides ? Coucher ?
- Tu coucherais ?
- Tu as déjà vu mes seins et ma chatte alors au point où j’en suis, un peu plus ou un peu moins…
- Je croyais que tu ne voulais pas baiser.
- J’ai le choix ?
- Oui on a toujours le choix.
- Ça te va bien de dire ça. Moi, je suis à ta merci et je n’ai aucune autre roue de secours alors s’il faut baiser pour que j’ai un peu de tranquillité ce soir, je baiserai.
- Je ne veux pas baiser parce que j’ai horreur de ce mot. Je préfère faire l’amour et c’est toute la nuance. Tu comprends ?
- Un homme civilisé. Incroyable, je suis tombé sur le Dernier des Mohicans. Alors ?
- Bon, c’est oui pour cette nuit sauf si tu es trop chieuse et que je t’ai lourdée avant. Et ne te sens pas obligée de coucher.
- Ok, donc si j’ai bien compris, ce soir on couche que si je veux bien ?
- J’ai peut-être mon mot à dire moi aussi.
- Parce que tu vas me faire croire que si j’ai envie de coucher, tu serais capable de me dire « Non, non Harmonie, trop peu pour moi... ». Tu me fais trop rire. En tout cas, merci. Tu sais que dans une journée, je n’ai jamais remercié autant un mec. Généralement, c'est que je l'apprécie énormément...
- Et il a fallu que ça tombe sur moi.
- Oui, c’est ça et si c’est trop, je peux retirer quelques mercis pour les offrir à quelqu’un d’autre. C’est pas un problème.
- Non, ça ira. Je prends quand même tes remerciements mademoiselle. Et puis venant de toi, ça me fait vraiment très plaisir.
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