Chapitre XI

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Je pensais être soulagé en laissant Harmonie derrière-moi à Nice dans ce centre d’hébergement un peu glauque, mais il n’en a rien été et le pire de tout, c’est que ma conscience n’a pas hésité à se manifester de temps en temps, avec des flashs de culpabilité récurrents. Et bien au-delà de la turpitude, il y avait autre chose que je n’ai pas cerné dans l’immédiat.

- °° -

Le bateau sur lequel j’ai embarqué est immense et j’ai intégré ma cabine après avoir laissé mon véhicule en cale. Je tourne en rond dans les neuf mètres carrés qui me sont dévolus, m’arrêtant parfois devant le hublot pour regarder la mer sans réelle conviction. Mon esprit est ailleurs.

Je sors de ma cabine et je cherche un endroit pour me désaltérer. Il n’y a pas énormément de monde, probablement l’impact de la Covid-19. D’ailleurs, j’ai dû présenter mon test PCR pour pouvoir monter à bord.

Au bar que j’ai trouvé en coursives, je m’assois au comptoir sur un tabouret haut et je commande un whisky. J’ai un profond besoin de me changer les idées et surtout de me remonter le moral. Et puis il faut dire que je ressens une certaine lâcheté pour avoir abandonné Harmonie à son sort. Comment ai-je pu faire ça ?

Sur la chaise à côté, à un mètre environ, distanciation sociale oblige, une blonde, les cheveux patinés, mignonne mais sans plus. Elle m’a repéré dès que j’ai franchi la porte. Le visage souriant, accentué par des yeux bleus rieurs, une petite robe à fleurs, courte et largement échancrée au niveau du décolleté, des seins qui ne demandent qu’à s’échapper joyeusement, une croupe sympathique dessinée sous le tissu tendu par le siège du tabouret en cuir sur lequel elle s’est assise où de longues jambes toutes bronzées viennent se chevaucher.

Son visage est tourné vers le bar mais je sens qu’elle m’observe. Je le devine à son air faussement distrait.

- Quelle est la météo de la traversée demandais-je au serveur ?

- Un peu chahutée s’empresse de répondre ma voisine sans même bouger la tête. Je lui ai posé la même question il y deux minutes.

Je tourne mon visage vers elle. Son sourire s’est élargi sans changer quoi que ce soit à sa posture.

- Merci…

- Victoria.

- Patrick, enchanté.

On parle de la pluie et du beau temps, des vacances qu’elle s’apprête à passer seule près d’Ajaccio, dans un club où elle espère faire des rencontres intéressantes. Elle aime le sport, les défis, aller au bout de ses limites, tout ce qui procure des sensations fortes. C’est une femme ouverte sur le relationnel, le contact et avec la covid-19, elle a dû refouler ses passions pour laisser place à une énorme frustration qu’elle est venue combler ici. Elle veut profiter de ce séjour pour rattraper le temps perdu, croquer la vie à pleines dents, sans contrainte, sans limite.

- Un petit plouf dans la piscine, ça vous dit ? Me lance t’elle innocemment.

- Très bonne idée.

- Je me change et on se retrouve là-bas d’ici une quinzaine de minutes.

Je me demande bien ce qu’elle a à changer. Sous sa robe, je n’ai pas vue une once de sous-vêtement. Et lorsqu’elle s’est mise face à moi pour discuter en décroisant ses jambes décomplexées, il m’a semblé que dessous, s’il y avait quelque chose, cela devait être ridiculement petit. Il faut dire qu’entre le décolleté profond et l’ouverture de son entrejambe, je n’ai pas eu le temps de m’appesantir partout. Mais je sais qu’elle a suivi discrètement mon regard, en témoigne son sourire affable qu’elle porte en triomphe. Victoria est partie se changer. Je termine mon verre tranquillement. Je ne suis pas pressé. Mais je sais pertinemment que, à la sortie du bain ou un peu plus tard dans l’après-midi ou la soirée, je ferai l’amour avec cette inconnue. La situation me réjouis tout autant qu’elle m’angoisse. Vingt ans que je n’ai pas touché une autre femme qu’Eléna, hormis Harmonie ce matin mais avec Harmonie, tout était différent, naturel, improvisé, sans arrière-pensée, juste le plaisir de lui donner du plaisir et j’ai été tout simplement sublimé devant ce corps offert qui ne demandait rien d’autre qu’à être cajolé. Je l’ai caressée avec un ravissement certain, sans même avoir eu le temps de m’interroger puisque j’avais déjà la réponse. Et puis je ne la voyais pas en bête de sexe. Avec Victoria, de toute évidence, les choses ne vont pas se passer de la même façon. J’ai conscience qu’il me faudra jouer le grand jeu, assurer en toute circonstance et je me demande si je suis bien prêt pour cela, si je ne vais pas au-devant d’une énorme déception. Je n’ai plus tout à fait vingt ans.

- °° -

Difficile de ne pas la repérer. Victoria est allongée sur un transat, seins nues, avec un maillot de bain ridiculement petit, conçu juste pour masquer l’essentiel, rien de plus.

- Vous aimez le champagne ? J’ai commandé une bouteille.

Je rapproche l’un des transats mitoyens pour le coller à celui de ma voisine et je m’installe sur le ventre, en appuie sur les coudes, le visage tourné dans sa direction. J’aime ses yeux pétillants. Elle est moins mignonne que je pensais mais il n’en demeure pas moins qu’elle reste néanmoins une très belle femme. La quarantaine, elle ne fait pas dans le chichi. Elle sait ce qu’elle veut et elle le fait savoir. Bretonne, elle est venue chercher ici la chaleur de l’été et cette fournaise l’inonde partout sans complexe. La quadra s’entretient. Ses muscles sont apparents ni trop ni pas assez, ce qui représente néanmoins des heures de body-building. Passionnée d’escalade, elle adore aussi tous les sports de glisse ; le ski-nautique, le jet-ski, la planche à voile où elle excelle et dans la baie d’Ajaccio, s’il n’y a pas trop de monde, cela devrait être un pur régal.

- Au bain ?

- Allez !

On plonge ensemble dans la piscine. L’eau est agréable, juste à bonne température. Victoria est à l’aise dans l’élément liquide et il y a peu de monde. Après quelques brasses on se pose sur le bord. Ses bouclettes ont disparu, aplaties par l’eau qui s’écoule de sa chevelure. Son sourire est devenu plus coquin et ses yeux bleu-océan me dévorent. Elle me plaque contre la paroi. Ses lèvres exaltées viennent rejoindre les miennes et lorsque nos langues se lient et se délient, ses mains partent à la découverte. Je les retrouve très rapidement dans mon caleçon de bain où la canicule s’est elle aussi invitée.

- Pas mal.

- Comment ça pas mal ?

- Attends, tu me mets un doute. Faut que j’aille voir.

Et Victoria plonge. Mon caleçon est attiré par la pesanteur et j’essaye de le retenir par les pieds pour éviter qu’il ne coule car ici, on est au plus profond du bassin. Je regarde aux alentours juste pour m’assurer que nous ne sommes pas observés avant de me concentrer sur les activités sous-marine dont je suis la proie. Et force est de constater que Victoria est une experte. Il n’y a rien à dire et lorsque sa tête émerge à nouveau avec un sourire éblouissant, ce n’est que pour reprendre souffle.

Après quelques incursions, elle remonte haletante.

- Pfiou ! J’abandonne.

- Déjà ?

Je la maintien à flot devant moi par les hanches et mes doigts rencontrent fortuitement, il va de soi, les ficelles qui maintiennent son bas et pendant que nos langues courtisent amicalement, je tire délicatement sur chaque bout. Victoria resserre les jambes prestement mais trop tard. Son maillot de bain est parti fricoter avec le mien au fond de la piscine.

Sur les transats qui bordent le bassin, deux jeunes filles semblent avoir repéré notre manège. Elles regardent avec insistance dans notre direction, avec des sourires sans équivoques, discutant ou commentant vraisemblablement nos ébats.

- Victoria, on nous regarde !

Victoria se retourne et vient plaquer son arrière train nu contre ma verge qui, timide et peureuse, ne demande pas mieux que de venir se réfugier au creux de ses fesses.

- Faudrait tout de même pas trop abuser Patrick ? Enfin... pas aussi vite me chuchote-t-elle dans le creux de l’oreille.

Le message est passé. Même pas le temps de souffler que Victoria prend appuie sur mes hanches, se soulève légèrement et d’une main experte dirige mon sexe contre le sien et ce qui devait arriver arriva. Un gant de velours s’empare de ma verge et l’englouti lentement. Victoria est suspendue à mon sexe et c’est moi qui lui impulse la cadence, mes deux mains sous ses seins. Nos spectatrices se sont mises à l’eau et se dirigent dans notre direction.

- Merde ! On va avoir de la visite.

- On s’en fout. Continue, ne t’arrête pas s’il te plaît.

- C‘est chaud ici. On peut participer ?

Victoria, fait un signe de tête. Je suis éberlué et pas le temps de protester que des mains se posent, circulent, envahissent, s’immiscent partout où elles peuvent. Les filles rient de bon cœur. Elles nous entourent. L’une d’elle disparaît sous l’eau et Victoria se cambre, gémit, s’apprête à hurler. J’ai à peine le temps de poser ma main sur sa bouche pour atténuer le son. L’autre enfouit sa tête entre nous, lèvres ouvertes, elle embrasse tout ce qui traîne à sa hauteur. J’ai droit à un baiser brûlant, une langue d’une douceur déconcertante aussitôt abandonné pour se concentrer sur les atours de Victoria. Je suis médusé, excité comme un paon devant toutes ces sollicitations que je ne maîtrise plus. Victoria est toujours ma prisonnière et visiblement, elle ne s’en plaint pas. Je ne vais plus résister. Je ne résiste plus. J’abdique longuement sans même être en mesure de pouvoir me retirer.

- Tu as …

- Oui.

- J’aurais préféré avec un préservatif.

- Moi aussi mais, tout est trop rapidement devenu incontrôlable.

Son sourire est sans équivoque. Elle se retourne. Me gratifie d’un baiser sur les lèvres avant d’être accaparés entièrement par les deux inconnues. Et en effet, les filles semblent beaucoup plus intéressées par le corps de Victoria. Je les laisse faire, admiratif et médusé en me positionnant légèrement en retrait. Elles s’embrassent, se touchent, se caressent, se cajolent avec une force et une énergie frénétique. L’une d’elle s’approche de moi, teste ma virilité avec une moue désabusée avant de venir reconstituer le trio féminin. Victoria ne rechigne en rien. Je les laisse s’ébattre dans le bassin pour rejoindre mon transat après avoir récupéré mon bermuda quatre mètres plus bas. Le champagne est arrivé. Bien frais, des bulles par millier, excellent, sauf la note que j’ai dû régler en l’absence de ma voisine, toujours occupée avec les filles. Elles papotent avec beaucoup d’emphase. De ma place j’entends leurs rires et leurs éclats de voix sans discerner ce qu’elles disent dans le brouhaha général qui s’est largement répandu.

- °° -

Harmonie revient hanter mes pensées, loin, bien loin de l’expérience que je viens de vivre. Mais je me rends compte que j’étais avec elle dans la piscine, que c’est à elle que je faisais l’amour, que s’est à n’en pas douter son sourire délicat, rêveur, enthousiasmé, émerveillé que je voulais voir accroché à ses lèvres. Je suis déstabilisé par l’attirance que j’ai pour cette femme. L’ascendant qu’elle a suscité sur moi est si énorme qu’elle me manque déjà.

Victoria est revenue de la baignade accompagnée des deux autres filles. Les transats s’agglutinent, le champagne coule dans les verres jusqu’à épuisement.

- Mélanie et Aurore.

- Patrick

- °° -

Après la piscine, nous nous sommes donnés rendez-vous pour le repas du soir. Mélanie et Aurore sont ensembles. Impossible de s’y tromper. La trentaine pour l’une, une vingtaine bien tassée pour l’autre, je ne peux m’empêcher d’associer leur couple à Léa et Caroline. Aurore, la plus âgée, a un comportement plus masculin et elle semble beaucoup plus engagée dans sa relation que Mélanie qui donne le sentiment d’être un peu plus volage. D’ailleurs dans la piscine, c’est cette dernière qui s’est approchée de moi, elle qui m’a embrassé, elle qui est venue prendre la température et je me suis même demandé ce qu’il serait advenu si j’avais eu encore un peu de tenue. Faute de velléité, la question ne s’est pas posée.

A table, les discussions vont bon train. Je m’attendais à passer une soirée monotone seul dans ma cabine et j’avoue qu’en si charmante compagnie, ça change radicalement l’horizon. On apprendra que les filles ont loué un petit appartement à Porto-Vecchio, sur la côte Est, légèrement retiré dans les terres, entouré de pins, pour être plus tranquilles. Ma résidence secondaire est elle aussi sur la côte Est mais un peu plus haut en direction de Bastia, un mas perdu entre châtaigneraie et mer, à proximité d’Aléria. Elles sont toutes deux passionnées de chevaux, de nature, de randonnées et de sports nautiques et en cela, elles s’accordent à la perfection avec Victoria. Leur couple, comme j’ai pu le voir dans la piscine, est ouvert à toutes suggestions, plutôt opportuniste, fantasque même avec l’ivresse des sens en lame de fond, le plaisir corporel comme une devise ancrée dans leur façon de vivre, sans jalousie, sans possession, sans rivalité. Victoria qui ne m’a pas parue bien farouche dans la relation femme-femme, avoue avoir déjà flirté avec l’homosexualité mais à petite dose. Et là, elle a été sublimée. Je remarque et je ne suis pas le seul, qu’Aurore dévore Victoria des yeux et pas seulement au-dessus de la table. Mélanie en a profité pour se rapprocher de moi, indifférente au comportement on ne peut plus manifeste de son amie.

On rit, on mange, on boit, on s’échange nos numéros de téléphone. La fin de la soirée approche et le tangage du bateau s’est intensifié. Le vent secoue les vagues accentuant ainsi le roulis du navire.

Sur le pont difficile de lutter et il faut s’accrocher farouchement aux rambardes. Les bourrasques gonflent ma chemise et soulèvent le voilage des filles pour notre plus grand plaisir, dévoilant string, tanga et des fesses toutes nues. Heureusement que je suis là pour donner un avis masculin. Toutes ces images magnifiques perdues dans la nuit ; un pur gâchis d'érotisme et de sensualité. La houle s’est largement formée et unis par nos mains, on monte une chaîne humaine dans laquelle les lèvres de Mélanie n’hésitent pas à venir effleurer les miennes. Aurore et Victoria ne sont pas en reste. L’humour et la bonne humeur s’est installé dans notre petit groupe. Les éclats de nos rires puissants et effrontés sont balayés par le vent et lorsque nous regagnons ensemble les coursives, je vois venir la suite et j’appréhende.

- °° -

Victoria et Aurore ont disparu au détour d’un couloir. Il ne reste que Mélanie et moi mais je vois que ça ne va pas fort. Elle est devenue toute pâle d’un seul coup.

- Je crois que je ne me sens pas bien Patrick. Je vais aller…

Je ne détaillerai pas ici ce qu’il s’est passé par la suite. J’ai eu juste le temps de faire un bond sur le côté. Un membre de l’équipage averti, a accouru avec seau et serpillière et j’ai reconduit Mélanie à sa cabine. J’ai regagné la mienne tranquillement devant cette soirée qui s’est achevée de façon impromptue.

Dans ma couchette, mes pensées se tournent automatiquement vers Harmonie. Je me demande à cette heure tardive si elle est tout comme moi allongée sur son lit, le regard perdu sur les murs délavés de sa chambre ou si elle est debout, sa frimousse à la fenêtre grande ouverte pour respirer l’air frais extérieur derrière les barreaux d’acier. Je pense qu’ici elle aurait été émerveillée, émerveillée par le hublot d’où on peut voir l’écume perler au sommet des vagues, émerveillée aussi par la décoration sophistiquée qui orne les cloisons. Je me demande où vont ses pensées. Pourquoi, elle qui a connu tout compte fait une enfance difficile dans un cadre plutôt préservé, elle se retrouve maintenant à vivre dans la rue ? Quelque chose m‘échappe. Ses parents ? Probablement son père ? J’ai évité de la questionner par peur de ce que je pouvais trouver en réponse. Mais une chose est sûre. Sous ses aspects de marginale, elle a une certaine culture, une façon de s’exprimer qui est en décalage avec la position sociale qu’elle affiche même si elle le cache sous un vocabulaire parfois familier, un masque dont elle s’est affublée, un déguisement vestimentaire pour mieux se fondre dans la masse.

Cette fin de nuit, j’ai rêvé d’une femme battue, violée, soumise aux affres des hommes. Une femme sur laquelle on s’acharnait violemment, comme une hérétique innocente, coupable d’être présente. Dans mon délire nocturne, menotté, attaché par de lourdes chaînes presque identiques à celle trouvées dans une voiture, je ne pouvais que pleurer, incapable de la sauver.

- °° -

Le lendemain matin, à peine le temps de prendre un café qu’il faut rejoindre nos véhicules en cale.

Deux voitures devant moi, j’aperçois Aurore et Mélanie qui attendent impatiemment elles aussi pour quitter le navire. Je vais leurs faire un petit coucou. Mélanie est encore toute pale, à peine remise.

- Je me suis vidée toute la nuit. Même quand il n’y avait plus rien, il y en avait encore. C’était horrible.

On promet de se revoir très rapidement. La file dans laquelle nous sommes s’ébranle tout doucement. Je regagne ma Mercedes et me voilà enfin à l’air libre.

- °°° -

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