Chapitre XX

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Enfin seuls dans l’intimité de notre chambre, Harmonie me dévore de son regard impertinent, de celui irrésistible qu’elle maîtrise à la perfection, somptueuse dans sa petite robe à fleurs où ses jambes effilées cherchent désespérément une cachette suffisamment efficace pour ne pas dévoiler trop rapidement l’origine du monde. Depuis que nous nous sommes rencontrés, elle est chaque jour encore plus jolie que la veille, plus magnifique, plus somptueuse. Impossible de résister, impossible de ne pas succomber à son charme affolant, à sa gentillesse légendaire, à son sourire aphrodisiaque. Et si, chaque matin, avec elle, c’est l’euphorie, chaque soir, je ne veux connaître dans ses bras que l’extase, en toute simplicité ; un feu d’artifice qui tourne en boucle pour illuminer nos nuits de mille feux encore plus beaux les uns que les autres. Et maintenant, auprès d’elle, avec elle, je veux pouvoir accéder au bonheur suprême, au sanctuaire de notre bénédiction, au nirvana de notre rencontre, au firmament de notre passion amoureuse, rien que pour imaginer la dépasser.

En remplacement de ses petites bottines usées, ses sandales ont quitté ses pieds sous la dextérité de mes doigts agiles, laissant derrière elles la marque effilée des lanières probablement un peu trop étriquées. Ses épaules colorées depuis peu par le soleil méditerranéen supportent non sans peine les minuscules bretelles que deux boutons ridicules maintiennent sur son corps, épousant comme il se doit les formes timides de sa poitrine. Enroulée autour de sa taille, une ceinture volage n’hésite pas à cintrer le tissu, accentuant ainsi la courbure de ses fesses, profilant à souhait ses seins cachés discrètement derrière un décolleté adorable où je ne demande qu’à me liquéfier.

Ainsi vêtue, Harmonie est resplendissante, trop sexy lorsque ses jambes disparaissent naturellement derrière l’ondulation artificielle du tissu, source de tous les fantasmes, affres de délectation où la convoitise n’est en rien épargnée par le désir d’apercevoir, de toucher, de posséder et ce, sans même ignorer toutes les richesses qui s’y cachent.

J’ignore l’origine de cette attirance sournoise, de ce centre névralgique qui impacte mes sens, les éveille sans ménagement aucun, les rend fou du désir animal où tout est chahuté, chamboulé dans les fondements les plus reculés de mon esprit, les plus innés de mon corps. Je n’ai de cesse d’assouvir ces pulsions primaires, de laisser libre court à mes pensées vagabondes qui imagent sans honte ni censure. Dépassé par mes démons, je tente désespérément de reprendre le contrôle de mon moi le plus profond. Je vais y arriver... Et j’y arrive grâce à elle, grâce à l’amour démesuré que j’ai pour elle, ce sentiment magnifique d’être important à ses yeux, pour l’amour qu’elle me donne aussi en retour et qui sans savoir pourquoi, me place sur un nuage de volupté.

Je dégrafe tout en douceur l’atèle qui maintient son bras attaché et avec un feutre égaré, je m’applique à dessiner rapidement des formes surprenantes sur le plâtre blanc encore vierge, dans la continuité des tatouages qu’il recouvre ; des cœurs, des lèvres, mille baisers, un chat parce que j’adore les félins domestiques. Harmonie me regarde de ses yeux amusés.

- C’est un chat ça ?

- Bon ! Ça y ressemble quand même, non ? Il a quatre pattes, une queue, une tête et deux oreilles. Ce n’est déjà pas si mal. En plus tu as reconnu ; le Graal de la consécration de l’artiste...

- Mouais ! Même Pablo n’aurait pas fait mieux.

- Pablo ?

- Ben oui quoi ? Pablo Ruiz Picasso.

- Évidemment. Qui ne connaît pas Picasso ? J’aurai pu lui donner des cours quand j’étais petit mais j’ai hésité.

- Pfff ! Tu me fais trop rire Patrick. Toi en couche-culotte devant le maître du cubisme, je ne te connaissais pas aussi prétentieux mon chéri.

- C’est mon côté artiste brimé qui revient parfois au galop. A cette époque, j’avais presque autant de talent que lui mais je n’ai trouvé personne pour miser ne serait-ce qu’un euro sur ma carrière ; le drame d’une vie.

- Oui, sûrement. Tu sais que Picasso avait recueilli un chat errant ? Il l’a appelé Minou. Bon, ce n’est pas ce qu’il y a de plus excentrique mais c’est amusant parce que moi aussi j’en ai adopté un.

- Tu as adopté un chat ?

- Un minou, oui et il adore être caressé pour peu qu’on sache prendre soin de lui.

- Oh toi ! Je te vois venir avec tes gros sabots. Tu vas voir comment je vais te le chouchouter ton minou.

Je pose le crayon-feutre sans plus attendre, prêt à m’occuper de ce passager clandestin réfugié sous sa robe. La ceinture détachée, les bretelles libérées, le tissu s’affaisse sur ses hanches, dégageant la poitrine d’Harmonie, des seins magnifiques, tout petits, exacerbés, rebelles à souhait.

J’adore leur fermeté, leur forme, leur consistance et plus que tout, leur couleur qui dénote étrangement sur le voile hâlé de son corps, un soutien-gorge virtuel ni tissu ni dentelle qui les habille si subtilement, si simplement, tout en contraste ; pur raffinement.

Je veux succomber au plaisir suprême de lui retirer cette robe arrogante restée suspendue à ses hanches mais surtout, je veux prendre mon temps pour la découvrir comme une première fois car avec Harmonie, c’est toujours la première fois. Pourtant, je connais la position de chaque grain de beauté, de chaque aspérité, de cette toute petite tâche de vin qui orne sa nuque, perdue sur la ligne arrière de ses cheveux, de ce petit cœur gravé sur sa peau, aux initiales à moitié effacées qui m’intrigue. J’apprécie son odeur, sa douceur, sa chaleur.

Le rire feutré d’Harmonie envahit toute la pièce, rebondit sur les murs comme un écho inépuisable avant de se dissiper discrètement, comme absorbé par la nuit.

- Chut ! Les filles vont nous entendre

- Penses-tu, elles dorment à poing fermé à cette heure-ci. Elles étaient déjà KO dans la voiture.

Et la course folle a commencé. D’abord autour du lit, puis derrière un guéridon où ma bien-aimée est parvenue à se réfugier non sans mal et c’est au moment où elle a voulu s’éclipser prestement de la chambre, toute fière de s’échapper aussi facilement que sa robe, encore accrochée sur ses fesses l’a quittée. Les pieds embourbés dans l’étoffe, un peu en panique vu le cri qui s’est échappé de sa gorge et le juron de charretier qui a suivi, je n’ai eu de cesse de la rattraper, amortissant sa culbute, avant qu’elle ne s’affale sur le parquet. Par chance, rien de cassé cette fois-ci.

- J’ai failli me vautrer encore une fois. Heureusement que tu étais là pour me retenir.

- Tu as failli ? Non, tu t’es vautrée lamentablement. Dis-moi ! Tu n’aurais pas des prédispositions pour la chute ?

- Des prédispositions ? Oh si ! Albert Camus, mille-neuf-cent-cinquante-six.

- Trop drôle ma chérie. Comment sais-tu tout cela, avec autant de détail ?

- Je te l’ai déjà dit, je pourrai t’en apprendre bien plus que tu ne penses mais tu préfères me regarder en marginale, et pour toi une marginale est forcément inculte ; il ne peut en être autrement. Peut-être que c’est plus facile pour ton alter ego de me voir comme ça ?

- N’importe quoi ! Pour l’instant je te vois surtout en petite culotte avec ta robe en bas des pieds et ça pour moi ce n’est pas facile parce que tu m’excites. On verra le reste après.

- Pfff ! Le corps et l’esprit.

- Qu’est-ce que tu racontes ?

- Pour l’extase, il faut que l’esprit soit en phase avec le corps sinon ça ne marche pas bien.

- Je comprends rien. Qu’est-ce que ça vient faire ici ?

- C’est de la psychologie.

- Ah ? Et on a besoin de ça pour faire l’amour ?

- Tu peux essayer sans mais tu prends un risque.

- Et qu’est-ce que je dois faire pour éliminer le risque ?

- M’embrasser tendrement, m’emmener délicatement sur le lit, me caresser longuement, me regarder en tant que femme amoureusement, m’admirer, me chérir, m’aimer très fort, me faire rire, me faire pleurer aussi de plaisir, me faire crier, me faire hurler, me combler.

- Mais je te fais déjà tout cela.

- Ben non puisque je ne suis pas encore sur le lit et j’attends toujours que tu m’embrasses.

- Ah ok ! On va remédier de suite à ces lacunes impardonnables.

Dans mes bras, Harmonie n’est plus qu’un poids plume. Je la dépose délicatement sur les draps, laissant sa robe avachie, chiffonnée en tas près de la porte.

- Tu ne devais pas m’embrasser avant ? S’enquiert-elle avec un sourire malicieux.

- Tu ne serais pas devenue un peu chieuse à tout hasard ?

- J’aime bien te taquiner et comme parfois tu ne te gènes pas avec moi, aujourd’hui, c’est ma revanche.

Les lèvres d’Harmonie se sont mises en quête des miennes et avant de les trouver, elles se sont baladées un peu partout sur mon visage, déposant çà et là quelques bonheurs à savourer de suite, de magnifiques cadeaux déposés avec une douceur inouïe et partout sur leur passage ma peau en redemandait encore, comme un enfant gâté, insatiable à qui rien n’est refusé. Et nos souffles se sont unis, tendrement pour commencer puis de plus en plus diaboliquement. Nos mains se sont jointes à nos baisers pour appuyer encore davantage son visage angélique contre le mien, son minois de gamine puérile, son regard de petite fille heureuse et comblée. Sa petite culotte a démissionné et nos corps se sont mêlés instinctivement à la mélodie amoureuse, timidement pour commencer puis de plus en plus audacieusement, jusqu’à ce que nos intimités se frôlent, se courtisent en silence, heureuses de se retrouver enfin.

Les draps froissés par nos interprétations divergentes du « Kama Sûtra », nos corps serrés l’un sur l’autre, l’un contre l’autre, une chevelure qui se pose sur mon torse, un bras qui s’aventure autour de ma tête, Harmonie reprend vie tout doucement. Dans ses yeux délicats et humides, le rêve troublé d’une femme éperdue, ses doigts qui se promènent machinalement sur mon épaule pour finalement venir chercher refuge dans mes cheveux, près de mon oreille ; des mouvement non contrôlés, réconfortants, silencieux et puis un sourire fugace qui se dessine aussitôt remplacé par un rire franc et généreux. Harmonie relève sa frimousse fatiguée et de son regard le plus insolent, plongé dans le mien, sans aucune gêne et avec une provocation immense, elle trouve la force de me chuchoter quelques mots.

- Tu n’as pas fait les choses à moitié même si dans le lit, je trouve que ça manque un peu d’originalité.

- Tu exagères, c’est toi qui m’a demandée de t’y amener.

- Ah ! Tu m’intéresses. Tu aurais vu quoi alors parce que si c’est fun, je veux bien recommencer ?

- Pfff ! Tu es infatigable. Il est trois heures du matin et je te rappelle que tu dois être en forme. José compte sur toi et je crois bien qu’il ne sera pas le seul.

Sa tête est retombée lourdement sur mon torse et presque aussitôt, sa respiration a trouvé un rythme régulier. Je laisse un baiser plein d’amour sur cette chevelure désordonnée. Je contemple une dernière fois ce corps magnifique qui a su me donner tant de plaisir avant de la rejoindre dans ses songes, emportant avec moi cette sérénité confiante, son sourire indélébile.

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