CHAPITRE 4 - MAISON & OPTIONS
Garance et Louis ont à peine eu le temps d’arriver à Johannesburg et de se reposer, qu’ils étaient repartis pour sceller la signature d’un nouveau marché au Kathy’s Palace Bar, un rooftop (bar et/ou restaurant situé sur le toit d’un immeuble, très à la mode en Afrique du Sud).
Cependant, un message d’Anabelle avec un N perturbait Garance. Elle s’étonnait que son personnage, si jeune, s’exprime comme quelqu’un de beaucoup plus âgé.
Après avoir longuement réfléchit, elle avait une idée de ce qu’elle pourrait lui répondre et inclure dans un prochain chapitre. Quelque chose du genre : « quand on est élevé par des personnes d’un certain âge pour être baisée par des clients d’un âge certains, on adopte leur langage en première langue. On l’écrit donc aussi »
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CHAPITRE 4 - MAISON & OPTIONS
Tes pieds douloureux croyaient en leur repos au pied de ton immeuble. Ils avaient oubliés les nombreux escaliers, dont tes oreilles devinaient les sarcasmes. Tu aurais pu te déchausser ! Cependant, la survie de ton unique paire de collants t’emporta, chaussée, sur les marches interminables d’un sommet perdu dans la noirceur nocturne.
Sur la toute dernière marche, ta clé avait décidé de te jouer un remake de « Seul au Monde » dans les tréfonds de ton sac. A la limite de l’hystérie, tu avais sorti ta robe pour voir ton sésame se mettre à jouer un air de ding-ding-ding en dévalant les escaliers au rythme du ploc-ploc-ploc de la petite boule de billard de ton porte-clés. Épuisée, tes larmes auraient sans doute aussi dévalé les marches si elles avaient été des perles.
La minuterie avait choisi ce moment pour en terminer avec son décompte final, final comme ta clé qui disparaissait dans la sinistrose de cette cage d’escalier. Au bout de ta vie, tu avais hurlé dans ta robe, puis déboutonné mon manteau pour te reprendre un instant, pensant que Vendredi devait vraiment se foutre de ta gueule ! Décidant finalement de te poser sur cette dernière marche, tes fesses y restèrent moins d’une seconde, passant en mode congélation critique sur la pierre glacée, ton minou contracté et aussi resserré qu’une tapette sur le cou d’une souris. Effet : rétablissement des connexions internes, torche du portable allumée, toc-toc-toc de tes talons pour te venger des marches, et clés en main, tes dix-huit mètre-carré t'accueillaient enfin, ton monde à toi, ton petit chez toi à toi.
Laissant derrière la porte ce strip-tease à La Nuit, tu avais accroché ton manteau à la patère, comme l’ouvrier rangeant son bleu en fin de journée, pour ensuite ôter de ce qu’il restait de ta tenue de travailleuse (du sexe, c’est vous qui l’avez dit !). Tes pieds se décontractaient à retrouver la moquette grise et épaisse ! Te posant un instant sur ton lit une place, tes yeux firent à nouveau le tour de cette pièce où tout était petit, la salle d’eau, la kitchenette, le réfrigérateur, la télé, pas la chaise (normale) poussée sous le petit bureau… mais c’était chez moi, ton premier chez toi, là où personne ne pouvait t’atteindre, ou régnait la paix.
Dans la douche, l’eau brûlante emporta Martin et cette journée dans les tourbillons de la bonde. Tu pensais à tes humeurs, à la façon dont tu passais de l’angoisse à l’optimisme, de l’appréhension à une absence où il n’y avait ni gêne, ni dégoût, et moins encore de colère. La seule traduction que tu y trouvais, c’était un sentiment d’abandon à la satisfaction de ton client, tel que cela t’avait été enseigné. Il n’y avait rien eu pour toi dans ces deux rendez-vous, sauf, tu étais devenue une call-girl, préférant finalement ce terme, donc il te fallait aimer et le montrer même si c’était faux.
Dans ta nudité, pour éprouver la chaleur de ta couette, tu avais regardé les couleurs de la nuit filtrer à travers ton rideau. Tu étais Garance la petite grenouille alias « BigTitsRedFrog », ce qui était toujours mieux, mieux que « la grenouille rouge aux gros nichons ». C’est ce que tu étais, une crevette avec deux obus alors que le sommeil qui t’emportait et ne t’épargnerait pas les prémisses d’un rêve sous le soleil d’un hôtel des sixties au parfum de pin-up…
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Les grondements de ton estomac résonnaient comme un réveil assourdissant pour t’extraire de ton sommeil. Le jour était levé, quelle pouvait-il être ? Ce dont tu étais certaine, il ne faisait pas vraiment beau. Il ne te fallut que deux pas pour écarter le rideau de ta fenêtre en chapiteau sur la grisaille et l’humidité extérieure. Cette lucarne posée sur la toiture de ton immeuble était ta vigie sur les sommets de la ville. C’était ton spectacle nocturne et scintillant ou diurne et cotonneux avec la forme changeante des nuages en pleine course.
La télé branchée sur une chaîne musicale diffusait en fond sonore le « Never Let Me Down Again » de Depeche Mode pendant que tu dégustais ton bol de mueslis, même s’il serait bientôt midi. Ne sachant pas dans quel état tu serais, tu n’avais pas posé de rendez-vous aujourd’hui. Avec le recul de la nuit, tu te sentais bien, ajoutant non sans une certaine résignation que de toute façon aucun repli n’était possible, c’était ce pourquoi tu avais été façonnée. Il s’y ajoutait, malgré ton objectif un sentiment de liberté et la possibilité de faire tes propres choix.
Des frissons et tes tétons tendus vinrent te rappeler que tu étais toujours nue. Dans ton casier, tu avais fini par choisir un maxi marcel noir tombant au-dessus du genou, une culotte en coton rose confortable puis un legging de sport noir. Un croq-top rouge découpé dans un sweat à l’effigie des Five Fingers Death Punch venait compléter le tout.
Enfin réveillée, tu avais allumé ton ordinateur portable pour faire le point de ton profil, de tes « options » et enfin de tes messages, un thé vert ne serait pas de trop. Pendant que l’eau montait en température dans le micro-onde, tu te souvienais de l’ambiance vintage dans laquelle tu t’étais endormie. Le veilleur de nuit serait-il d’accord pour te louer une chambre que tu habiterais des hommes tapinés en arpentant le trottoir. « Argent facile » disait John Connor dans Terminator II. Tu serais habillée d… stoooooop ! Bien que cette idée ait chatouillé ton entre-jambe tu l’avais repoussée dans un coin de ton esprit.
Tu avais posé ton mug fumant et sa sous-tasse sur le bureau, tout en te disant de ne pas être trop longue afin de pouvoir aller à la friperie pour te trouver d’autres tenues, peut-être aussi que la gérante pourrait réparer la fermeture éclair de ta robe…
Tu ouvrais enfin le site « Escorts & Vous », toujours éblouie du kaléidoscope de rouge et d’or. Il s’y mêlait des photos de filles toutes plus belles les unes que les autres sur un fond de temple grec décoré de volutes de branches de vignes et de statues dénudées. Tu te souvenais du temps infini passé à t’inscrire pour satisfaire à la sécurité du site.
Il te fallait ensuite ajouter deux séries de photos. Une première anonyme, de présentation, réalisée en lingerie ou maillot de bain, puis une seconde nue avec le visage. Tu avais eu recours au photographe recommandé par le site sur mon secteur. C’était un homme sympathique, entre deux âges et particulièrement respectueux, mais surtout d’un grand professionnalisme. Il avait su rendre la séance ludique, malgré ton appréhension, puis il fallait que le client puisse choisir.
Ton visage ressemblait à celui de l’égyptologue Colleen Darnel, bien que le tien fussent à plus rond avec un nez moins prononcé et légèrement plus épaté. Vous aviez ces mêmes grands yeux qui t’avaient donné ce surnom de petite grenouille. Mais votre ressemblance s’arrêtait là avec ta petite taille, un mètre cinquante-quatre et tes quarante kilos les mois d’abondance. Pour les anglophones, tu étais une skinny girl, pour les francophones, squelettique parce qu’on pouvait jouer au xylophone sur tes côtes. Tu pouvais manger où non, ton physique ne bougeait pas, taillé en huit avec des hanches marquées, des fesses rebondies et une poitrine généreuse.
Ta coupe à la garçonne des années vingt n’avait pas facilité le travail du photographe qui avait dû composer entre position de bras et port de tête pour masquer ton visage. Pour les photos nues, et grâce à son assistante, il t’avait montré une femme à deux visages, l’un juvénile avec un maquillage basique, l’autre ultra féminin, voir ravageur, avec un maquillage sophistiqué, sans être vulgaire. La séance t’avait permis d’apprécier ton corps, même son côté osseux. C’était si nouveau et libératoire, que tu avais accepté de poser à nouveau pour lui qui te trouvait une ressemblance plus prononcée avec Louise Brooks.
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Sur le site, le curieux n’a accès qu’aux photos sans visage et au pseudo. Pour accéder aux profils, le visiteur doit s’inscrire et s’acquitter d’une redevance mensuelle de quelques dizaines d’euros. Il peut ainsi accéder aux photos dénudées (non captables), aux prestations, ainsi qu’aux évaluations.
Le système d’évaluation est double pour le client. Il y en a une publique pour le site et une destinée au webmaster qui permet de monter en classe et donc en clientèle. C’est un peu comme les niveaux de difficultés dans les jeux vidéo. On commence novice et ensuite débutante, débutante-confirmée, confirmée et enfin accomplie. Les escorts portent de leur côté des appréciations sur le comportement ou le caractère du client avec un lettrage codifié.
Pour en revenir au site, il tient notre agenda et calcul le temps de transfère au plus juste. C’est à nous de mentionner nos indisponibilités. Aucune annulation n’est autorisée sauf certificat médical, si on annule un rendez-vous moins de vingt-quatre heures à l’avance, ou en cas de défection, on dédommage le client au double de la prestation. La prise de rendez-vous est facturée au client, mais celui-ci nous paie directement jusqu’à une certaine somme. C’est une sorte de secrétariat à distance. Le client obtient un numéro qui nous transfère les appels.
Les escorts ne fixent pas elles-mêmes le montant des prestations. L’heure est à cent cinquante euros et les options elles, sont forfaitaires. Ça a l’avantage d’être simple et pratique quand on débute et qu’on ne sait pas trop.
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Accédant à la liste des prestations optionnelles, tu t’étais souvenue de pourquoi tu l’avais remise à plus tard. Elle ressemblait à celle du contrat que Christian Grey soumet à Anastasia Steel dans « Cinquante Nuances de Grey », mais il n’était plus temps de reculer…
Sur ton site d’escorting, tu avais pris le pseudonyme de Lyv, bien qu’ayant hésité, sans trop savoir pourquoi avec celui de Poppy, et les options étaient multiples. Tu avais refusé le fist, qu’il soit vaginal ou anal, de fait, accepté les relations anales, accepté les accessoires dit classiques, rejeté le bizarre comme la scatologie et après une longue hésitation dit pourquoi pas à la douche dorée, te disant que ce pourrait être marrant.
Tu en étais à te demander ce que pouvait être les demandes particulières dont la tarification était doublée ou négociée avec le site. Lisant plus avant, tu avais compris que cela recouvrait notamment des scénarios ou des lieux particuliers pour lesquels tout frais supplémentaires, costumes et accessoires seraient pris en charge par le client. Tu t’étais dit également, pourquoi pas, si ça pouvait te permettre de gravir les échelons plus vite. Celui qui était le tien, novice, ne te donnait pas accès aux dernières questions sur la pratique du BDSM, ni à la possibilité de choisir tes clients.
Tu avais validé tes options, étant désormais aussi bien équipée qu’une voiture haut de gamme. C’est ce que tu étais, un objet de convoitise choisi sur catalogue, et pour aussi avilissant que ce soit, c’était la marche vers la vie qui avait été choisie pour toi. Tu la sentais aussi inexorable qu’infinie, y aurait-il autre chose pour toi un jour prochain ?
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