Brume matinale
Par la baie vitrée de sa cuisine, Anton Greenhalgh observait les volutes de brume matinale s'enrouler autour des mélèzes jaunissants.
Une bonne idée de venir s'installer ici, loin du tumulte new-yorkais et de son divorce coûteux. Peut-être retrouverait-il aussi l'inspiration pour un nouveau roman.
Depuis son arrivée dans les montagnes du Vermont, il avait pris l'habitude de marcher une heure ou deux avant de s'installer derrière son bureau.
Dans sa besace, il fourra ses habituels carnets de notes, sa trousse et un restant de viennoiseries de la veille. Café en main, chapeau sur la tête, il remonta l'allée jusqu'à la route.
De là-haut, il distinguait à peine sa maison. Les ombres autour de chez lui semblaient étonnamment épaisses ce matin. On aurait presque dit que la forêt respirait doucement. S'il avait été auteur de romans fantastiques, il aurait aussitôt imaginé des choses se promenant dans le brouillard à la manière d'un Stephen King ou d'un Lovecraft.
Personne ne le revit.
Il se passa trois jours avant que sa femme de ménage ne signale sa disparition. Tout ce temps, elle le pensait parti se promener dans les Black Hills derrière la maison. Bien des mystères entouraient les collines. Elle l'avait vu toutes ces semaines, devant son ordinateur, produire puis tout effacer d'un geste rageur. Elle ne connaissait pas grand-chose à l'élaboration littéraire mais peut-être avait-il trouvé une autre approche, qu'il étirait ses balades ou cherchait une inspiration nouvelle.
Au shérif, elle ne sut dire ce qui l'avait poussé à prévenir la police. Peut-être le rôti oublié dans le four depuis le début de la semaine ou une vague impression de vide qui s'installait dans le chalet.
Marquée par l'étrangeté de la journée, elle rentra chez elle, troublée. Cette nuit-là, elle fit un rêve étrange. Une paire d'yeux rouges l'observaient depuis le sous-bois et attendaient. Elle se réveilla en sursaut. Il était 3h15.
Le shériff Michael Mathieu organisa une battue dans le comté mais Anton Greenhalgh ne fut jamais retrouvé. Ni vivant ni mort. Un volontaire tomba sur le chapeau de l'écrivain, déchiré comme s'il avait servi de jouet à un ours.
Un an plus tard, juste avant les premières neiges, l'affaire fut relancée quand des chasseurs trouvèrent une besace en cuir portant les initiales A.G. ; à l'intérieur, un carnet gondolé d'humidité.
Un journaliste émit l'hypothèse d'une fuite délibérée vers le Canada pour se faire oublier mais le shériff Mathieu savait.
Parfois, par ici, la forêt prenait.
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