CHAPITRE 6 - La cour des grands

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Septembre. Encore une nouvelle rentrée. Et ce devoir de peupler ce lycée, remplis de jeunes en costumes ou en tenue de cuistot, cherchant désespérément leurs chambres dans cet internat vieillissant. Moi j’étais au premier étage, à côté d’une chambre de quatre jeunes filles qui ne semblaient pas très bien prendre le privilège que j’avais : avoir une chambre toute seule, à cause de mes allergies à la poussière. J’étais tellement mal. On avait vécu un été agité avec Estèphe. Sa mère avait eu un cancer du sein, lui avait dû passer son permis, son bac et son brevet de pompier quasiment simultanément, devant également trouver un logement sur Condates ainsi qu’une voiture. De mon côté, c’était tendue avec Dieter, qui semblait continuellement à fleur de peau. Ma fin d’année au collège de Kalnach avait été longue du fait que je savais que je n’avais rien à faire là. Et cette rentrée à Yurin Avacarium était pour moi assez paradoxal. D’un côté j’étais excitée de commencer les cours, mais de l’autre je ne supportais pas qu’on m’ait obligé à partir de ma chambre, chez moi, à Miniusacum. Je le vivais comme une trahison. Mais d’après Sophone, ma mère, c’était pour me rendre autonome … La bonne blague.

Les cours commencent, avec leurs lots d’informations assez complexes. En tant qu’interne, on doit réexpliquer aux professeurs que non, le mot qu’ils viennent de nous donner ne sera pas signer de la main de nos parents d’ici mercredi, car on ne rentre pas chez nous. C’est pénible, usant. Un peu comme ces deux filles qui semblent être les populaires de ma classe : Esma et Joddie. Elles passent le plus clair de leur temps à glousser comme des dindes, et à se plaindre de tout et de rien. Après un énième cours de sciences appliquées, je retourne à mon casier pour prendre ma mallette de couteaux et ma tenue. Quand je relève la tête, j’aperçois au loin Myriam, qui discutait avec Mad, une autre fille avec qui on était à Plouhern. Au moins, ça me fera un visage connu et amical. Une fois mes affaires récupérées, je cherche mon cadenas pour fermer mon compartiment mais impossible de mettre la main dessus. En me retournant, je me rends compte que ce sont des élèves de première qui l’ont. Je tends la main gentiment, pour le récupérer, quand ces derniers préfèrent se moquer, jouer avec moi, pour finalement le lancer dans le fond du couloir, au pied d’un surveillant. J’ai l’impression de revivre une énième fois un cauchemar : le harcèlement recommence, et ses conséquences avec.

A l’internat ce n’était clairement pas mieux. Les filles d’à côté s’amusaient à me stresser quand j’étais sous les douches, ou à aller dans ma chambre me voler mes affaires, les mettre par terre. J’en pleurais quasiment tous les soirs. Heureusement qu’Estephe me laissait un de ses tee-shirt le week-end, il faisait office de substitut et de doudou en attendant le prochain. Je commençais également à sortir hors du lycée quand je n’avais pas cours, afin de m’aérer. Je descendais dans le centre de Poudouvre, ou sur la plage du Clair de Lune, avec d’autres élèves comme Cillian, Céllian et Heimrik. On écoutait le bruit de l’eau et du reggae, discutant de tout et de rien sur du Dub Inc. Une fois, je suis juste descendue avec Céllian, car c’était un de ce avec qui je m’entendais le mieux dans la bande. On part se promener sur le chemin longeant la plage, comme à notre habitude, quand soudain il m’invite à m’asseoir sur un banc. On discute un peu, et je sens que quelque chose ne va pas. Soudain, il s’est rapproché de moi et a essayé de m’embrasser. Je me suis levée, en lui collant simultanément une gifle monumentale : il m’a pris pour qui celui-là ? Je suis en couple moi ! Suite à cela, j’en ai parlé avec les deux autres, en leur demandant de ne plus me laisser seul avec Céllian, et on a progressivement arrêté de se parler. Un peu choquée par ce manque de respect et juste de correction, je reste plus souvent avec Guewen, Erwin et Niklas en salle informatique, à discuter. Avec eux on rigole, on pense à autre chose. Ce petit nuage de liberté ressemble à une bulle d’oxygène. Plus ça va, plus Guew et Nik ressemble de plus en plus à des amis, de véritables amis.

Il y a un autre élève avec qui je passe le plus clair de mon temps : Thémis. C’est un garçon super sympa, en cuisine, comme moi. Il devient rapidement un de mes meilleurs amis. On se promène dans Poudouvre, on va boire des verres avec le reste de sa bande … Un souvenir qui me reste en mémoire et qui me manque beaucoup, c’est cette soirée où on est allé discuter près du restaurant gastronomique du lycée, assis sur l’herbe, juste tout les deux. Dis comme ça, ça peut paraître ambigu. Pourtant, il n’en est rien. C’était juste devenue mon confident, mon meilleur allié dans cet établissement que je haïssais de plus en plus. Mais rapidement, les choses se sont envenimées. Des élèves nous avaient vu ce soir-là, et sont aller raconter ça à tout le monde, en enjolivant la réalité. D’autres problèmes ont suivi, et Thémis n’a plus voulu me parler, contenant en lui une rancune impressionnante. J’ai dû me résoudre à continuer d’avancer sans celui qui était devenu mon meilleur ami. Résultat ? Je passais le plus clair de mon temps près du babyfoot, dans le foyer, ou avec Pauline et Heimrik. Les pauses se faisaient de plus en plus longues. Les cours aussi d’ailleurs. Les heures passent, les jours aussi, et je me rends progressivement compte que la cuisine ne sera pas mon métier : je suis hémophobe, je n’ai pas le caractère pour, et ma santé est aussi fragile et instable qu’un jeu de mikado.

Pendant que je restais dans ma cage dorée, Estephe lui était parti faire son BTS sur Condates. On se voyait tous les week-ends, mais la semaine, entre mon manque de réseau téléphonique et internet, et lui et ses sorties sans forcément me prévenir au préalable, c’était souvent très tendue entre nous. Et le stage à venir de mon côté n’allait rien arranger : je dois aller pendant un mois au Domaine de l’Ulmus. Vu la distance entre mon lieu de formation et Miniusacum, pas le choix : je dois dormir sur place. L’idée de dormir dans le domaine ne me change pas énormément de l’internat, et le lieu est plutôt sympathique. J’arrive donc sur place, je m’installe dans ce petit appartement très champêtre et j’essaie d’appeler Estèphe. Mais il ne répond pas … Je commence à m’énerver, quand je m’aperçois qu’il n’y a pas une once de réseaux … Je me suis alors effondrée en pleurs, réalisant que j’aurais énormément de difficultés à rester en contact avec mon bien aimé. La première semaine se passe, avec des tâches plus ou moins ingrates : la plonge, l’épluchage. A l’approche du week-end, nous devions recevoir un groupe du Rotari, et une de mes responsables m’avait affecté à la mise en place des desserts, des crèmes au chocolats maison. J’avais assez aimé la simplicité de la chose, au vu du résultat.

Mes deux jours de repos passent, on en profite beaucoup tout les deux, conscient de la rareté de ces moments. Une deuxième semaine s’entame, mais rien à voir avec la première : insultes, moqueries, vol de matériel, bizutage excessif sur le deuxième stagiaire présent … Je pleure à chaude larme en rentrant ce soir-là. Je suis censée avoir à faire à des adultes … J’essaie de me dire malgré tout que c’était la journée qui voulait ça, que ce sera mieux demain. Mais le lendemain, c’était encore pire. C’est décidé : j’appelle mes parents et Estephe, je rentre à la maison. Ce stage m’aura permis de comprendre que je n’en ferais jamais mon métier si c’était pour devenir comme eux. Je m’empresse donc de prévenir mon responsable, Craig. Je n’aurais peut-être pas dû. Le soir même je fais mes valises, m’endormant relativement sereinement à l’idée de rentrer chez moi, et surtout de revoir Estephe : c’était décidé, je partais sur Condates le retrouver jusqu’à ce que les cours reprennent. Le lendemain matin, mes parents arrivent, et nous filons récupérer ma mallette de couteaux en cuisine. L’équipe de service nous sert gentiment une boisson chaude que nous nous empressons de déguster quand Craig arrive : il demande un entretient, pour parler des raisons de mon départ. Une fois l’entrevue passée, je vais en cuisine récupérer mes affaires, quand je m’aperçois que ma caisse est ouverte, et qu’il ne reste pour ainsi dire rien dedans ! Je n’en reviens pas … Le jeune stagiaire était déjà parti, donc ça n’était pas lui, et seul l’équipe de cuisine avait accès à la pièce sur ce laps de temps. Je suis furie : cette mallette vaut plus de 300€ ! Et j’en ai besoin pour finir l’année scolaire …

S’en suit un démêlé pour récupérer au moins du matériel, avec l’aide de mon responsable de stage. Plus ça va, plus j’en ai marre : c’est décidé, l’année prochaine je change de filière et de lycée. Mais on ne peut pas dire que cette nouvelle ravisse mes parents … Mon année hôtelière leur a coûté très chère, sans compter l’internat. Mais rien à faire, je n’y retournerais pas. Cependant, il va falloir que je me réoriente, il me faut au moins un baccalauréat … Vers quelle filière aller ? Le bac STAV ne m’intéresse plus, puis si c’est pour être rejeter une fois de plus, ce n’est pas la peine. La photographie est une carrière trop risquée, trop incertaine. La décision devient urgente, l’année scolaire se termine : je dois trouver une réorientation facile, qui recrute et où il y a de la place. Je ne veux plus de l’internat, donc je dois faire avec les réseaux de bus, ce qui complique encore plus ma recherche. Après plusieurs semaines de demande et de refus, un lycée m’accepte : celui de Kanata, à Kalnach. Je m’envole donc vers une filière professionnelle, celle du commerce. Mais quel ne fût pas ma surprise à la rentrée, quand je me suis aperçue que nous étions une classe de 37 élèves ! Les cours promettaient d’être agités …

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