Chapitre 11

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Sa pensée s'arc-boutait avec une virulence particulière sur une certaine catégorie de techniques de drague qui, à ses yeux, relevaient moins de la séduction que d'une forme de prédation opportuniste.

Ces tentatives lourdes, insistantes, qui semblaient considérer l'objet du désir non comme un alter ego à découvrir, mais comme un territoire à conquérir, une forteresse à prendre d'assaut. Et au pinacle de cette abjection morale trônait, sans conteste, l'idée nauséabonde de l'alcool comme arme de persuasion, comme un dissolvant de consentement. L'insistance visqueuse pour "encore un verre", le regard appuyé pendant l'hésitation, la pression larvée pour franchir cette ligne trouble où la lucidité s'évapore – il y discernait une négation fondamentale de l'autonomie de l'autre, une réduction de l'être à un simple réceptacle de désirs égoïstes.

Les vantardises écoeurantes de ceux qui se gargarisent de leurs conquêtes obtenues dans la brume éthylique lui laissaient un arrière-goût de cendre et de mépris. Où résidait la sincérité d'un désir ainsi obtenu ? Quelle authenticité pouvait émerger d'une nuit dont le souvenir était fragmenté, lacunaire, teinté de regrets diffus ? C'était, à ses yeux, une effraction émotionnelle, un viol de la conscience à coups de spiritueux.

Pourtant, son aversion pour cette bassesse ne l'empêchait pas d'observer, avec une distance clinique teintée d'une ironie parfois amusée, parfois profondément désabusée, les codes plus subtils qui orchestraient les prémices de l'attraction. Il y avait, il le reconnaissait, une part de vérité déconcertante dans l'axiome du premier regard, cette évaluation instinctive, cet entretien d'embauche silencieux où une posture, un infime éclair dans les yeux, une manière singulière d'habiter l'espace pouvaient communiquer une infinité de choses que les compliments les plus élaborés peinaient à exprimer. Il y avait cette alchimie cérébrale insaisissable, cette résonance intellectuelle qui défiait toute logique algorithmique, cette évidence que l'attraction ne se décrétait pas par un simple "match" numérique.

Dans cette équation humaine complexe, il avait toujours privilégié l'art de l'écoute, la capacité à tendre une oreille sincère valant bien plus qu'un flot ininterrompu de paroles vides de sens. Mais le langage lui-même était une arme à double tranchant dans ce jeu délicat : un vocabulaire trop sophistiqué érigeait des murs d'incompréhension, tandis qu'un lexique trop fade signalait un manque de profondeur, une absence d'étincelle. Trouver le point d'équilibre, la langue commune qui révélait à la fois une intelligence et permettait une connexion accessible, restait un exercice d'une finesse exquise.

Il observait souvent avec un scepticisme amusé ceux qui s'évertuaient à "faire le clown", à multiplier les pitreries et les anecdotes dans l'espoir d'attirer l'attention, y décelant souvent une angoisse sous-jacente, un besoin désespéré de validation.

La véritable séduction, selon sa perspective, émanait d'une forme d'authenticité, même parsemée de maladresses. Être soi-même, avec ses silences inconfortables, ses hésitations et ses singularités, possédait une force d'attraction bien supérieure à n'importe quel rôle appris par cœur.

Et au cœur de cette danse subtile des premiers échanges, il y avait un élément intangible qu'il considérait comme un catalyseur essentiel : la distance. Non pas une froideur calculée, une stratégie de manipulation émotionnelle, mais plutôt une forme de retenue naturelle, un espacement mesuré dans les rencontres qui permettait à cette insaisissable "phéromone" psychologique du manque de s'installer et d'opérer sa magie. Il observait avec une légère condescendance ceux qui s'enchaînaient à un rythme effréné, les rendez-vous qui se succédaient sans laisser le temps à l'absence de creuser son sillon.

N'y avait-il pas un risque inhérent de saturation, une dilution progressive du désir dans une présence trop constante, trop immédiate ? Pour lui, la rareté avait cette vertu d'attiser la flamme, l'éloignement temporaire permettait de cristalliser l'intérêt, de transformer une vague curiosité en une véritable envie de retrouvailles. C'était, à son sens, comparable à un vin précieux, qui nécessitait un temps de repos en cave pour développer pleinement la complexité de ses arômes.

Cette distance n'était pas une tactique consciente de domination, mais un besoin profond ancré dans son propre fonctionnement affectif. Il chérissait ses moments de solitude comme des sanctuaires nécessaires à sa régénération, des espaces où l'image de l'autre pouvait se déposer en lui sans la pression d'une présence intrusive. C'était dans le silence de l'absence que les détails insignifiants prenaient une importance nouvelle, que les souvenirs se revêtaient d'une aura particulière, que le désir de combler le vide se manifestait avec une acuité surprenante.

Il se souvenait de ces débuts de relations où l'intensité immédiate, bien que grisante, s'était souvent révélée éphémère, s'essoufflant rapidement faute d'avoir ménagé ces indispensables respirations. La distance, au contraire, permettait de construire quelque chose de plus solide, un désir qui mûrissait lentement, alimenté par le souvenir et la douce anticipation des retrouvailles. Pour lui, créer le manque n'était pas un jeu de pouvoir mesquin, mais une condition sine qua non pour que son propre intérêt perdure, un signe de respect mutuel, reconnaissant l'altérité et l'indépendance de l'autre.

Alors, dans ses rares tentatives d'établir une connexion, il veillait instinctivement à ne pas se montrer trop disponible, à ménager des silences éloquents et des espacements significatifs, espérant secrètement que cette même distance engendrerait chez l'autre cette douce impatience, cette envie de le revoir qui, à ses yeux, constituait la véritable et insaisissable phéromone d'une relation naissante.

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