Chapitre 15
Bien sûr que cette pensée, cette pulsion d'honnêteté brutale face à l'attraction, pouvait le faire passer pour un salaud, un égoïste sans cœur. Mais au fond, n'était-ce pas une part sombre et universelle de l'expérience humaine ? Qui n'avait jamais laissé son regard errer sur un corps étranger, son esprit vagabonder vers les territoires inexplorés du désir ? Qui ne s'était jamais surpris à imaginer les scénarios intimes, les étreintes furtives avec une autre personne, même fugacement, même dans le sanctuaire inviolable des rêves nocturnes ?
Ces appels silencieux, ces regards qui s'accrochent dans la pénombre d'un bar, ces sourires énigmatiques qui semblent lancer une invitation muette. Que faire de ces signaux ambigus, de ces étincelles fugitives qui court-circuitent la raison ? Faut-il céder à la curiosité, oser briser la glace et engager la conversation, ou se torturer dans un carcan moral, se répétant inlassablement le mantra du "non, je n'ai pas le droit" ?
La seule loi qui interdisait officiellement ce genre d'incursion dans le champ du désir autre, cette transgression potentielle des limites établies, n'était pas gravée dans le marbre d'un code civil. Elle portait un nom plus insidieux, plus diffus : la bien-séance. Le respect. Mais le respect de qui, au juste ? De l'autre, dont le cœur pourrait être blessé par une infidélité, réelle ou même envisagée ? De soi-même, en préservant une image de loyauté et d'intégrité ?
La question le hantait parfois avec une acuité dérangeante : se respecte-t-on vraiment soi-même en refusant un contact, une exploration potentielle du désir, dans le seul but de ne pas blesser l'autre ? N'y avait-il pas une forme de déni de soi dans cette auto-censure, une négation d'une part fondamentale de sa propre nature ? N'était-ce pas se construire une prison intérieure, faite de remords potentiels et de regrets silencieux ?
Il y avait cette tension constante entre le désir individuel, cette pulsion parfois irrépressible vers la nouveauté et l'exploration, et les contraintes sociales et morales qui régissaient les relations. Fallait-il sacrifier une part de soi au nom d'un idéal de fidélité parfois étouffant ? Fallait-il réprimer ces élans naturels au risque de les voir se transformer en frustrations amères et en regrets lancinants ?
Peut-être que le véritable respect résidait dans une honnêteté douloureuse, dans la capacité à reconnaître ses propres désirs, même les plus transgressifs, sans pour autant céder à leur impulsion destructrice. Peut-être que la bien-séance n'était pas une interdiction absolue, mais une invitation à la prudence, à la considération des sentiments de l'autre, sans pour autant nier la complexité et la parfois la contradiction des propres désirs.
Il restait pris dans cette énigme, oscillant entre la reconnaissance de ses propres pulsions et la conscience des conséquences de leurs éventuelles manifestations. Le désir volage était une ombre familière, un rappel constant de la fragilité des engagements et de la complexité de l'être humain, tiraillé entre ses instincts primaires et ses aspirations morales.
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