La fin de la téloche (4)
À cet instant, la lumière des néons a faibli. De forts grésillements ont empli la pièce, accaparant notre attention. Puis l’éclairage est redevenu normal, ce qui n’a pas empêché François Hollande d’entrouvrir la porte, flingue en main et d’inspecter « l’extérieur ». On n’est jamais trop prudent.
- C’est le risque, ai-je admis après quelques secondes de réflexion. Maintenant que les autorités sont sur le qui-vive, je sais que j’ai de fortes chances d’être tué pendant ce genre d’opération. Quoi qu’il en soit…
- Je ne parle pas de ça ! m’a coupé Sarkozy. Je vous parle de mourir vraiment. Accepteriez-vous de vous sacrifier pour la cause ?
Sa question avait été si inattendue et son ton si brutal que je suis resté sans voix. Ainsi, ils attendaient de moi que je donne ma vie.
Étonnamment, Macron a roulé des épaules comme celui qui l’avait précédé au pouvoir.
- Comprenez-moi bien, monsieur Covache. Pour lutter contre nos oppresseurs, nous devons passer à la vitesse supérieure. Nous ne pouvons plus nous contenter d’enlever ou d’assassiner leurs représentants les plus ostensibles. Pour réveiller le peuple, il faut aller plus loin, cogner plus fort, quitte à faire plus de dégâts.
Me voyant ouvrir la bouche, il a repris la parole :
- Nos ennemis possèdent les grands médias, ce qui leurs permet de diffuser à longueur de journée leur propagande. C’est là que nous devons les toucher ! Et c’est la raison pour laquelle nous avons répondu à votre sollicitation, monsieur Covache. Vous faites partie des personnes capables d’accomplir cette mission.
- Des personnes ? ai-je répété bêtement.
L’autre a acquiescé :
- Nous avons l’intention de frapper un grand coup. Depuis trop longtemps notre ennemi nous inonde avec ses idées infectes. Il est temps de le réduire au silence. En conséquence, nous avons programmé contre lui plusieurs attaques surprises.
- Vous avez déjà des personnes prêtes ?
Macron a poussé un soupir :
- Écoutez, monsieur Covache. Tout ce que je peux vous dire c’est que beaucoup de personnes cherchent à rejoindre nos rangs. Nous ne répondons qu’à un nombre infime et si aujourd’hui vous êtes face à nous ce n’est pas un hasard.
Ses yeux se sont plissés :
- Vous avez travaillé une vingtaine d’années dans une entreprise automobile avant d’en être licencié pour raison économique. Là, a débuté votre descente aux enfers. L’année suivante, vous avez cherché avec acharnement un emploi. En vain. À quarante et quelques années et avec votre seule expérience dans l’industrie, vous n’étiez plus compétitif sur le marché du travail. Vous vous êtes alors sentis inutile et avez commencé à boire. C’est à ce moment là que votre femme vous a quitté.
C’était dit sur un ton neutre. Comme un rapport d’autopsie. Pourtant, chacune de ses phrases me perforait le cœur. Je me revoyais à l’époque où je croyais encore retrouver un emploi. Les centaines de lettres de motivation écrites dans la salle de séjour, les coups de fil spontanés aux RH, les inscriptions tous azimuts aux agences d’intérim. Mon découragement croissant devant la succession des refus. Les stages bidons et obligatoires du pôle emploi. Ma plongée dans l’alcoolisme, la fréquentation de bars de plus en plus sordides, les bagarres avec d’autres poivrots, les combines minables, les comas éthyliques. Et ma femme, Audrey, dont le visage se ferme petit à petit. Qui ne dit plus rien lorsque je rentre déchiré à la maison. Qui devient pareil aux murs de notre logement, terne et lézardé. Et puis, ce soir fatidique où je reviens dans l’appartement vide, trop défoncé pour m’en rendre compte tout de suite. Ce n’est que le lendemain que je réalise. Audrey n’est plus là. Toutes ses affaires ont disparu. Elle ne m’a même pas laissé de mot d’adieu. Rien, comme si son existence n’avait jamais été réelle. J’éclate de ce rire fou que seule une douleur sans nom peut provoquer.
- Désespéré par ce départ vous avez tenté de vous suicider, continuait Macron qui sentait que son petit laïus avait de l’effet sur moi.
- Assez ! ai-je hurlé en arrachant le fil d’alimentation du portable.
Ignorant ma colère, il a enfoncé le clou :
- Ironie du sort, c’est un représentant de l’état qui vous a sauvé la vie alors qu’il venait saisir vos biens. Puis vous avez dû quitter votre logement. Actuellement, vous vivotez chez vos parents dont les très modestes retraites suffisent à peine à votre subsistance. Je crois savoir que votre mère est gravement malade et agonise dans sa chambre faute de pouvoir être soignée à l’hôpital.
J’ai saisi le portable et l’ai élevé à bout de bras comme pour le projeter sur son crâne.
- Assez ! ai-je hurlé à nouveau.
Dans ma tête, les gémissements continuels de ma mère souffrant le martyre dans son lit résonnaient. Également les bruits de la télé toujours allumée que mon père et moi augmentions lâchement pour les recouvrir.
Sarkozy et Hollande braquèrent leurs armes sur moi tandis que Ségolène Royale prononça à plusieurs reprises mon nom.
Toujours calme, Macron s’est penché vers moi :
- Allons, monsieur Covache, vous savez très bien que je n’y suis pour rien dans cette situation. Si votre vie est un échec c’est à cause de cette société libérale. À cause des puissants qui ont imposé leurs choix. Dès le départ vous étiez condamnés. Comme vos parents, moi, tous ceux qui appartiennent au peuple. La résistance est votre chance d’inverser la vapeur, de donner un sens à votre vie et de faire entendre la voix des opprimés.
Marquant une pause, il a avancé un peu plus la tête vers moi et a plongé son regard dans le mien. Les néons ont protesté avec véhémence.
- Souhaitez-vous la saisir ?
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