19 La visite Papale
Le jour d'ouverture du procès fut l'occasion pour moi de découvrir la plus incroyable des égéries. Pas « incroyable » à cause de son aspect physique échappant aux canons dictatoriaux du top-model en vogue, non ! Simplement parce que, avec sa candeur constante devant le monde qui l'entourait, Stéphanie s'apparentait plus de l’archange attardé dans une mission terrestre de première importance qu'à un ange déchu, voué aux missions ingrates. Au cœur de la salle d’audience pleine à craquer, elle monopolisait l’attention.
Servi par une acuité visuelle de grand rapace et un instinct infaillible, je reste persuadé que le Pape l’avait repérée avant moi. Mais il sut occulter la curiosité qu’avait éveillé en lui cette présence insolite tant que Caro ne lui eut pas transmis le mot glissé entre deux P.V sous chemise. Après lecture, la réaction du Pape se borna à un coup de chasses rapide vers le Cerveau des Branques. Pour sûr qu’ils se comprirent au premier regard ces deux-là ! Au niveau intellectuel où ils planaient, le sous-titrage s'avérait superflu.
L’entrée des sansonnets étincelants de breloques honorifiques doucha l’ambiance potache et bourdonnante de la salle d’audience. La grande messe sécuritaire débuta par l'aboiement du bedeau basochien ; « la cour ! ».
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Avocate ou pas, ancienne copine de fac ou non, affranchir clairement Caro des raisons réelles de sa démarche eut été pour Stéphanie faire preuve d’imprudence. D'où ce choix étonnant de la fine mouche qui argua d’un pur fantasme sexuel risquant de virer au traumatisme en cas de contrariété. Un langage que Caro était d'autant plus à même de comprendre au vu de ce que nous coûtait en boites de bières chacune de ses galipettes carcérales. Le moindre coup d’écouvillon que le Pape collait entre les paturons de cette brunette ravageuse de santé, dans le parloir des avocats, s'estimait en litres de blonde mousseuse. Instant de pur bonheur conquis grace à l'insatiable gloutonnerie soiffarde de la chiourme. A notre niveau, par une constante pression à exercer sur la population pénale afin de drainer toutes les bières « orphelines » de la cantine quotidienne. Heureusement, le chef-comptable détenu était un virtuose du jeu d'écriture, doublé d'un admirateur inconditionnel du Pape.
D’excellents avocats, quelques témoins plus ou moins vrais, une effervescence propre à mobiliser les grandes signatures de la presse, certains procès d'assise ont vite fait de tourner à l'ambiance show-biz. Si le Pape conservait quelques secrets à mon égard, son calme olympien et la courtoisie de ses réponses me laissèrent présumer, dès l’ouverture de séance, la nature du verdict. Non lieu! Lui ne les comptabilisait plus depuis longtemps, moi si! Il en était à son douzième. Plus deux abandons de poursuites, trois relaxes et deux acquittements. Un pedigree plus que respectable dans l'univers des proscrits.
La presse se laissa piéger, ou fit semblant de l'avoir été, par la traditionnelle précision ; « s’ils ne sont pas détenus pour d’autres motifs » apportée au prononcé du verdict de relaxe. Arrangement avec la cour pour éviter une « publicité déstabilisante» pour l'honnête péquin ?
Ce fut dans un fourgon cellulaire que nous quittâmes discrètement la maison d’arrêt pourvus de nos seuls bagages; les armes n'étant pas admises à l'entrée. Avec la gare de Douai pour point de chute. Tu parles d’un taxi! Feintée la cohorte de journaleux avides de scoop qui campaient devant le portail de la rue de Cuincy!
La décision du Pape d’effectuer son premier dîner d’homme libre en Belgique m'émut peu ; il cultivait l'art d'agir constamment à contre-pied de toute prévision logique. Dans les rangs du premier cercle d'amis, surtout les restaurateurs, il en alla autrement et les grincements de dents furent nombreux. Les feux de la gloriole sans risque se partagent plus volontiers que les années de placard!
Histoire de soulager l’affectueuse affection que nous témoignait la P.J, le choix de Daniel s’était porté sur un restaurant gastronomique situé près d’un pont Romain, sur l’axe Mons-Beaumont. Une situation géographique passablement éloignée de nos bases lilloises, mais intéressante dans la mesure où elle permettait un retour en France aussi rapide que discret, via Bersillies-L’Abbaye, Cousolre, puis Maubeuge, alors que nous avions emprunté l’autoroute Tournai-Mons pied au plancher à l’aller, puis un lacis de chemin campagnards impossibles à suivre pour des pisteurs professionnels sans se faire repérer.
Lorraine, la mousmé en titre du Pape, nous accompagnait. Il s’agissait d’une superbe bimbo en rupture de mannequinat. Blonde, coulée dans le même moule qu’Ornella Muti jeune, mais infiniment moins spirituelle. L’unique passe-temps qui lui était connu consistait à la traque dans sa chevelure d’une fourche qui aurait pu échapper à la maniaquerie de son coiffeur attitré, qui la voyait débarquer au minimum deux fois par semaine.
Les Branques se trouvaient déjà sur place à notre arrivée. En se serrant à peine, huit convives pouvaient trouver place sur le pourtour de la table d’hôtes. Un froncement de sourcils du Pape me fit un instant redouter d'avoir à partager la table de son chauffeur de Merco et sa chauffeuse de plumard mais, à mon grand soulagement, il opta pour une stratégie plus en rapport avec ma curiosité. Seul le chauffeur de la bagnole becta à part.
D'emblée, le regard exagérément extatique de Kiki me fit craindre un esclandre. Fusse d’un bouffon aussi apprécié que ne l’était le Manouche, hors l’espace confiné d’une cellule, le Pape admettait mal ce genre de niaiserie. Redoutant le pire, j’en fus quitte pour la surprise car, une fois les salutations expédiées, seule la plus petite personne de l’assistance monopolisa toute son attention. A croire que Stéphanie exerçait sur ce tonneau d’explosif concentré des vertus apaisantes.
Le balèze Pierrot resta fidèle à sa discrétion habituelle. De toute la soirée, seul le contenu de son assiette sembla lui paraître digne d'intérêt. Djé de même. Quant à Désiré, il se contenta d’écouter en scrutant les expressions du visage du Pape et celui Stéphanie. Jalmince, le Martiniqueur compulsif! Il n’entendait certainement pas se retrouver mari niqué sans réagir!
Alors que Lorraine marquait son intérêt pour la conversation en étouffant un bâillement suffisant pour lui aérer la lingerie intime, son Jules sauta sur l’occasion. Ce coup de chasses papal en pétard la ravigota plus sûrement qu’une double ligne de coke de la taille d’une baguette de pain. Elle prétexta l'urgence d'un ravalement de façade pour gicler de table en direction des toilettes.
Notre tablée trop silencieuse au prorata du nombre de convives intriguait les autres clients. Et plus particulièrement un couple plutôt disparate. Lui dans la cinquantaine, elle dans la trentaine flamboyante. Une rousse pulpeuse qui couvait le Martiniquais d’un regard gourmand.
- Si mes informations sont fiables, votre groupe se trouve en difficulté à cause des pertes dues à un incendie non couvert par l’assurance, en plus du préjudice occasionné par un fourgue malhonnête. C’est bien çà ? s’informa le Pape avec une onctuosité de banquier suisse.
Les Branques hochèrent la tête avec un bel unisson. Nini se fendait la pêche sur des pensées intimes. Sûr qu’à ses yeux le vocabulaire châtié du Pape devait souffrir d’une sévère carence en pittoresque, si cher aux romanciers et aux metteurs en scène de polars. Mais peut-être était-ce cette inadéquation elle-même qui s’imposait à ses yeux en folklore exotique inattendu ?
- Mais vous avez vous-même perdu une commission assez importante dans cette seconde affaire, allégua Stéphanie.
- Pas à ma connaissance. Lorsque j’ambitionne une prise d’intérêts, je ne lâche jamais le morceau. Dans le cas présent, il ne s’agissait que d'une opinion généraliste que votre groupe a eu l’intelligence de mettre à profit. Un coup de maître, j’avoue! Ceci dit, la rapacité de certains concurrents me soulève le cœur, surtout lorsqu’ils tablent sur des forces inégales.
De la main gauche le Pape, me tendit la pochette vinyle contenant une enveloppe de papier kraft qu’il avait conservée dans la poche intérieure de sa veste. Je déchirai discrètement la protection plastique pour libérer l’enveloppe qui tomba devant l'assiette de Nini. Nette d’empreintes.
- Vous trouverez à l’intérieur un aperçu assez complet des activités annexes de la société qui vous a causé préjudice. Notamment en ce qui concerne sont secteur transport. Ce trust s'est surtout spécialisé dans le transfert de fonds. Surtout des fonds très ciblés. Plus particulièrement en période électorale. Voilà !
Le reste du repas s’acheva de la façon la plus banale, mais ce fut au moment des adieux que le Pape lâcha sa botte secrète, lorsqu’il prit Nini en aparté.
- Dès que vous aurez touché le pactole, écartez-les de la délinquance. Ils sont bien trop gentils, et ils ont trop d’empathie pour faire carrière chez les voyous. Embrayez sur les rêves de Kiki et emmenez-les très loin d’ici, Stéphanie! Et à un de ces jours si Dieu le veut !
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