Interlude : Premiers Mois

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La tête appuyée contre le mur de pierres nues, Drago hésite entre rêve et néant, entre le sommeil et une forme nébuleuse d'éveil, entre l'Enfer et le Rien. Il préfère le Rien. Il aimerait se laisser glisser le long de cette pente obscure qu'il discerne, quelque part au-delà de son champ de perception : un chaos sans lumière et sans nom, qui se contenterait de l'aspirer, de le digérer et de le faire disparaître, dans un univers où rien de tout ceci n'aurait existé. Il n'y aurait plus de souffrance, plus de vie, plus de mort, il ne serait plus Drago Malefoy. Mais l'épingle douloureuse de la réalité vient sans cesse se replanter dans son esprit pour le tirer des limbes. Elle ne veut pas qu'il soit en paix. Elle l'attire vers la conscience, et soudain, il ouvre les yeux.

Les premiers instants, Drago ne reconnaît pas où il est. Ses paupières ont du mal à se soulever, et un bourdonnement sourd emplit ses oreilles comme si le sang exerçait soudain trop de pression contre son crâne. Par réflexe, Drago passe la main droite sur son visage, et un éclair de douleur brute le transperce de part en part.

Sa main. Elle est brisée. Drago n'ose pas regarder, et même s'il le voulait, il ne verrait rien. Ce sont des hématomes qui maintiennent ses yeux plissés en deux fentes serrées, et c'est à peine s'il distingue la cage dans laquelle on l'a jeté la veille au soir.

Azkaban. Il est à Azkaban. Où est Lucius... ?

Avec précaution, Drago se redresse et scrute l'obscurité. Il fait sombre dans la cellule, même de jour. Comment sait-il qu'il fait jour... ?

Il y a des fenêtres dans le couloir qui fait face à la geôle. Pour les avoir entraperçues en passant, Drago sait qu'elles donnent sur une cour intérieure, sorte de puits de lumière à ciel ouvert, protégé par une verrière. C'est sans doute le seul moyen que les architectes de la prison ont trouvé pour faire pénétrer un peu de visibilité, sans pour autant creuser d'ouvertures sur l'extérieur...

Quoi qu'il en soit, les rayons qui parviennent jusqu'à la cellule ont l'éclat glacé de l'hiver.

Drago regarde autour de lui. Il aperçoit son père toujours étendu sur sa couchette, de l'autre côté de la pièce, face contre le mur. Drago l'appelle :

– Père ! dit-il, mais sa voix se brise d'avoir trop crié.

Renonçant à ouvrir les yeux, Drago teste un par un tous les muscles de son corps. Difficile de trouver un endroit qui ne le fasse pas souffrir. Sa mâchoire lui envoie des élancements sourds, comme pour l'avertir qu'un nouveau choc lui serait fatal. Sa respiration douloureuse lui apprend qu'il a sans doute au moins une côte cassée. Vraisemblablement du côté droit, s'il en croit le coup de poignard qui le taillade chaque fois qu'il inspire.

A côté de cela, les bleus laissés par le jet d'eau ne lui font presque plus rien.

Drago teste ses bras, ses jambes. Des courbatures lui déchirent les muscles, mais rien qui ne soit irréparable. Pour sa main en revanche...

Eh puis, bien sûr, il y a le reste. Le sang qui a séché entre ses cuisses. La brûlure de honte et de haine qui le consume si fort qu'il voudrait défoncer son autre poing contre le mur. Brusquement, tout explose dans l'esprit de Drago : les souvenirs de la nuit dernière éclatent comme s'il revivait la scène une seconde fois, à l'instant même, dans sa chair : la souffrance, les hurlements, l'impuissance, et la certitude que quelque chose s'est brisé tout au fond de lui, une chose enfouie et minuscule qui faisait de lui ce qu'il était vraiment...

Drago serre les dents. Ses os lui font mal, mais il ne les écoute pas. Chancelant, il se remet sur ses jambes et se traîne jusqu'à la couchette de Lucius :

– Père..., murmure-t-il.

Lucius ne réagit pas. Il n'a même pas pris la peine de se rhabiller. Drago lutte, il s'enfonce les ongles dans la paume de sa main intact, il se mord la langue, mais rien n'y fait, il s'est déjà trahi : les sanglots naissent dans sa poitrine et le secouent comme une poupée de chiffon. Repoussant son père contre le mur, Drago s'étend à son tour sur la couchette et se serre contre lui, seulement en quête d'un peu de chaleur humaine.

Le surveillant passe moins d'une heure plus tard. En les voyant allongés l'un contre l'autre, il ricane, mais ne fait aucun commentaire.

– Toi, dit-il en pointant Drago du doigt. T'as l'air mal en point. Allez viens, estime-toi chanceux : t'as gagné ton ticket pour l'infirmerie.

Drago éprouve un soulagement qui le traverse comme une vague de chaleur intense. Et puis, presque aussitôt, de la crainte :

– Je ne veux pas laisser mon père..., articule-t-il.

– Ton père est un grand garçon. Toi en revanche, si tu ne veux pas qu'on te coupe la main d'ici la fin de la semaine, je te suggère de venir avec moi.

Drago se lève. Il voudrait pouvoir hésiter plus longtemps... Il se hait de céder aussi facilement. Mais la douleur est trop forte. Il suit le gardien dans les couloirs humides dans l'espoir d'un minimum de soulagement.

L'infirmerie les attend au troisième étage, au centre du bâtiment. Il y fait plus chaud, il est vrai. Sans doute pour le confort du médecin. Drago savoure cette atmosphère temps qu'elle lui est accordée...

Le médecin de la prison est un petit homme chauve âgé d'une cinquantaine d'années. Il examine Drago comme on évaluerait une pièce de viande sur un étal. Pas une fois il ne croise son regard, si ce n'est pour contrôler ses pupilles. Il ne semble ni intéressé, ni curieux, ni dégoûté : son visage n'exprime rien d'autre qu'une conscience professionnelle qui, aux yeux de Drago, le rend plus inhumain encore que s'il avait manifesté de la cruauté.

Drago réalise doucement une vérité qui résumera les dix prochaines années de son existence : l'absence de contacts humains. Azkaban détruit le lien entre ses résidents. On a beau s'y entasser à trente par couloirs... L'existence y est trop laide pour se lier. Lentement mais sûrement, la prison absorbe tout de vous. Jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien. Une coquille vide qui nettoie le sang sur son visage et déclare à Drago :

– J'ai ressoudé les os de votre main, car autrement ils auraient été irrécupérables. Mais ne comptez pas sur un traitement sorcier à chacune de vos visites. D'ordinaire, les prisonniers n'ont le droit qu'à la méthode lente. La méthode moldue.

Drago dévisage le médecin sans que ses mots ne parviennent à l'atteindre. Avant qu'il n'ait pu faire un geste, l'homme a de nouveau pointé sa baguette sur lui pour ressouder ses côtes :

– On a fini, dit-il alors.

Drago est incapable de partir. Cet homme le répugne et son regard mort hérisse le moindre poil sur sa nuque, mais... il est médecin. Il a fait partir la douleur. Et il y a tant de brisures en lui qui demandent encore à être réparées...

Devant son manque de réaction, le médecin fait signe au gardien. L'homme empoigne aussitôt Drago par le bras, ce qui le fait sursauter et se défendre, instinctivement. Le gardien brandit sa matraque en guise d'avertissement. Mais il ne frappe pas.

Drago sent le soulagement s'afficher sur son visage, et une fois de plus, il se hait pour ça. Il se hait, il se hait pour sa faiblesse, et pour la panique infantile qui le saisit lorsqu'il s'efforce de retenir le médecin :

– Les hommes qui m'ont fait ça...

– N'ont laissé aucune preuve de leur identité.

– Dites ça aux os que je leur ai brisés ! Vous n'allez pas les soigner, peut-être ?

Le médecin soupire d'un air profondément ennuyé, comme si Drago le distrayait d'une tâche autrement plus importante :

– Ce ne sont pas mes affaires, dit-il simplement.

– Mais ce qu'ils m'ont fait...

– Je n'ai pas de traitement à vous proposer pour ça.

Sur ce, le petit homme se retire dans son bureau et claque la porte.

Drago reste longtemps debout, au milieu des lits vides, les yeux exorbités fixés sur cette cloison de bois qui le sépare du médecin. A nouveau, elle revient. La colère. La rage, le désespoir. Il voudrait frapper de toutes ses forces contre cette porte et forcer le médecin à lui ressouder à nouveau les os, qu'il le contemple, qu'il contemple ce qu'ils lui ont fait ! Mais le gardien l'agrippe à nouveau par le bras, et Drago se laisse conduire hors de l'infirmerie.

On le guide jusqu'à une salle souterraine au plafond en voûte où les prisonniers font la queue pour prendre leur repas. Lorsqu'il entre, tous le dévisagent, avec cette palette d'émotions que le médecin n'a pas affichées : curiosité, amusement, dégoût, colère, haine, sournoiserie, moquerie...

Drago aperçoit son père déjà assis à une table au centre de la pièce, et se fige. Monroe et sa clique sont déjà à ses côtés, de part et d'autre de lui, et Monroe passe un bras possessif autour des épaules de Lucius tandis qu'il plonge sa cuillère dans son potage informe.

Monroe l'aperçoit, lui adresse un clin d'œil, sourit. Tous ses compagnons ricanent. Le chef a le nez de travers, et des traînées de sang maculent toujours son visage, comme s'il avait refusé de les essuyer.

Drago se fait bousculer pour avancer, mais ne s'arrache pas à la contemplation de ces hommes. Il aurait dû ressentir de la crainte, mais non. Rien que de la haine. C'est peut-être ça qui s'est brisé en lui. D'aussi loin qu'il s'en souvienne, Drago a toujours eu peur, toute sa vie. Peur de ne pas être à la hauteur. Peur de décevoir son père. Peur de trahir son nom, de valoir moins que Harry Potter. Peur du Seigneur des Ténèbres. Peur de tuer, peur d'être un Mangemort, peur de causer la perte de sa famille. Peur de mourir. Peur de voir Potter mourir...

Oui, Drago a eu peur toute sa vie. Mais aujourd'hui, il n'y a plus rien. Seulement la haine.

Après avoir récupéré son plateau, et évité le classique croche-pied que l'on réserve sans doute à tous les nouveaux, Drago s'approche à la hauteur de Monroe. Lentement, il dépose son plateau-repas et s'assoit en face de son père, en face de ses bourreaux. Sans un mot, il contemple son œuvre.

L'homme qu'il a assommé la veille – Lewis – se paye un beau coquard en guise de souvenir. Les deux acolytes qui le tenaient pendant que Monroe faisait son œuvre – Miles et Peters – ont eux aussi cassé quelques phalanges dans la bataille. Tous ont la lèvre fendue et le visage boursouflé. En dernier vient Monroe. Son regard froid brille du plus profond de ses orbites. Drago ne s'en était pas rendu compte sur le moment, mais en le plaquant contre le mur, il lui a cassé l'arcade sourcilière. Cela doit être douloureux...

Toujours silencieux, Drago laisse son regard courir sur les blessures de Monroe, longtemps. Pour lui faire sentir le poids de ce regard. Pour qu'il y devine ce qui désormais n'existe plus : plus de pitié. Plus de peur. Plus de vie.

Drago comprend mieux comment le médecin pouvait sembler si détaché, maintenant. Il suffit d'être mort à l'intérieur. De se distancer complètement de ce qui affecte notre corps. Tout en ne gardant que la raison, l'intelligence, l'objectivité froide. Pas comme Lucius. Lucius a joué à ce petit jeu et s'est perdu trop loin en lui-même...

Monroe ne baisse pas les yeux devant Drago : il prend son geste pour un défi, avec raison, et cela l'amuse. Drago finit par hausser les épaules et mange sans se préoccuper du goût sur sa langue. Dix minutes plus tard, les gardiens les rassemblent dans la cour intérieure pour les corvées du jour.

Azkaban est une mine. Une mine de pierres et de métaux rares utilisés dans la préparation de nombreuses potions essentielles à la vie de tous les jours.

A défaut de pouvoir s'échapper en creusant un tunnel sous la mer du Nord, les prisonniers sont donc pour la grande majorité affectés au travail des mines. Quel que soit leur état de santé.

Drago le découvre très vite lorsqu'on l'enchaîne à un groupe de prisonniers pieds et poings liés, qu'on les fait descendre dans un complexe labyrinthique obscur à l'odeur de salpêtre, et qu'on leur colle à chacun une pioche dans les mains en leur criant : « Creuse ! ».

Alors, pendant douze heures, Drago creuse. Il n'y a pas de pause. Pas de repas de midi. Pas d'eau. Autant à la surface, la température tombe en-dessous de zéro, autant ici, dans les souterrains, la chaleur est atroce. Elle s'infiltre dans les poumons de Drago à chaque inspiration et lui donne l'impression de respirer de la poussière. Il ne parvient pas à sentir l'oxygène irriguer ses bronches : il a la sensation d'étouffer, mais il vit quand même, alors il doit bien respirer, d'une façon ou d'une autre.

La sueur dégouline le long de son front. Les chaînes entravent ses gestes. Trois fois déjà, la pioche de son voisin de droite a heurté son épaule dans un mouvement de balancier, et ce n'était pas un accident.

Drago serre les dents. Sa mâchoire proteste, encore. Il peut presque sentir ses molaires bouger dans leur chausse. Mais Drago ne dit rien et continue de creuser.

Evidemment, ils sont sous étroite surveillance. Les boulets accrochés en bout de chaîne les empêchent de quitter leur poste, et même s'ils le voulaient, ils sont liés à vingt-cinq. Il fait sombre et les torches les enfument, sans parler des émanations de gaz qui s'échappent de temps à autre de la roche. Le grisou est sans doute le plus grand meurtrier de l'île...

Pour contenir l'eau qui se fraye un chemin à travers leurs brèches, les galeries sont protégées par des sortilèges. Chaque jour, les prisonniers s'enfoncent ainsi plus profondément sous le niveau de la mer, jusque dans les entrailles de la Terre...

Drago s'interrompt. Il a atterri en Enfer. Cette vision s'incruste sur sa rétine et réveille sa peur, l'espace d'un instant. C'est exactement cela l'Enfer. De la fumée, de la chaleur et du sang. Pour les dix prochaines années de sa vie...

Un gardien lui donne un coup sec sur la nuque, et Drago se remet au travail. Il ne pense même plus à la douleur de ses muscles, il n'a même plus soif. Son regard vide ne voit plus la roche devant lui : il est écartelé par cette vision d'horreur, la conscience de ce qui l'attend, jour après jour, pour les trois-mille-six-cent-soixante-quatre prochains jours...

Trois-mille-six-cent-soixante-quatre jours...

Le soir venu, Drago n'a plus d'énergie pour penser. C'est sans doute cela, le but. En plus d'une activité lucrative, l'effort physique prive les prisonniers de toute combativité, de toute capacité de se rebeller.

Drago refuse de s'incliner devant un procédé aussi basique. Il est en colère. Il refuse. Il n'y a pas de raison logique ou de justification. Il doit juste diriger toute cette rage contre quelque chose...

Les hommes qui l'entouraient dans la mine paraissaient moins affectés, plus entraînés que lui. Lui aussi deviendrait fort. Lui aussi manierait la pioche jusqu'à ce qu'il puisse enfoncer un pic à glace dans le crâne de Monroe...

A la nuit tombée, Drago chasse le sommeil et l'attend, puisqu'il a promis de venir. Les fenêtres du couloir lui apprennent que la lune brille haut dans le ciel, lorsqu'enfin, un cliquetis se fait entendre à l'autre bout du couloir. Ils sont là. L'un après l'autre, tous les quatre entrent dans sa cellule : Lewis, Miles, Peters, et enfin, Monroe. Le chef le dévisage du haut de son torse de taureau. Il n'est même pas grand. Juste massif. Trapu, bâti pour se battre. Drago n'a ni les muscles ni la force pour le repousser, et tous deux le savent.

Lucius gémit tout à coup dans son coin de cellule, et se recroqueville contre la pierre, s'agitant d'avant en arrière.

Monroe esquisse un sourire :

– Voici le deal, les gars, dit-il comme s'il proposait de leur vendre une pizza. Tous les deux, à genoux, devant moi et mes hommes. Vous faites ce que vous avez à faire. Et on vous laisse tranquilles. Peut-être même qu'on vous accordera une petite pause, demain soir. Qui sait ? On a d'autres chiens à visiter.

Il s'approche de Lucius et saisit sa mâchoire entre ses mains, presque délicatement :

– Mais vous, vous êtes en cours de dressage.

Lucius tremble. Il tombe à genoux et semble attendre son sort. Drago n'esquisse pas un geste. Il attend que Monroe croise son regard et constate qu'il ne le brisera pas. Mais Monroe ne s'occupe pas de lui. Lascivement, il défait le cordon de sa combinaison et plaque son entrejambe contre le visage de Lucius, qui se laisse faire.

Drago se crispe. Il comprend ce que Monroe cherche à faire et comprend qu'il s'est montré stupide. Il a sous-estimé l'homme en face de lui : soutenant son regard tout à coup, Monroe ne le quitte pas des yeux tandis qu'il le force à contempler son père se soumettre à ses sbires, l'un après l'autre, jusqu'à ce que la cellule ne résonne plus que de ses horribles bruits de succion.

Monroe sourit lorsqu'il a terminé :

– C'est ton tour, mon garçon. Fais comme papa.

Drago a le cœur au bord des lèvres. Il voudrait vomir : pas parce que Monroe le répugne, ni parce qu'il a peur, mais parce qu'il ne reconnaît plus la créature sans la moindre parcelle de volonté qui a un jour été son père. Comment Lucius a-t-il pu se soumettre aussi facilement ? Pourquoi n'essaye-t-il pas de lutter contre ces hommes ? Il préserverait au moins son honneur...

Mais non, pour l'instant, Lucius est brisé. Drago ne peut rien faire pour l'atteindre. Monroe le sait, et il espère le détruire lui aussi en lui montrant le spectacle de son père à genoux...

Instantanément, Drago réalise une autre vérité toute simple. Brute, froide, implacable. S'il plie ce soir, s'il se soumet ce soir... Il ne se relèvera plus jamais. Il aura droit au même destin que son père : vide, faible et couvert de foutre, agenouillé au fond de sa cellule.

Il ne cédera pas.

Cette nuit-là, Drago le décide, peu importe les conséquences. Il soutient le regard de Monroe. Ce dernier finit par comprendre qu'il ne bougera pas, qu'il ne dira pas un mot sans qu'on ne l'y force. Alors il siffle entre ses dents, et les trois sbires se jettent sur Drago.

Drago se brise six fois les doigts de la main droite durant le mois qui s'écoule. Il fait des séjours presque quotidiens à l'infirmerie, pour soigner des blessures trop graves pour être laissées à la médecine moldue. Chaque jour, le médecin lève sur lui le même regard morne et indifférent :

– Vous devriez arrêter de lutter, lui dit-il un jour. Autrement, ils vont finir par vous tuer.

Cette fois-là, Drago a perdu l'usage de ses jambes. Monroe est entré dans sa cellule avec un fragment de barreau et lui a brisé les deux tibias.

– Il ne me tuera pas, murmure Drago entre les hématomes qui parcourent son visage. Ça l'amuse que je lui résiste. Et puis, il croit que c'est ce que je veux. Le provoquer pour une mort rapide... Il ne me donnera pas cette satisfaction. Il sait que je souffre bien plus en restant en vie.

Toutes les nuits, Drago affronte Monroe et ses sbires et toutes les nuits, un ou plusieurs des quatre hommes finissent par se coucher sur lui, pour le prendre jusqu'à ce qu'il ait les cuisses en sang.

Drago se relève toujours. Il les combat toujours le lendemain. Et puis le jour d'après, et encore après. La décision est prise, dans son esprit. Il ne cédera pas.

Les signes de sa résistance ne tardent pas à se faire voir eux aussi : un œil au beurre noir pour Miles. Un autre nez cassé pour Monroe. Drago rend bec et ongles tout ce qu'on lui prend, il lutte parce que c'est tout ce qui lui reste, cette petite étincelle de folie furieuse qui lui hurle : Frappe ! Relève-toi ! Encore ! Encore ! Encore !

La seule chose qui parvient à le stopper, c'est Lucius. Monroe a vite compris ce petit stratagème. Les nuits où Drago lutte trop fort, où il se transforme en bête sauvage et où Monroe et ses sbires eux-mêmes se trouvent trop faibles pour le maîtriser... Monroe ressort sa lame de rasoir, et il la plaque sur la gorge de Lucius Malefoy.

Alors seulement, Drago s'immobilise. Il lutte à nouveau lorsqu'on l'empoigne, mais il est piégé et tous le savent. Pendant ce temps, Lucius regarde, indifférent, et il se met docilement à genoux lorsqu'il prend l'envie à Monroe de combler l'un ou l'autre de ses orifices.

Lucius est la faiblesse de Drago, et Monroe l'a bien compris. Drago aussi. Cela attise sa haine, car lentement, insidieusement, une pensée se fait jour dans son esprit :

« Tant que mon père sera en vie, je ne serai jamais libre... Monroe aura toujours ce moyen de pression sur moi. »

Et Drago se hait, car il sait que c'est très exactement le genre d'idées que Monroe voulait lui implanter dans la tête. Une torture psychologique, doucereuse...

Derrière ses airs de grosse brute, Monroe est plus intelligent qu'il n'y paraît. Et il ne lui faut pas longtemps pour pousser sa stratégie encore plus loin.

Drago est prêt à se battre, comme d'habitude. Cela fait deux mois qu'il est prisonnier à Azkaban. Cette nuit, il n'a qu'une phalange brisée, et le médecin s'est contenté de lui poser une attelle, comme pour lui infliger une leçon. Cela n'a pas d'importance. Drago s'est découvert un seuil de tolérance infini à la douleur.

Comme toutes les nuits, la porte de sa cellule grince, et Monroe entre.

Il est seul, cette fois. Les vestiges du coup de poing que Drago lui a asséné la veille s'attardent sur son visage. Il est seul, et quelque chose n'est pas normal. Le sourire torve qui s'étale sur son visage transpire de malice, de triomphe, de folie : le sourire d'un homme qui a eu une idée lumineuse et qui s'apprête à arracher les pattes de son animal de compagnie, d'une toute nouvelle manière.

Monroe referme la grille sur lui et, quelles que soient ses intentions, Drago se prépare à encaisser. Mais le danger frappe là où il ne l'attend pas. Il frappe au cœur.

Ce que Monroe fit subir à Drago cette nuit-là, aucun membre de la prison ne l'avait jamais vécu avant lui. Si cela s'ébruita, personne n'osa ouvertement en parler. C'était trop abject. Trop horrible pour être nommé. Cela laissa dans le cœur de Drago une marque qui détruisit tout le reste. Cette nuit-là, Drago cessa d'être Drago Malefoy : il n'eut plus de nom, plus d'espoir, plus de famille. Il sortit de sa cellule le lendemain, en vie, égratigné comme d'habitude, mais éteint. Personne ne pouvait se reconstruire après ça.

Une journée s'écoula. Drago creusa, comme d'habitude, toutes ses pensées piégées dans un monde blanc connu de lui seul.

Personne ne sut exactement ce qu'il advint lorsque la nuit tomba.

Mais le lendemain, Lucius Malefoy était mort.


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