Confrontation
Hermione est restée longtemps sans bouger, perdue dans l'étreinte légère de Malefoy et dans la sensation étrange que cela lui procure. Tout son corps lui crie qu'elle n'a pas l'habitude de sentir cet autre corps contre le sien. C'est un contact différent de celui de ses proches, de ceux qu'elle a l'habitude d'enlacer. L'odeur de Malefoy est plus décelable ici, concentrée à travers les vêtements qu'elle lui a prêtés : une odeur indéfinissable et très douce, très propre. Elle a envie d'enfouir son visage dans son cou pour la respirer à fond, et réprime ce désir inapproprié, aussi vite qu'il lui est venu. Elle a honte tout à coup. Son cerveau réfléchit à toute allure, déroule les conséquences de la conversation qu'ils viennent d'avoir, et énonce enfin cette vérité toute simple :
– Tu dois partir..., soupire-t-elle.
Surpris, Malefoy se détache d'elle :
– Je croyais que tu voulais que je reste.
Hermione secoue la tête :
– Dès que j'aurai transmis la requête concernant Manz et Lensher au tribunal, Harry en entendra parler. Il se demandera pourquoi je me tourne en faveur du Baiser du Détraqueur, tout à coup. Pourquoi ces détenus-là. Il se renseignera, il trouvera qu'ils ont tué ton codétenu, et... Il comprendra. Il saura que tu es avec moi. Alors, si vraiment tu ne veux pas lui parler...
Malefoy affronte son regard un certain temps, sans rien dire. Puis, sans se détourner, il déclare lentement :
– Laisse-le venir.
Hermione avale sa salive :
– Tu es sûr ?
Malefoy hausse les épaules :
– Je n'ai pas à fuir devant lui. C'est lui qui ne devrait pas avoir le culot de se montrer.
La considérant avec plus de douceur, Malefoy reprend :
– Mais je peux partir si tu ne veux pas de ce genre de confrontations sous ton toit. Je comprendrais.
Hermione fait non de la tête, des larmes plein les yeux :
– J'ai des choses à lui dire moi aussi..., articule-t-elle.
Alors Malefoy acquiesce et resserre à nouveau son étreinte sur elle.
℘
Le lendemain, la réaction des instances générales du Ministère de la Justice ne se fait pas attendre. La requête à peine déposée, la presse sorcière se jette sur l'information comme une nuée de vautours et interroge Hermione sur son brusque revirement quant à sa position vis-à-vis de la peine capitale. Hermione leur répond de son mieux, consciente que son image publique est plus que cruciale à cet instant et qu'elle devra peser de tout le poids de son influence pour obtenir condamnation.
L'après-midi même, comme c'était à prévoir, Harry entre en trombe dans son bureau. Le cœur d'Hermione se serre. Elle s'y était préparée. Elle s'y était préparée, et pourtant, elle peine à regarder Harry dans les yeux. Sa simple présence lui inspire une foule d'émotions contraires qui s'entrecroisent et la déchirent de toute part.
Souffrance au vu de ce qu'il a fait. Colère, rage folle, incompréhension. Déception aussi, trahison. Et en même temps, une forme bien plus amère de souffrance, parce qu'elle est mêlée d'amour. Hermione ne veut pas haïr l'homme qui se tient en face d'elle. Elle ne veut pas avoir à lui faire les reproches qui brûlent tout au fond de son cœur. Et pourtant, la vérité lui a ôté ce choix, et lorsque Harry croise son regard à son tour : immobile, pâle, tremblant, elle sait qu'il a lu en elle et qu'il comprend exactement quels dilemmes agitent son esprit.
Il s'avance dans la pièce et prend le temps de refermer la porte derrière lui. Qu'est-ce qu'il semble avoir changé... Hermione le remarque plus que jamais : il a maigri, ses cernes se sont creusés, et il y a comme une lueur folle, dans son regard, cette lueur qu'il a toujours eue vis-à-vis du cas de Malefoy, mais qui confine soudain au fanatisme...
– Malefoy est chez toi, dit-il sans le moindre préambule.
– Oui, répond-elle sans chercher à nier.
Il l'affronte sans baisser les yeux. Hermione voit la culpabilité sur son visage. A quel point il se sent mal. A quel point il a peur de sa réaction, et comme il a été traumatisé par ce qu'il a fait, ce qu'il a infligé à Malefoy et à lui-même... Mais l'éclat de résolution folle dans son regard combat ses scrupules. Si c'était à refaire, il le referait. Malgré toute la souffrance que cela lui cause, il est convaincu d'avoir pris la bonne décision.
– Comment as-tu pu..., murmure Hermione, sentant les larmes revenir et la submerger malgré elle.
Elle a mal rien que de regarder l'homme en face d'elle. Mal rien que d'imaginer ce qu'il a fait, ce qu'il a été capable de faire... Ce n'est pas l'homme qu'elle a connu toute sa vie. Ce n'est pas l'homme qu'elle a aimé, comme un amant et comme un ami...
– Il te l'a dit, répond-il sobrement.
– Oui, souffle Hermione.
Harry inspire profondément :
– C'était le seul moyen..., énonce-t-il. Le seul moyen pour qu'il reste en vie.
– C'était sa décision !
Hermione s'est levée tout à coup, et le bouleversement qui s'est emparé d'elle secoue tout son corps :
– Sa décision, sa vie, son âme, et tu la lui as prise ! Harry, comment as-tu pu faire une chose pareille ? Assassiner un homme de sang-froid ? Contraindre Malefoy à créer un Horcruxe ?
– C'était le seul moyen...
– C'est de la folie furieuse !
Elle reprend son souffle, désespérée devant toute la colère qu'elle ressent et qui se débat face à son amour :
– Est-ce que tu as la moindre idée des conséquences que cela aura sur lui ? reprend-elle. Est-ce que tu crois qu'il veut encore de la vie que tu lui as offerte ?
– Au moins, il va vivre, objecte Harry d'une voix brûlante en soutenant son regard. C'est tout ce qui compte. Tu le penses toi aussi, ne fais pas l'hypocrite, même si tu n'oses pas te l'avouer. J'ai fait le sale travail, mais en toi-même, je suis sûr que tu préfères le voir en vie qu'allongé mort dans un cercueil. Peut-être que si je n'avais pas été là, tu aurais fait exactement la même chose.
Hermione recule comme s'il l'avait giflée :
– Va te faire foutre..., articule-t-elle.
– Ose dire que ce n'est pas la vérité. Pourquoi est-ce que tu l'aiderais, sinon ? Pourquoi est-ce que tu l'aurais recueilli chez toi alors que ton mari est absent, et pourquoi est-ce que tu renierais tout ce en quoi tu crois pour l'aider à obtenir réparation ?
Harry fait une pause, et Hermione redoute les mots qui vont franchir ses lèvres :
– Ose dire que tu ne l'aimes pas toi aussi, déclame-t-il. Est-ce que vous vous êtes déjà consolés l'un l'autre, tous les deux ?
Hermione a le souffle coupé devant une telle attaque. Jamais elle n'aurait cru qu'Harry puisse tomber aussi bas. Mais elle ne reconnaît plus l'homme en face d'elle :
– As-tu la moindre idée de ce qu'il vient de vivre ? proteste-t-elle, la voix brisée. De ce qu'il vient de perdre ? Tu ne lui as pas seulement pris son âme : il a perdu son amour, la personne qu'il aimait le plus au monde, la seule attache qu'il lui restait. Tu crois vraiment qu'il a la tête à ce genre de conneries en ce moment ? Tu crois qu'il pourrait avoir le moindre regard pour toi après ce que tu lui as fait, pauvre imbécile ?
Le visage de Harry se tort d'un pli amer :
– Pour toi en revanche...
Hermione secoue la tête :
– Tu es pathétique. Tu prétends aimer Malefoy et très honnêtement, je ne sais pas d'où cette idée t'es venue, mais... Tout ce qui te préoccupe, ce sont ces questions futiles. Alors que tu l'as mutilé à vie.
Harry encaisse la répartie sans rien dire, bouillant de rage. Alors la colère d'Hermione s'évanouit soudain comme neige au soleil. A la place, un chagrin sans fond lui brise le cœur :
– Qu'est-ce qui t'est arrivé ? sanglote-t-elle sans plus retenir ses larmes.
Elle s'approche de Harry et saisit son visage entre ses mains en coupe :
– Qu'est-ce qui t'est arrivé, mon Dieu... Je t'aimais... Je t'aime toujours !
Harry esquisse un mouvement de recul :
– Tu m'aimes toujours ? crache-t-il. Après m'avoir laissé tomber ?
– Je ne t'ai pas laissé tomber, proteste Hermione, en pleurs. Je n'ai pas eu le choix, tu le sais bien. Aucun de nous ne l'a eu. Nous nous sommes séparés d'un commun accord...
– Tu m'as tout pris ! hurle Harry sans plus lutter contre son étreinte. Ron m'a tout pris !
Hermione reste silencieuse. Mais déjà, Harry continue :
– Je t'ai perdue toi, j'ai perdu Rose ! Et notre maison, et notre vie... C'était la mienne, Hermione ! J'ai vécu avec toi, j'ai pleuré, j'ai aimé avec toi ! J'ai élevé Rose comme ma propre fille ! Et toi tu étais ma femme, bordel de merde ! Tu me demandes ce qui m'est arrivé : j'ai perdu ma famille !
Hermione tremble, elle ferme les yeux. Elle sent le souffle de Harry sur son visage :
– Je suis désolée..., murmure-t-elle.
Elle regarde à nouveau Harry, dessine du bout des doigts le souvenir de celui qu'il était :
– Tu dois arrêter tout ça..., dit-elle. Je t'en prie, tu dois arrêter... C'est de la folie. Malefoy est guéri à présent, c'est vrai, et nous pouvons l'aider à aller mieux. C'est tout ce que nous avons toujours voulu.
Elle hésite un instant, puis pose doucement ses lèvres sur les siennes : un baiser au goût de chagrin et de sel :
– Je t'aime, dit-elle. Et je suis désolée... Je veux que tu ailles bien, toi aussi...
Harry ne dit rien pendant de longues secondes. Son front appuyé contre le sien, il descend ses mains le long de ses bras et laisse ses doigts s'entortiller aux siens. Hermione ne le repousse pas. Vu de l'extérieur, ils se soutiennent l'un l'autre, on pourrait presque croire qu'ils dansent. Alors Harry ferme les yeux, laisse échapper une larme unique, et se recule :
– Ron est revenu, déclare-t-il froidement.
Hermione se fige :
– Quoi ?
– Ce matin, pendant que tu déposais ta requête au Ministère. Je l'ai croisé. Il est en train de faire son rapport de mission, mais après, je suis sûr qu'il sera très intéressé d'apprendre pourquoi tu condamnes des prisonniers à mort. Et pourquoi Drago Malefoy dort dans son salon. Ou dans son lit, pour ce que j'en sais...
Hermione lâche brusquement sa main. Le sang bat à ses oreilles. Ils sont revenus au point de départ. Elle a de nouveau en face d'elle cet inconnu rempli de désespoir et de haine. L'espace d'une seconde, elle avait réussi à l'atteindre...
Mais l'urgence supplante le chagrin : abandonnant Harry au beau milieu du bureau, Hermione transplane pour prévenir Malefoy.
℘
– Est-ce que tu sais où aller ? demande Hermione en se tordant les mains.
Malefoy referme prestement la fermeture d'un grand sac de voyage. Hermione lui a donné quelques vieilles affaires de Ron dont elle espère que la disparition passera inaperçue :
– Je prendrai une chambre quelque part, répond-il simplement.
– Je suis tellement désolée...
Il se redresse tout à coup, tend la main pour lui caresser la joue :
– Ne le sois pas, dit-il. Tu m'as beaucoup aidé. Quand je n'avais personne d'autre...
Devant son silence, il ajoute :
– Je reviendrai te voir. Toi et Rose.
– Tu promets ? hésite Hermione.
– Je promets.
Elle acquiesce, confuse tout à coup de son geste si intime :
– Comment est-ce que tu te débrouilleras pour l'argent ? demande-t-elle.
Malefoy hausse les épaules :
– J'en ai mis un peu de côté. Je vais repasser chez moi, prendre ce qu'il me reste et abandonner l'appartement avant que Potter ne m'en interdise l'accès. Ensuite... Je me débrouillerai comme je l'ai toujours fait.
– Tu veux dire en montant ta propre cellule de crime ?
Malefoy ne lui fait pas l'affront de baisser les yeux :
– C'est la seule chose que je sais faire, répond-il. Et je le fais bien.
– Ce n'est pas une vie pour toi.
Hermione l'agrippe par le devant de son haut dans l'espoir de le faire écouter :
– Je peux t'aider, dit-elle d'un ton suppliant. Je veux t'aider. Je peux te remettre sur pied, t'aider à remettre ta vie sur le droit chemin... Pour que plus jamais tu n'aies à fréquenter ce genre de milieu et à faire des choses dont tu n'as pas envie...
Malefoy la considère longuement :
– Et comment espères-tu accomplir ce miracle ?
– Je n'en sais rien, répond-elle en toute ignorance. Ça prendra du temps. Mais réfléchis à ce que tu pourrais vouloir, je t'en prie. Réfléchis à ton avenir.
– Personne dans le monde sorcier ne voudra jamais m'employer étant donné mon passif. Quel que soit le secteur.
– Alors sois ton propre maître.
Hermione hausse les épaules :
– Choisis quelque chose que tu aimes faire. Je t'aiderai. Financièrement aussi, je t'aiderai le temps qu'il faudra.
– Non, je...
– Il n'y a pas de mal à accepter un peu d'aide ! Il n'y a pas de honte à cela ! Je t'aiderai, la discussion s'arrête là.
Elle ose à son tour porter la main à sa joue :
– En attendant je t'en prie, tiens-toi loin des ennuis...
Malefoy hésite, puis acquiesce. Il tourne son regard vers Rose qui les regarde discuter, assise sur le canapé du salon, sans vraiment saisir la teneur de leurs propos. Malefoy s'agenouille auprès d'elle et dit simplement :
– Au revoir, petite fille.
– Tu reviens quand ? demande la fillette.
– Bientôt.
– Pourquoi tu pars ?
Malefoy sourit sans répondre. Alors, Rose jette ses petits bras autour de son cou et lui plante un baiser mouillé sur la joue :
– Au revoir Drago ! s'écrie-t-elle.
Hermione rit. Elle s'approche à son tour et reste interdite devant Malefoy qui s'est relevé et qui la contemple.
– Au revoir, finit-elle par dire elle aussi doucement.
Malefoy acquiesce :
– A bientôt.
Et se penchant vers elle, il l'embrasse alors elle aussi sur la joue. Hermione respire une dernière fois son odeur, puis elle le laisse transplaner. Une heure plus tard, Ron est de retour à la maison.
℘
Avec une certaine ironie, Drago contemple la chambre d'hôtel miteuse qu'il vient de réserver : exactement la même qu'à sa sortie de prison. Il a même croisé Michael, le dealer de drogue, au coin de la rue. Le garçon l'a salué d'un léger signe de tête, sans cacher sa surprise. Ce n'est pas étonnant. Depuis le temps qu'il a disparu, Drago se doute que tous ses disciples doivent le croire mort... Et peut-être qu'il en est mieux ainsi. Zabini récupérera les élèves de Constantine, et continuera ses affaires dans son coin...
Drago songe aux paroles de Granger, à ses perspectives d'avenir, et cela lui plaît. Jamais il n'aurait cru pouvoir penser à l'avenir à nouveau un jour. Pas avec un morceau d'âme en moins, et pas sans Jude.
Son regard se ternit. La douleur est toujours bien présente, bien sûr. Elle ne partira pas. Tout juste se cristallisera-t-elle un jour, se fossilisera-t-elle pour faire partie de lui, et de ce qu'il est devenu. Mais en transplanant chez Hermione Granger au comble de sa détresse, Drago avait fait, sans le savoir, le meilleur des choix possibles.
Ce séjour chez la jeune femme lui a fait du bien. Sans qu'il soit véritablement capable d'expliquer pourquoi. Sans qu'il ait cherché à aller bien, en fait. C'était simplement une ambiance. Une atmosphère. Son soutien qui transparaissait à travers le moindre de ses gestes. La tendresse innocente de Rose. Le cadre rassurant d'une maison, d'une famille. La douceur qui exhalait simplement de la personne de Granger, défiant toute imagination. Quand Drago repense à leurs années à Poudlard, il se demande comment il a pu la haïr un jour. Comment il a pu un jour vouloir lui faire du mal...
Peut-être avait-il senti cette douceur à l'époque. Peut-être l'avait-elle perturbé, lui et son monde empli de froideur et d'orgueil. Peut-être y avait-il opposé la seule défense qu'il connaissait alors.
Mais aujourd'hui, devenu adulte, et plus traumatisé que jamais... Cette douceur avait été son seul remède en ce monde.
Drago incline la tête et se laisse tomber sur le lit. Il ne veut pas éprouver. Il a peur de s'attacher. Ses émotions sont comme endormies, aseptisées mais pas totalement : évoluant très lentement dans un bain glacé, engourdies, mais se frayant un chemin petit à petit, à la chaleur tendre de cette douceur qui l'a bercé ces dernières semaines, guéri, protégé, le ramenant peu à peu au monde. C'est une transition lente. Pour la première fois de sa vie, personne ne brusque ce qu'il est ni ce qu'il ressent. La douceur s'infiltre presque insidieusement en lui pour le remplir, remplir le vide. Drago la laisse faire. Il se sent perdu et très lourd, subtil mélange de douleur, de tendresse et d'engourdissement. Mais la métamorphose s'opère, toujours subtilement, et il sent qu'elle l'extrait des ombres. Drago sourit.
Un léger coup frappé contre sa porte interrompt ses réflexions. Lorsqu'il se lève pour ouvrir, non sans oublier sa baguette serrée dans son poing, Drago se retrouve nez-à-nez avec Blaise Zabini. Avant même qu'il n'ait le temps de réagir, son vieil ami lui a déjà pointé sa propre baguette sous le nez :
– Drago, sourit-il. N'avions-nous pas convenu que tu devrais être mort, à présent ?
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