Le pays des loutres

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La plaine résonna du cri de douleur de Tully. Quand il avait compris le traquenard dans lequel ils nous avaient attirés, il avait foncé à bride abattue jusqu'au village. Une diversion autant qu'une vengeance tiède.

Il nous sema presque dans la forêt et le temps pour Hogarth et moi de rejoindre les tipis, Tully enfourchait déjà à nouveau son cheval. Il disparut à l'autre bout de la clairière sous les frondaisons de conifères.

De larges taches brunes, lourdes d'odeurs de cuivre, couraient dans la prairie estivale. L'herbe hier encore haute et grasse portait les stigmates d'une bataille violente. La meute contre laquelle nous guerroyions depuis plusieurs mois venaient de souffler sur l'étincelle de vie de chaque homme, femme et enfant du campement. Pas une bataille, un massacre méthodique et sauvage. Dans une mise en scène macabre, Natawii gisait en croix, attachée à la porte de sa tente. Gorge tranchée, entrailles offertes, une minuscule forme sanguinolente à ses pieds. Un fœtus, le fruit de son amour avec Tully. La nausée et le vertige me saisissaient mais je ne pouvais en détacher les yeux. Hogarth vint à ma rencontre :

 " Hâtons-nous, Mack. Plus tard, nous laisserons libre cours à nos humeurs. Mais il faut rattraper Tully. "

Nous lançâmes nos montures aussi vite que nous le permettait l'épaisseur de la forêt. Parfois, on apercevait notre compagnon au loin mais la plupart du temps, nous ne pouvions que suivre sa trace. Au-delà du pont rouge sautant par dessus la rivière aux loutres, nous la perdîmes mais un craquement de bois nous orienta dans la bonne direction.

Petit à petit, nous grimpions sur le flanc des falaises grises, nous retrouvâmes le chaleureux du soleil mais le froid de la Faucheuse nous enveloppait. Je sentais son ongle pourrissant tapoter sur mon épaule et me susurrer l'inéluctable fin. Elle me parlait souvent ces derniers temps. Aujourd'hui, j'étais enclin à la croire.

À cet endroit, la sente devenait trop escarpée pour les chevaux. Notre ami aussi avait abandonné le sien. Je connaissais son plan. Rattraper la meute avant qu'elle ne franchisse le col. Nous escaladions à quatre pattes la paroi rocheuse jusqu'à atteindre un replat assez large pour accélérer notre allure. Ici, nous aurions un avantage pour rejoindre Tully. Son imposante carcasse, son lourd marteau de guerre et sa peur du vide l'handicapaient dans ces montagnes.

Rapidement, nous l'aperçûmes. Hogarth allait l'appeler mais je lui montrais une rangée de silhouettes lointaines et noires plus haut sur le chemin. Nos ennemis. Aujourd'hui, je regrette de ne pas avoir crié son nom.

Tully les rattrapa sur une langue de roche. Virevoltant comme jamais, animé par une colère meurtrière, il tua les trois premiers loups en un instant. Trois crânes défoncés dont un contre la paroi de la falaise. Il se retrouva face au chef de la meute. Autrefois humain, aujourd'hui bête, des doigts comme autant de griffes tranchantes comme des rasoirs. Une engeance maudite, rapide comme l'éclair face à la lourdeur destructrice de Tully. Je n'aimais pas la tournure que prenait le combat. Alderweireld frappa, l'autre esquiva. Pis, il le blessait à chaque fois. Hogarth et moi vîmes tout ça en débouchant près d'un goulet étroit. Tout se passa très vite. Emporté dans son élan, notre compagnon trébucha, le monstre planta ses serres dans le flanc de Tully. Qui poussa un cri de douleur autant que de surprise. Mais son regard ne perdit de sa rage. Dans un effort terrible, il leva haut son marteau mais l'Homme-Loup lui saisit les poignets. Il ouvrit grand sa gueule bardée de dents plus tranchantes que mon sabre et plongea vers la gorge de Tully. Le sang gicla en épais bouillons. Le marteau lui échappa des mains. Un tintement métallique résonna dans toute la montagne et jusque dans nos cœurs quand il toucha la pierre. Le monstre abandonna la dépouille sans vie de notre ami.

 " TULLY ! NOOOON ! "

Mon hurlement emplit la vallée tout entière. Nous avions perdu tant de proches. Samuel, Solbakken, ma douce Akemi dans les lointaines contrées orientales, Delaney, ma mère. Et tant d'autres. Voir disparaitre mon plus vieil ami m'était insupportable.

Sans hésiter une seconde, je m'élançai, sabres dégainés. Hogarth prit position et décocha de superbes flèches. Des tirs difficiles mais on ne le surnommait pas l'Aigle pour rien. L'Ours à terre, et moi le Hibou en face-à-face avec un Loup. Deux de ses sbires se jetèrent vers moi mais ils étaient morts avant de toucher terre, défigurés par mes lames. Un troisième tenta de me faucher avec une lance mais Hogarth l'atteignit à l'œil. Enfin le leader de la meute face à moi. Il ne voyait en moi qu'un rival de plus à éliminer. Son arrogance lui coûterait cher.

Je bondis vers lui et, au moment où il donna un coup de griffe vers ma gorge, je plongeai. D'une roulade en avant, je me retrouvai dans son dos. Je plantai mon wakizashi entre ses reins. Il se retourna si vite vers moi que l'arme me fut arrachée des mains. D'un coup de pied, il me rejeta en arrière. Déjà, il se précipitait vers moi. Mon katana trancha la main griffue qu'il lançait. Un pas de côté et je lui frappai l'épaule avec ma lame. La peur remplaçait la suffisance dans ses yeux.

Du coin de l'œil, je vis Hogarth arriver sur le piton rocheux. Il tenait en joue les deux derniers guerriers ennemis. Mon attention restait focalisée sur mon adversaire. Agonisant mais encore dangereux, toujours aussi vif qu'une vipère. Il tenta une dernière attaque, gueule grande ouverte. La mort avait une haleine de fauve. Je remontai les épaules et d'un mouvement souple, superbe, je lui tranchai la tête. Elle roula sur les affleurements et s'immobilisa, les yeux révulsés.

Sur cette falaise s'élevant au-dessus d'une vallée splendide, un combat et une quête prenaient fin. Une victoire au goût extrêmement amère. Tant de personnes mortes dont notre ami Tully Alderweireld. Aujourd'hui, la Faucheuse souriait à pleines dents. Elle emmenait de grands guerriers dans son escarcelle.

Il nous restait une chose à faire, un dernier hommage pour ce brave et fier guerrier.

Au pays des loutres, il reposerait auprès de ceux qui étaient maintenant sa famille. Son amour naissant pour Natawii, son enfant.

Adieu, mon ami. Adieu, mon frère. Ton souvenir nous accompagnerait toujours.

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