Deux heures plus tôt...

Dans la salle de bain attenante, Laurène rêvassait. La nuit avait été torride, plus encore que la précédente. La sensation de leurs multiples coïts était encore très présente, comme s'il était toujours en elle, qu'il la baisait. Il n'avait pourtant pas été le seul à prendre des initiatives, elle aussi avait voulu tenir les rênes de leur joute charnelle. Elle l'avait alors pris en bouche de son propre chef, s'était frottée contre son sexe pour le faire à nouveau bander, avant de le chevaucher en amazone, sur le lit king-size ou le fauteuil club de la chambre. Elle en sourit dans le miroir : elle n'avait pas été très longtemps maîtresse de leurs ébats, il en avait vite repris les commandes en imposant lui-même le rythme enlevé de ses va-et-vient. Et puis, ce doigtage anal pendant que sa queue s'activait vivement dans son antre, sa langue et ses dents malmenant ses tétons durcis du désir qu'il savait décupler comme personne. Puis vinrent le changement de position, un doigtage anal plus intense, plus vigoureux, un anulingus qui ne le fut pas moins avant qu'il n'enduise de vaseline le plus petit de ses orifices pour mieux le pénétrer... Ce fut si bon qu'elle s'en cassa littéralement la voix ! Depuis combien de temps n'avait-elle pas ressenti pareille jouissance sous le joug d'un homme, n'avait-elle pas osé ? Depuis Thibaud sans doute... Avec lui, elle ne s'était rien interdit ; elle avait toujours été partante. Mais sa brusque disparition avait tout emporté avec elle : son insouciante jeunesse, sa légèreté, ses désirs de femme... Il avait fallu qu'elle attende et rencontre le sémillant et fougueux trentenaire pour se retrouver pleinement. Oui, Miguel avait su attiser le feu qui couvait encore en elle, malgré les années passées à le mettre en veilleuse. Probablement à cause de l'absence de passion dans le couple que Jean-Louis et elle avaient fini par former.

Cela étant, Laurène se demandait à présent jusqu'où ils seraient prêts à aller, son amant et elle, dans leurs jeux sexuels.

Machinalement, elle alluma son smartphone, qu'elle avait éteint la veille au soir en arrivant au Mas des Brunes, et une alerte de message vocal l'empêcha de poursuivre sa réflexion plus loin. Julie avait tenté de la joindre vers les 3 heures du matin, paniquée :

« Il faut que tu viennes, Laurène, vite ! Je ne peux pas t'expliquer ça de but en blanc sur un répondeur, mais rappelle-moi dès que possible, il est arrivé quelque chose... Quelque chose de grave à Valentine... »

La blonde cannelle redescendit brutalement de son nuage et composa dans la foulée le numéro de téléphone de sa meilleure amie. A l'annonce de la terrible nouvelle, la jolie quadra étouffa un sanglot dans sa main et s'effondra en larmes sur le lavabo. Sa fille n'était plus.

***

Pardonne-moi, Miguel, de m'enfuir comme une voleuse, mais je ne voulais pas te réveiller, pas comme ça. C'est difficile pour moi, j'ai du mal à réaliser, tu comprends ?

Tout est si confus dans ma tête, embrouillé. J'aurais dû voir venir les choses, sentir qu'elle n'allait pas bien - une mère digne de ce nom doit forcément ressentir, pressentir ces choses-là, non ?

Valentine est partie, cette nuit, pour toujours. Un voyage dont on ne revient pas, une overdose de cocaïne. Valentine, ma fille, ma toute petite fille...

Je vais rentrer sur Lyon avec Antoine ; c'est lui qui va me raccompagner là-bas, je ne suis pas en état de conduire.

Je te recontacterai plus tard, c'est mieux ainsi, enfin je crois. Je ne sais pas...

Je t'embrasse.

Laurène

***

L'hidalgo était sous le choc. Peiné pour sa maîtresse bien sûr, mais pas seulement.

Valentine...

Ce prénom lui avait sauté au visage, comme une réminiscence de son propre passé. Un passé dont il avait essayé de se débarrasser en coupant tout lien avec cette ex si encombrante, mais qui semblait ne pas vouloir le lâcher.

Valentine...

Il revoyait ses traits dans la lueur pâle d'un matin câlin. Il l'avait maintes fois interrogée sur les scarifications qui striaient son bras gauche, les traces de piqûres récentes qui émaillaient sa peau. Elle avait souvent éludé ses questions, puis avait fini par se confier à lui sur ce mal-être qui avait toutefois commencé à se dissiper depuis qu'ils se fréquentaient tous les deux. Elle disait de lui qu'il était son médicament, sa dope, que sans lui, elle ne survivrait pas, elle replongerait. Au début, il avait cru qu'elle exagérait. Et puis, étaient venues ses premières crises, sa jalousie hystérique, excessive, la peur de l'abandon, ses chantages au suicide. Des caprices auxquels il avait cédé en se rabibochant avec elle, sur l'oreiller. Jusqu'à ce qu'elle l'insupporte trop et qu'il ne la quitte. Mais elle se refusait toujours à sortir de sa vie et continuait d'utiliser les mêmes armes pour le faire craquer : le sexe et cette perpétuelle envie d'en finir qu'elle faisait planer sur lui s'il ne lui revenait pas.

Valentine...

Il n'avait jamais fait le rapprochement entre son ex, qui ne lui avait jamais révélé son nom de famille, et la fille de Laurène, dont il ignorait jusqu'alors le prénom, mais dans son esprit, de troublants points communs se firent subitement jour : le même âge, les mêmes complexes, cette mésestime de soi qui les avait toutes deux conduites à avoir recours à la chirurgie esthétique ; une addiction semblable et une tendance suicidaire à l'auto-destruction qui l'était tout autant...

Non, ce n'était pas possible !

Et pourtant, au fond de lui, il le savait : ça ne pouvait pas être une simple coïncidence.

En proie au remords et au doute, Miguel se résolut à lire le MMS que « sa » Valentine lui avait envoyé la veille. Dès les premières notes de cette chanson qu'elle lui adressait, sa voix très douce se fit poignante, avant de gagner en puissance et en intensité, à en filer des frissons ; une interprétation vibrante qui ne laissa pas le trentenaire de marbre. Il l'avait pourtant déjà entendue dans un registre plus pop-rock, mais les paroles que déclamaient pour lui la jeune femme, cette émotion à fleur de peau qui émanait d'elle en fixant l'objectif de la caméra qui la filmait, les larmes au bord des yeux, le cueillirent et le touchèrent en plein cœur. Cette déclaration d'amour, cet appel au secours dont il n'avait pas souhaité prendre connaissance plus tôt, le déchiraient en lui revenant ainsi en pleine face, comme un boomerang. Il ne pouvait plus nier l'évidence : les deux Valentine ne faisaient qu'une, et sa voix cristalline, qui résonnait encore dans la pièce, pointait du doigt la responsabilité de son désarroi.

C'était lui qui l'avait tuée, il en avait désormais la certitude.

***

« Le doigt calé sur la détente /
La solitude à bout portant... » (1)

(1) : paroles extraites de la chanson Pour un instant, interprété par Jessica Marquez.