Le baiser

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— Tu crois à la magie ? demanda-t-il.

— C’est une vraie question ?

Le ton était gentiment moqueur mais elle comprenait l’origine de cette sortie insolite. Au-dessus de leurs têtes, le ciel ondoyait avec lenteur, comme un serpent trop gras, sa noirceur fendue d’une imposante traînée vert viridien frangé d’azur, à la lumière si intense qu’elle couvrait les étoiles et nimbait le paysage d’une aura fantasque, presque mystique ; comment ne pas être tenté de croire à la magie ?

Ils se tenaient côte à côte depuis de longues minutes, les pieds plantés dans la neige et le nez levé, la nuque douloureuse mais les yeux brillants d’émerveillement. Ils avaient passé la journée ensemble, à sa grande surprise et alors qu’ils s’étaient rencontrés le matin même. L’exquis plaisir d’entendre parler français en ces terres étrangères, comme un petit bout de maison à l’autre bout du monde. Ils avaient marché toute la journée, soit cinq heures seulement car le jour ne sort jamais vainqueur en hiver. Ils s’étaient fait surprendre par la précocité de la nuit et avaient dû poursuivre leur route dans l’obscurité. La lune n’était qu’un croissant fin, comme le pendentif délicat d’une vieille dame, et la seule lueur semblait émaner de la neige elle-même. Ils avaient avancé lentement, elle avait plaisanté sur le parfait scenario de film d’horreur que leur aventure ferait, lui n’avait pas vraiment ri.

Elle était apparue d’un coup, dans un coin de ciel pris entre deux pans de montagne, d’abord faible coloration, petite chandelle d’une pièce bien trop grande, puis, alors qu’ils s’arrêtaient pour l’observer, elle s’était déployée, irrépressible et forte et ils n’avaient plus pu la quitter des yeux ni se résoudre à reprendre la route. La scène n’avait plus rien du film d’horreur.

— J’ai très envie de t’embrasser. Est-ce que tu veux ?

Elle sourit pour s’empêcher de rire. Non de la demande, mais de la joie brutale qu’elle lui procurait.

— Oui, je veux.

Elle se tourna vers lui et ouvrit sa doudoune. Après un froncement de sourcils, il l’imita.

— Ça nous réchauffera, expliqua-t-elle sans nécessité.

Il fit le pas qui les séparait. Elle sentit une main se poser sur sa taille, dans l’entrebâillement de la veste et ne put retenir un frisson. Il se pencha vers elle et baisa son front, souffle chaud cascadant sur son visage, lèvres douces effleurant sa tempe, ses paupières papillonnantes, sa pommette. Elle ferma les yeux. Elle s’approcha encore, dégagea les pans de vestes et se plaqua contre lui pour donner et prendre, partager une même chaleur. Il caressa sa nuque et glissa des doigts dans ses cheveux. Elle frissonna à nouveau.

Il baisa sa joue puis posa ses lèvres sur la fine arête de son nez. Il s’éloigna.

— Ton nez est gelé !

— C’est signe de bonne santé chez les chiens !

Il lui offrit un sourire à faire fondre le marbre. Ravie, elle passa ses mains autour de sa taille et les laissa vagabonder dans le bas de son dos, remonter pour mieux retomber, tout en se retenant d’empoigner les fesses qui s’offraient à elle. Elle voulait d’abord le baiser, le baiser sous ce ciel enchanté.

— Je ne dis pas que je suis une chienne…

— Oh bon sang ! Sais-tu seulement te taire ?

— Je parlerais moins si tu m’emb…

D’une main ferme, il leva son menton et plaqua sa bouche contre la sienne. Elle était sèche et un peu gercée, elle ne l’avait pas encore remarqué. Elle sentait le café du thermos qu’ils avaient vidé pour se réchauffer. Elle entrouvrit ses lèvres, avide de plus, mais la bouche fuit. Elle accueillit la frustration comme une amie dont on attend le départ avec impatience.

— J’ai envie de le déguster, ce baiser.

Sa voix résonnait dans sa poitrine, elle l’entendait autant qu’elle la ressentait.

Il caressa son front, glissa le long d’une mèche de cheveux. Ses yeux parcouraient son visage comme une caresse plus douce encore. Elle abaissa ses paupières et attendit.

Un baiser se posa sur sa joue, suivi d’un autre à l’angle de sa mâchoire, si près de son oreille qu’elle leva l’épaule pour se protéger, ce qui le fit rire. Il embrassa son menton, frôla ses lèvres de son pouce, puis de sa bouche, pressa tendrement, attrapa sa lèvre inférieure entre les siennes et la mordilla. Elle sentait son haleine chaude, sa langue qui commençait à s’aventurer, elle entendait son propre cœur tambouriner à ses oreilles alors que son ventre palpitait délicieusement. Elle aurait voulu l’avaler tout entier ou se fondre en lui comme un bout de beurre sur un toast, elle aurait voulu que leurs corps et leurs âmes et leurs cœurs se mêlent comme leurs langues le faisaient, qu’il n’y ait plus rien à part eux, cocon brûlant dans cette neige glacée, et l’aurore, l’aurore qui chatoyait encore et encore et n’en finissait pas de les admirer.

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