II
Le repas du soir faisait souvent suite à l'approvisionnement des chevaux dans les écuries. Une tâche que Zach s’appliquait à effectuer tous les jours depuis plusieurs années maintenant. La soirée commença lors du retour du jeune homme dans la maison familiale. Il avait entendu son père s'exprimer de sa grosse voix grave avant même de franchir le seuil de la porte. Il s'était dissimulé derrière le mur de la pièce où se tenait une conversation animée.
De l'autre côté, se tenait un personnage imposant au ventre rebondi. Ses bras épais, plus charnus que musclés, étaient lourdement posés sur la table. Une serviette attachée autour du cou, il demeurait assis devant une assiette remplie de plus de nourriture qu'elle ne pouvait en contenir. On aurait dit qu'il s'apprêterait à la vider d'une traite lorsque Zach s'assiérait à son tour en face de lui pour dîner. Son visage buriné était pourvu d'une broussailleuse moustache noire qu'il se plaisait souvent à grattouiller. Comme à son habitude, il parlait de façon déterminée à sa femme qui finissait de garnir la table avec différents alcools forts dont il s'abreuvait régulièrement sans modération.
― Demain à l'aube ton fils partira avec moi, lui lança-t-il en portant à ses lèvres scarifiées une importante gorgée du liquide pâle contenu dans son verre. « À son âge, j'étais déjà en train de remplir les cellules de ces chiens que j'allais moi-même chercher en Zyrkanie avec mes hommes et ma caravane ! » Il eut soudainement un rire gras qui aurait pu glacer le sang d'une personne étrangère à son quotidien.
― Je ne suis pas de ton avis, il y a encore beaucoup de travail ici pour lui ! Elle avait répondu avec un ton peu enclin à contenter son mari.
― Depuis quand ma femme donne-t-elle son avis sur mes affaires ? Je l'emmènerai découvrir ce à quoi il est destiné, j'en ai décidé ainsi. Il mit fin au débat d'un brutal et dissuasif coup de poing sur la table.
Le jeune homme retourna discrètement à l'entrée pour prévenir son arrivée d'un bref claquement de porte. Il pénétra dans la salle à manger où se tenaient depuis un moment ses parents. Il s'attendait à ce que son paternel trouve une quelconque remontrance à lui faire bien qu'il eut des choses plus importantes à lui communiquer ce soir-là. Il ne se trompa point :
― Ah ! Te voilà toi ! Nos chevaux vont bientôt ressembler à des boeufs vu le temps que tu prends tous les soirs pour les nourrir.
Tandis que Zach s'installait calmement à table, son père le toisait du regard.
Il reprit de sa lourde voix après avoir porté généreusement et à plusieurs reprises son couvert empli de victuailles à la bouche comme pour se rassasier d'une faim vorace.
― Demain, ton père va faire de toi un homme ! Tu ne vas pas rester dans les robes de ta mère jusqu'à ce que te vienne l'âge de l'honorer à ma place. Satisfait de sa saillie, il fit de nouveau retentir son rire grossier. Puis, désignant son fils de son gros index : « Tu vas m'accompagner pour apprendre les affaires et parce que j'aurais besoin de toi à Qartum. »
La conversation ne s'était guère éternisée. En définitive, elle n'avait pas duré plus de temps qu'il en avait fallu au jeune garçon pour comprendre ce à quoi il était incité.
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