Chapitre I, partie 3 : Princeps
En y entrant, il eut l'impression de se retrouver à un autre âge. Le sol, habituellement recouvert de plaques de céramique piezo-électriques, était ici pavé, en damier brique et gris. Bien qu'étroite, la rue offrait une chaleur bienvenue grâce aux nombreuses échoppes traditionelles qui bordaient la route. Bars, sandwicheries, restaurants bourgeois et quelques boutiques de vêtements étaient ouvertes, apparemment de jour comme de nuit, afin d'offrir aux rares passants des services eux aussi de plus en plus rares. Les immenses centres commerciaux et les grands magasins de prêt-à-porter tuaient à petit feu ces survivants d'une autre époque.
Il resta ainsi, au milieu de cette rue, sous la lumière d'un lampadaire à huile. Sa lumière protectrice conférait à ce simple chemin de traverse un caractère magique, presque irréel. Il respira l'odeur des fleurs fraîches, plantées sur le bord, enregistra la sensation de cette lumière chaude et bienfaitrice sur sa peau blanche, et se laissa aller aux douces notes d'une petite musique de ballet, au violon. Il était nostalgique, peut-être parce que cette mélodie était celle jouée par sa mère durant son enfance. "Sous les cieux d'autrefois", son titre, et cette romance lui évoquaient de nombreuses choses.
Soudain, il fut ramené à la réalité par un bruit qui lui était désormais familier : un coup de feu. L'oreille tendue, la main sur son fleuret, il lança des coups d'oeil vifs dans toutes les directions. Le désavantage de ce paradis mélancolique, c'était bien que des dizaines de ruelles la rejoignaient, et qu'il était impossible d'identifier précisemment la provenance de ce tir.
Mais un autre coup de feu retentit, puis encore un. Cette fois, il en était sûr, les tirs provenaient tous d'une rue adjacente à celle où il se trouvait. Il partit brusquement, laissant là ses rêves et désirs, pour aller verifier l'origine de la fusillade.
Une fois dans la ruelle, Il s'arrêta brutalement : Si c'était un membre de la garde ou le l'OLCASA qui avait tiré et qu'il se montrait, ils n'hésiteraient pas une seconde à lui trouer la peau. Il était assez connu dans la région, principalement pour ne pas s'être rendu au contrôle mensuel obligatoire des SDF une bonne quinzaine de fois. Ils ne l'avaient pas pucé, Il n'était pas tracé, mais si Il apparaissait devant eux sans qu'ils l'aient vu sur leur écran tactile, il était certain de finir au poste de la garde pour non respect de la charte démocratique. Pour faire simple, il risquait les cellules de confinement de l'armée. Pas très drôle.
Il préférait donc garder ses distances et observer la scène de loin, derrière un pan de mur.
A première vue, pas de cadavres. Donc, personne n'avait été tué. Aucune flaque de sang, ni d'impacts de balles apparents. A la place, deux personnes, debout, au milieu d'une grande allée modernisée. Rien à voir avec celle dont il sortait.
On n'y voyait quasiment rien, obscurité oblige et lampadaires récents à la strabonite plus inutiles pour éclairer qu'un telephone cellulaire. Non mais serieusement, qui pouvait avoir eu l'idée d'éclairer les rues avec de la lumière bleue, se demanda-t-il? C'était bien une idée idiote des ingénieurs du ministère de l'energie, ça, utiliser de la lumière radioactive pour gratter un maximum sur le budget. Belle bande de technocrates, se dit-il encore.
En se concentrant un peu, il vit que l'une des deux personnes était un homme, assez grand. Lui et l'autre, une jeune femme d'environ vingt ans, étaient de profil, c'est comme ça qu'il comprit que l'homme avait un pistolet braqué sur elle. Tout ça avait vraiment l'air d'une grosse dispute, mais de sa position le jeune garçon entendait très bien ce qu'ils se disaient.
-Ecoutez je suis désolée de vous le redemander, mais je dois me rendre sur mon lieu de travail. J'ai reçu un appel urgent, et si je ne suis pas sur les lieux dans quelques minutes je vais et...
-Ferme là j'tai dit ! T'as pas compris qu'ici c'est le territoire de la garde ma p'tite? Les saloperies de militaires comme toi on en veut pas, et quand ils passent on leur pisse dessus. C'est clair? Alors tu vas faire demi tour et aller te faire voir.
De nouveaux lampadaires s'allumèrent, ainsi que les lampes d'habitants réveillés par le grabuge provoqué. Elle ne semblait pas vouloir reculer. Campée sur sa position, elle se redressa et afficha un air de reproche.
La première chose remarquable chez elle était son look, très spécifique. Elle portait une grande blouse blanche par dessus une chemisette grise et un pantalon bleu pattes d'eph. Sur cette blouse était cousu un écusson à trois bandes dorées horizontales, symbole de son appartenance à l'armée de Lazaria, mais vu son accoutrement, elle était sûrement affiliée au secteur de recherche. Autour de son cou était enroulé une sorte de châle bleu-gris, légèrement éfiloché. Sa coupe de cheveux, elle, faisait très garçon manqué, au carré et visiblement peu soignée, en plus de cette teinture bleuâtre.
Les trois bandes signifiaient qu'elle possédait le grade de Lieutenant. Dans son coin, l'apprenti espion esquissa une moue de dégoût : le grade de lieutenant était le premier grade permettant de prendre des décisions de type militaire, le genre de personnes qui dirigeait un département complet, soit environ une vingtaine de personnes. C'était typiquement le genre de personne qu'il éxecrait, plutôt que les pauvres bougres qui suivaient les ordres.
-Monsieur, vous ne me laissez pas le choix...
Le jeune homme recula. Il suppliait interieurement la femme de ne pas commetre cette erreur. Il fallait être une débutante pour vouloir contredire un garde, en plus ivre comme celui-ci.
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