Chapitre VI, Partie 3 : La convocation de l'inspecteur

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Je me redressai maladroitement sur ma chaise, essayant de cacher mon inconfort. Je m'étais préparé à une conférence qui résumerait l'enquête, pas à une garde-à-vue et une séance de questions. Moi qui comptais sur cette petite heure pour glaner quelques informations sur l'état de leur enquête, me voilà bien plumé. Je ne savais pas vraiment comment m'en sortir, mais je mettais déjà tout sur le compte de mon talent à embrouiller les gens.

Tadéo, de l'autre côté, ouvrit son imposant classeur. Il feuilleta et refeuilleta les dizaines de papiers qui traînaient à l'interieur, sans me quitter du regard une seule seconde. Si je ne m'y connaissais pas, je dirais qu'il tentait de me destabiliser. Malgré moi, mes mains trahissaient mon manque de confiance en moi. Elles avaient entrepris un petit ballet en duo, sur lequel je n'avais aucune emprise. Je faisais de mon mieux pour me calmer, mais face à un Grand-Lieutenant de l'armée républicaine ce n'était pas facile. D'autant plus que celui-ci m'avait dans le nez.

Après avoir attentivement passé des centaines de documents au crible en quelques minutes, il referma bruyamment son dossier. Ce son résonna dans la salle durant un moment. Il posa ses coudes sur ses genoux, croisa les doigts et posa son menton arrondi sur ses phalanges.

 -Bon, on va pouvoir commencer. Moi et l'inspecteur allons devoir te poser quelques questions, mon jeune ami. Tu n'y vois pas d'inconvénients?

Je fourrai mes mains entre mes jambes, et articulait tant bien que mal un "non" pas très assuré.

 -Eh bein c'est parfait, répondit Tadéo d'une voix chantante. Nous n'aurons donc aucun problème. Et tu n'as pas l'air d'avoir quoi que ce soi à te reprocher, donc tu n'auras aucun mal à répondre. La vérité, rien que la vérité, TOUTE la vérité, n'est-ce pas?

Cet homme devenait parfaitement insupportable. Il était droit comme un I avec ses hommes en public, attentionné avec sa petite Eolia protégée, et devenait particulièrement vicieux quand il posait des questions à quelqu'un. Il savait que je n'étais pas blanc comme neige. Ce genre de personne avait du nez pour débusquer les menteurs. Je commençais à comprendre pourquoi on le redoutait.

 -Je vais donc commencer par des petites questions basiques, reprit le grand-lieutenant qui avait maintenant les jambes croisées. Son dossier était, lui, de nouveau ouvert. Alors, dis moi, qu'est-ce que tu sais de la garde civile?

J'avais, pour ma part, réussi à maitriser mon stress, enfin en partie. Je reposai mes mains sur la table et affrontai le regard interrogateur de mon superieur.

 -Eh bien j'en sais à peu près autant que tout le monde. C'est un organisme gouvernemental qui a pour mission la surveillance des cités et la repression des infractions, ce dans la limite de leurs pouv...

 -Oui, oui, bon, ça, se sont des banalités, m'interrompit brusquemment Tadéo. J'aurais posé la question à n'importe quel quidam, j'aurais obtenu la même réponse. Moi, je veux savoir ce que toi tu en penses. Tu as de bonnes relations avec la garde? Comment trouves-tu ses membres? Directs, violents, sympathiques?

Légèrement surpris par cette interruption, j'avais recommencé à gigoter un peu dans tout les sens. Cette fois, c'étaient mes pieds qui dansaient la gigue sous ma chaise. Je décidai de jouer l'insolence, mais en restant poli.

 -Vous voulez vraiment mon avis, ou bien juste une réponse banale toute faite dans laquelle j'affirme que la garde est là pour notre sécurité à tous?

Tadéo cessa de prendre en note la conversation, et tourna un visage amusé vers son collègue, l'inspecteur Boisclair. Ce dernier souriait à travers sa petite moustache grise, et leva les sourcils quand son regard croisé celui de son petit neveu. Le grand-lieutenant revint alors vers moi, la mine de nouveau sérieuse.

 -Non, je veux ton avis.

Il avait voulu mon avis, je lui donnai donc ma pensée concernant cette bande d'incapables.

 -Pour être franc, je n'ai jamais vu la moindre utilité à gaspiller des donations de l'Etat dans cette organisation de poivrot. La plupart n'ont jamais vu un braqueur de banques, la moitié voit de travers à force de picoler, et un tiers ont leur certification nationale. J'aurais espéré que eussiez évacué ces idiots de la circulation depuis longtemps, ils sont inutiles à la société. Oh, et faites pareil pour l'OLCASA, c'est la même chose chez eux. Ils ne savent pas faire la différence entre un clochard et un lampadaire, je me demande si ils ne sont pas subventionnés par les taverniers de la rue Pierre Amil, eux aussi.

J'avais sorti tout ce que pouvais sur la garde civile. C'était la bonne technique à utiliser en face d'un gradé de l'armée lazarienne. Ils ne supportaient pas à la garde, et cette dernière abhorrait l'armée. Si je pouvais me mettre tonton Tadéo dans la poche ET raviver quelques tensions entre ces deux groupes d'idiots, je n'allais pas me gêner pour le faire. J'observais très attentivement la réaction du grand-lieutenant. Je m'attendais de nouveau à un petit rictus d'approbation, ce serait la signe d'une petite victoire.

 -J'eusse espéré.

Le sourire que j'espérais n'étais pas apparu. Au lieu de ça, cet imbécile me sortait des mots sans rapport avec la discussion.

 -Pardon, demandai-je timidemment ?

 -Concordance des temps, reprit-il dans un soupir. On dit "J'eusse espéré que vous eussiez", et non "j'aurais espéré que vous eussiez". Fais attention à ta grammaire, s'il te plaît, j'aimerais ne pas avoir à raturer mon rapport.

Les bras m'en tombèrent. Je continuai de le fixer, incrédule devant sa reaction. Il fallait croire que celui-ci allait être plus coriace que les bidasses de base. Je serrai les dents, respirai un grand coup, et m'excusai platement.

 -Oui, c'est vrai, excusez moi. J'ai du mal avec le subjonctif plus que parfait.

 -Eh bien quand on ne sait pas, on ne fait pas mon petit.

Je serrai les dents encore plus fort. En fait, je commençais vraiment à grincer des dents. Si il voulait me faire sortir de mes gonds, il n'en était pas loin. Jamais un fichu soldat ne m'avait aussi bien humilié en aussi peu de phrases. Et sur mon langage, qui plus est, j'avais horreur de ça.

Il fallait que je me calme. Hors de question de rentrer dans son petit jeu de cache-cache, j'allais perdre. J'avais entendu dire qu'il était membre de l'armée depuis 24 ans, il était donc rodé aux interrogatoirs et aux fortes têtes. C'était une erreur de ma part de tenter l'insolence et la ruse, j'avais joué sur son terrain favori. Maintenant, j'allais appliquer une nouvelle stratégie : dire et laisser dire. S'il voulait des infos, j'allais faire en sorte que son dossier soit plus vierge qu'un tas de neige. Pour vivre heureux, après tout, vivons cachés.

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