Chapitre II, Partie 1 : Kardrija Oswald
Dans la pièce, aucun bruit. Seulement le son mat de l'immense pendule mécanique accrochée au mur du fond, qui donnait à ce bureau une atmosphère intemporelle et calme. Le feu de bois qui crépitait dans l'âtre, derrière une vitre en plexiglas, apportait lui une chaleur paradoxale à cet endroit sobre. Un bureau de bois, une étagère alourdie de dossiers en tout genres, ainsi que trois canapés rembourrés remplissaient l'espace vide.
Adossé au vieux secrétaire, une chaise confortable faisait face à la grande fenêtre qui donnait sur la belle cour interieure. La pleine lune emplissait de sa lumière blanchâtre la partie non éclairée par la cheminée et l'ensemble offrait un spectacle étrange. Un duel lumineux s'opérait en silence et participait à donner à cette place son caractère iréel et lointain. Seul le tic-tac régulier de la pendule reliait ce monde au notre.
Mais ce bureau n'avait pas toujours été si vide. A une autre époque, il avait été doré, tapissé, et des lampes strabonienne de luxe étaient fixées aux murs. Cette sobriété n'était que très récente, elle ne remontait qu'à l'arrivée du nouvel occupant, il y a de celà une dizaine d'années.
Ce charme s'arrêta d'un seul coup lorsque trois coups secs furent frappés. La double porte s'ouvrit, laissant apparaître un homme. Puis un autre, et encore un. Au total, ce furent quatre personnes qui investirent la pièce, et prirent position dans les sofas moelleux.
Le premier d'entre eux était un homme grand, fort, visiblement un militaire. Il portait un uniforme Bleu et rouge, par dessus une chemise noir et un pantalon noir, des bottes montantes en cuir, ainsi qu'un sabre républicain. Une calvitie prononcée, ainsi qu'une longue balafre caractérisaient son visage de marbre. Cinq bandes dorées surmontées d'une étoile et cotoyées par deux L somptueusement dessinés étaient brodées sur son uniforme. Sa posture était droite, et son assise se voulait imposante et forte. Il semblait néanmoins préoccupé.
Les trois autres, habillés d'un costume noir et gris de velours, semblaient plus enjoués et plus heureux. Relativement corpulents et de physique plus ou moins quelconque, ils prirent indolemment place aux côtés du militaire dans les places qu'il restait. Tous portaient avec eux un dossier, très épais, sur lesquels étaient inscrits la mention "Budget et moyens".
Les trois hommes en question, une fois assis, se mirent à discuter joyeusement de tout et de rien. L'un parlait du temps qu'il faisait, de plus en plus frais selon ses dires ; Un autre, lui, trouvait que la cantine du palais se faisait moins bonne ; le dernier, quant à lui, se plaignait d'avoir à venir dès huit heures le matin pour travailler. Et tous éclatèrent d'un rire sonore qui contribua à renforcer l'attitude renfrognée et agacée du soldat présent.
Soudainement, une voix se fit entendre.
-Vous n'avez tout de même pas sollicité une audience pour que je vous entende vous pouffer de rire?
Tous se turent. Les trois hommes qui quelques secondes plus tôt s'esclaffaient avaient perdu toute leur jovialité. Leur visage affichait maintenant un regard maussade, seul le grand homme assis en fasse esquissa un sourire de satisfaction. Le silence retomba.
La voix venait de la chaise pivotante adossée au bureau. En effet,un homme était installé sur celle ci. Ce dernier, après avoir réprimandé les trois hommes, se retourna pour se réveler à son public.
C'était quelqu'un de grand, mince et élancé. Les cheveux mi-longs, applatis sur l'arrière de son crâne, le teint blanc, il affichait une mine déconfite et fatiguée. Son costume jurait avec son visage et sa posture raide, un complet de soie pourpre par dessus une chemise blanche et un noeud papillon imposant. Tout en lui rappellait le clown, exepté l'expression.Une paire de richelieues en cuir noir venait completer l'ensemble.
Il scruta l'assemblée qui se tenait devant lui, avant de parler.
-Bien, bien. Que me veulent donc messieurs les ministres de la fonction publique, du culte et de la sécurité civile? Ce n'est pourtant pas jour de conseil.
Le premier homme se leva. L'air suffisant, le regard hagard, un petit sourire idiot s'affichant sur ses lèvres, il s'approcha du secrétaire et de l'homme en pourpre en toussotant. Sa démarche était gauche, il était clairement mal à l'aise.
-Monsieur Breignat, ministre de la sécurité civile. Vous êtes donc le premier à venir réclamer votre sucette?
Surpris par ce ton, le dénommé Breignat s'exprima.
-Hum...eh bien, monsieur le président, au nom de mon ministère et du personnel que je représente, je suis venu vous demander une augmentation du budget alloué à la sécurité de nos civils. En effet, nos experts ont noté une recrudescence de la violence dans les quartiers cosmopol...
-Oh, oui, vous avez raison ! s'exclama le président, Il est vrai que ces quartiers cosmopolites nous posent de plus en plus de problèmes. Mais, il me semble, et dites moi si je me trompe, vous avoir déjà attribué cette augmentation la semaine dernière, ce pour les mêmes motifs. Ainsi que la semaine d'avant. Et la semaine qui précédait. Enfin, j'ai peut-être mauvaise mémoire, me direz vous, mais j'ai l'impression que vous me prenez pour une buse, mon ami.
Il tourna le regard vers les deux autres, très gênés. Ils étaient plongés dans leur dossier, cherchant quelques arguments à opposer à leur superieur.
-Je suppose que vous êtes là pour les mêmes raisons, dit-il en s'adressant à eux. N'est-ce pas? J'immagine également que vous voudriez une augmentation de l'effectif aux cuisines, au ménage, et à votre disposition personnelle?
Le silence se fit, encore une fois. Plus personne n'osait parler, devant le déluge de reproches à peines voilées de la part du président. Cependant, celui-ci, visiblement fatigué,se saisit d'un stylo en soupirant et apposa sa signature sur un morceau de papier qu'il leur tendit.
-Tenez, allez donc à la comptabilité et demandez leur ce que vous désirez en leur remettant cela. Maintenant, laissez nous, le général Kobe et moi-même avons des sujets autrement plus épineux à aborder. Allez, du vent !
Les trois ministres, qui avaient retrouvé leur rictus idiot, s'en furent précipitemment, sans oublier de refermer la porte. Kobe et le président, désormais seuls dans la pièce, échangèrent un regard exaspéré.
-Monsieur Oswald, vous pensez sincèrement qu'en leur donnant ce qu'ils veulent ce pays ira mieux? Je sais bien qu'ils n'ont pas de réel pouvoir et que vous et le ministre de l'interieur gouvernaient à leur place, mais ils reviendront la semaine prochaine...
-Je me fous allègrement de la santé de ce foutu pays, Kobe. Je leur donne ce qu'ils veulent simplement pour avoir la paix, même s'ils finissent toujours par revenir. C'en devient lassant, je ne pensais pas qu'être président de la république pouvait être aussi fatigant.
-Peut-être, monsieur, mais nous devons tout de même aborder certains sujets. Et par "certains", j'entends "un" en particulier. Ne faites pas celui qui ne sait pas, je vous en prie.
Oswald avait en effet ouvert grands ses yeux dans une expression d'incrédulité, qui sonnait particulièrement faux compte tenu de l'exageration de ses traits . Cependant, devant l'air réprobateur du général, il reprit un visage normal et revint très vite à la discussion.
-Je vous parle de Fenestris, monsieur.
-Oui, je le sais bien, Kobe. Eh bien, qu'y à-t-il avec Fenestris? N'aviez vous pas réglé le problème?
-Oh moi je n'ai rien fait, c'est le général-démocrate de la ville qui s'est chargé d'annéantir ce début de rebellion. Mais là n'est pas le problème, monsieur, le problème est le mot "début". Monsieur, sauf votre respect, vous n'avez pas engagé la politique d'appaisement que vous aviez promis avec les Phariens.
-Non, effectivement, j'ai préféré prendre le parti plus sûr de la CMO. Au moins, Gaahr , lui, n'a plus les moyens de se révolter, à son âge...
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