Chapitre X, Partie 3 : Impasse
En un tour de main, le voilà donc dehors, ou plus exactement dans le couloir. Il en avait marre de ces couloirs. Il venait à peine de passer la nuit à chasser une saleté de rongeur dans ces allées froides. Il parcourut du regard les alentours, pour voir si un hypothetique garde se trouvait à côté, mais non. Le batîment devait être desert, il était vraiment tard. Tous devaient être retournés dans leur dortoir respectif. Tous à l'exception de Tadéo, bien sûr. Celui-ci, pensa Dieter, ne dormait probablement jamais.
Il s'assura de refermer la porte à clef en donnant un petit coup d'épaule. C'était si simple, cette salle devait être aussi âgée que l'inspecteur Boisclair, et la porte n'avait pas été changée depuis.
Après avoir arpenté ces couloirs durant plusieurs jours (et une nuit), il les connaissait à peu près par coeur. Il n'eut aucun mal à se débrouiller pour s'y retrouver, malgré l'apparente complexité des lieux. C'est donc tout naturellement qu'il arriva devant la porte d'entrée d'EXODUS. C'était une grande porte de verre indestructible, doublée d'une paroi de blindage. Elle semblait solide, mais Dieter eut un petit rire nerveux : s'ils avaient voulu protéger cet endroit à ce point, ils n'auraient pas fait la façade exposée en baies vitrées, mêmes incassables. Quelques explosifs bien placés auraient eu raison de cette pseudo-protection inviolable.
Le jeune garçon comprit alors le ridicule de la situation dans laquelle il s'était fourré : si des informations sensibles reposaient ici, la sécurité aurait été bien plus importante ! Pour commencer, on ne l'aurait jamais autorisé à rentrer, ne serait-ce que pour déposer Eolia. Des militaires l'auraient prise en charge. De plus, Tadéo avait pris le risque de faire confiance à sa protégée en la laissant l'engager. Là aussi, un grand-lieutenant de l'armée aurait tout de suite perçu un danger d'espionnage.
Cela expliquait aussi pourquoi lui, Dieter, l'infiltré qu'on soupçonnait d'espionnage militaire, était encore en liberté. Tadéo et la hierarchie lui auraient collé un procès et l'auraient énvoyé devant la cour militaire s'il était si dangereux que ça. Voilà pourquoi Tadéo s'amusait de le voir fouiller au lieu de l'arrêter : il n'y avait rien à trouver dans ce trou paumé de l'armée !
Sa carte, même celle de concierge, l'autorisait à sortir du batîment. Mais son identité serait enregistrée automatiquement. Il réflechit donc, en s'asseyant par terre, à un moyen de quitter le complexe sans se faire repérer.
La solution lui vint du ciel, enfin du plafond. Un courant d'air chatouilla Dieter derrière les oreilles. Dans un premier temps, il s'énerva en pensant qu'un moustique lui tournait autour. Mais en levant la tête, il aperçut la source de cet air frais : une bouche d'aération. Un sourire illumina son visage le temps d'une seconde. 9a faisait peut-être un peu film d'espionnage, mais ça ferait parfaitement bien l'affaire !
Il sauta derrière le guichet d'accueil, prit un tabouret et le plaça pile en dessous du conduit. Le plafond était assez haut dans le hall d'EXODUS, mais Dieter put y accéder. En plus, elle était assez large pour qu'il puisse y passer. Il n'était pas très large, ni très grand. Il se faufila donc sans soucis dans la bouche.
Une fois à l'intérieur, il rampa dans la direction d'où provenait le courant d'air. Plus il avançait, plus celui-ci était puissant, lui indiquant qu'il était presque parvenu à la sortie. En effet, après quelques minutes difficiles d'un parcours étroit, il parvint devant une grille qui donnait sur l'exterieur. Il donna quelques petits coups de coude sur les jointures, et celles-ci cédèrent. La plaque métallique s'écrasa sur le sol dans un fracas épouvantable. Dieter n'était pas très haut, il sauta donc et atterit sur ses deux jambes, intactes, de l'autre côté du complexe.
Il était sur un petit muret séparant l'arrière du batîment à une grande zone deserte. Sur sa gauche, Dieter put voir, dans l'éclairage lunaire, l'entrepôt du groupe. On ne le voyait pas d'ici, mais à l'interieur dormait probablement l'immense canon de Gauss qui avait ravagé Kona quelques jours auparavant. Kona était le village adoptif de Dieter, mais il n'en restait maintenant que des cendres. Le prince ne resta pas longtemps dessus, et dans un éloquent "tsss !" descendit du petit mur.
Il sortit dans la rue et prit le chemin de la bibliothèque. La traversée de la ville se fit, au grand étonnement de Dieter, sans aucune encombre. A cet heure-ci, les boulevards de Quantopolis grouillaient de gardes en uniformes et d'employés de l'OLCASA, l'Organisme de Lutte Contre l'Anonymat des Sans-Abris. Ils les ramassaient par dizaines, les puçaient et les renvoyaient sur les pourtours de la ville sans ménagement. Or, ce soir, pas un chat. Le jeune garçon en fut soulagé, certes, mais une impression étrange le prit à la gorge. C'était comme si l'on tentait de la lui faire à l'envers, d'une manière ou d'une autre. Il s'attendait à tous les voirs débouler au coin de chaque rue qu'il prenait.
Mais non, il ne se passa finalement rien. Il arriva sur la place Bargieux-Saint-Crépeil, où était la bibliothèque, sans rencontrer personne.
Chaque fois qu'il arrivait devant cet édifice, il restait en admiration devant. Le batîment lui-même ressemblait à une pièce montée, avec une base circulaire énorme, et d'autres étages plus au dessus répartis de la même manière. Toute la construction était vitrée, de partout, si bien que l'interieur devenait une vrai fournaise en été. Un vrai gâteau bien cuit, mais celui-ci n'était pas fourré à la crème patissière, non : il renfermait des trésors de littérature -républicaine, l'ancienne littérature ayant fini brulée quand la révolution incendia le monument- ,de législature, d'Histoire. Bien sûr, dans son souterrain, des informations confidentielles et ultra-protégées.
Dieter fit un pas en avant, mais se ravisa aussitôt. Il ne les avait pas vus au premier abord, mais quatre gardes gardaient la grande porte. En tournant la tête, il aperçut également plusieurs autres surveillants du gouvernement aux alentours. Maintenant, Dieter savait où étaient passés les représentants de l'ordre et de la terreur, et se maudissait de n'avoir pas compris plus tôt : une fois par semaine, tout les employés de la garde civile étaient affectés à une mission de surveillance particulière et quittaient leur poste de "gardien de la paix". Le prince avait bien choisi le pire jour possible pour opérer, décidémment.
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