Chapitre XI, Partie 1 : Ni vu, ni connu

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A EXODUS, on travaille jour et nuit. Du matin au soir, puis du soir au matin, les équipes se relaient à tout les niveaux de la hierarchie : du simple concierge au grand-lieutenant, en passant par les équipes de recherches, les secrétaires, les archivistes et les lieutenants, tous faisaient des journées d'environ neuf heures. Cela pouvait aller de 6h du matin à 17h, ou bien de 21h30 à 6h30, les neuf heures y étaient dans tout les cas. Il y avait bien entendu des pauses, dont une le matin et une à midi pour manger.

En règle générale, personne ne se plaignait des horaires. Ils pouvaient être contraignants lorsqu'on exerçait certaines activités spécifiques, certes, mais tout était pensé pour coller au mieux avec l'emploi du temps des employés. Sans compter que les payes étaient plutôt attractives, même pour le concierge : tandis que dans le public, un tchnicien de surface devait se contenter du salaire minimum -autrement dit, tout juste de quoi vivoter- ,les quelques concierges d'EXODUS, eux, gagnaient de cinq à six fois ce salaire. Et ce sans compter les primes, les congés payés et les chèques vacances. Vraiment, les employés du groupe paramilitaire EXODUS n'avaient aucune raison de se plaindre de leurs conditions de travail.

Mais ces conditions ne s'appliquaient qu'au personnel dit "classique" du complexe ; un autre, que l'on appelait familièrement le "noyau" du groupe, faisait des journées, pour ains dire, complètes. Ceux-là n'avaient pas de "chez eux", et dormaient dans des dortoirs spécialement amménagés et qu'ils pouvaient modifier à leur guise. Leur salaire était quatre fois supérieur à celui de leurs collègues de travail, à cause de leurs horraires beaucoup plus fatigants et de leur position hierarchique.

Chacun des cinq membres de ce groupe était sous-lieutenant. Ce grade leur conférait une certaine protection judiciaire, mais ne leur octroyait aucun pouvoir politique ou militaire particulier. Disons simplement qu'en l'absence d'un lieutenant ou d'un gradé supérieur, ils avaient autorité sur les simples soldats et le personnel. Les membres de ce groupe avaient été, bien évidemment, triés sur le volet par leur commandant, l'exentrique lieutenant Wähle. Tous l'appelaient cependant Eolia. Elle n'était pas très à cheval sur les protocoles.

Ainsi, le soleil était à peine levé et les couloirs du complexe étaient sombres, alors que le cliquetis des touches d'ordinateurs résonnait déjà dans la grande pièce centrale. Sous le dôme en verre renforcé, assis à leur bureau, les cinq membres du noyau d'EXODUS travaillaient. Personne ne parlait, hormis la voix robotique annonçant les résultats des analyses machin, et des rapports trucs. Dans ce silence, chacun s'occupait de sa petite besogne sans communiquer avec les autres.

Soudainement, une petite voix artificielle annonça "accès autorisée" et autorisa l'ouverture de la double porte. Sortant de l'ombre d'un pas enjoué, Eolia fit alors son apparition. Vêtue de son eternelle blouse blanche délavée, de son pantalon bleu bien trop larges aux chevilles et de son châle grisâtre, elle s'arrêta avant la dernière rangée de postes et s'étira bruyamment de tout son long. Puis, comme si cela n'avait pas suffit, elle poussa un énorme baîllement.

Tout en bas, une jeune fille aux cheveux ondulés et roux ne put retenir un petit rire. A côté d'elle, Will lui jeta un regard en biais qui semblait lui dire "arrête de rire, on est au travail".

 -On fait sa fofolle dès le matin, apparemment?

Eolia se tourna vers celui qui avait parlé : un grand jeune homme, très mince, à lunettes rondes, et qui tapait à l'ordinateur très rapidemment. En fait, ses doigts avaient plutôt l'air de flotter au dessus de son clavier que de vraiment appuyer sur les touches. Il leva la tête et plongea son regard dans les yeux de sa superieure hiererchique, un sourire narquois aux lèvres. Celle-ci le lui rendit bien volontiers.

 -Le monde appartient à ceux qui rigolent tôt, mon petit Edward. Combien de fois te l'ai-je répété?

 -Trop souvent pour qu'on vous prenne encore au sérieux.

L'assemblée partit alors dans un rire joyeux, auquel même Eolia participa. Seul Edward, éternel sérieux et Will, rabat-joie comme à son habitude, n'affichèrent qu'un petit sourire. L'ambiance s'était totalement détendué, depuis l'arrivée d'Eolia. Elle ne représentait pas vraiment un chef aux yeux de ses subordonnées, du moins plus depuis plusieurs mois. Chacun avait été affilié au groupe d'Eolia au tour par tour, et tous avaient eu, à un moment, peur du lieutenant Wähle. On la dépeignait, dans la hierarchie, comme un être étrange, un peu à part, très à cheval sur le protocole. C'étaient des salades, bien sûr, qu'on racontait aux nouveaux pour leur faire peur. une sorte de petit bizutage militaire, en quelques sortes. Mais après un certain nombre de missions, tous avaient compris que leur commandant elle-même ne se prenait pas au sérieux.

Tous avaient, d'ailleurs, leur rayon d'activité. Comme nous l'avons précisé, ils avaient été triés sur le volet d'après leurs compétences : Edward, fils de bourgeois, était un as de l'organisation et remplissait ainsi un rôle de gratte-papier qui lui allait très bien. Marty, lui, bien qu'ayant un diplôme de politique avait rejoint, étrangement, EXODUS pour exercer ses talents d'informaticien. Il était toujours de très bon conseil sur le sujet de la politique internationale, même si la lourdeur de son humour desespérait souvent ses collègues et amis.

Les deux seules filles, Séléna et Alicia.B ne se ressemblaient pas du tout. la première avait été intégrée au groupe sur recommandation spéciale d'Eolia après un discours de remise de diplôme. Discrète, elle n'avait pas honte de sa taille un peu enrobée et était particulièrement gentille avec tout le monde. Quant à Alicia, elle provenait d'une famille de la noblesse républicaine dont elle essayait tant bien que mal de se détacher. Elle n'avait gardé que le nom de sa mère, en signe de "rebellion", et avait rejeté celui de son père, bien trop évocateur. C'est justement ce nom là qui lui avait permis d'entrer à EXODUS, sans réelles capacités physiques ou intellectuelles.

Enfin William faisait figure d'exception. Il était entré à EXODUS pour ses analyses brillantes sur la politique économique du pays. Ni fils de bonne famille, ni pistonné par qui que ce soit, il n'avait aucun bagage particulier et semblait très attaché aux valeurs traditionnelles.

Tout ce petit monde s'entendait à merveille ; ils avaient, bien sûr, tous leurs problèmes, des relations compliquées à gérer, des situation perilleuses avec lesquelles jongler, sans compter leur travail particulier. Alicia et Séléna, malgré leur origines totalement différentes, étaient les meilleures amies du monde. Will ne supportait pas l'humour de Marty, et Marty detestaient le caractère hautain de Will, mais tout deux étaient amis sans vraiment s'en rendre compte. Quelques regards attendris et attendrissants valsaient d'Alicia à Edward et d'Edward à Séléna. les relations d'amitié se confondaient parfois en volontés d'aller plus loin, et les conflits n'étaient jamais très loin d'une chaleureuse accolade et d'un verre autour d'une table.

Aucun n'avait prévu, cependant, l'arrivée de Dieter au sein de ce groupe soudé.

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