Partie III
Trois-soleils semblait de plus en plus horrifié en les observant comprenant la nature exacte de ce qu’il se passait mais pour toute réponse, Furie leva son tentacule guerrier, menaçant l’autre. Il n’avait pas terminé et il était hors de question qu’il le laisse approcher.
- Il n’a rien à faire là ! Pas pour ça. Tu… Tu pratiques le Kerhuet ? Sans assistant ? Es-tu fou ?!
Trois-soleils avança d’un pas, provoquant un mouvement de recul qui traina Damian un peu plus loin dans l’eau. Elle atteignait maintenant le haut de sa nuque et s’il était totalement tenu, soulevé par la seule force des tentacules, il ne se sentait pas à l’aise pour autant.
- Ne t’approches pas. Tu sais qui je suis. Je te tuerais.
- Où en es-tu ? demanda-t-il en avançant, provoquant un nouveau recul.
Damian caressa les bras de son amant pour tenter de le calmer, mais il était totalement impuissant et le rythme des déchirures avait augmenté. Il ne savait pas si c’était à cause des œufs ou à cause des mouvements secs. Chaque avancée de Trois-soleils empirait les choses. Le mot suivant, émit par Furie d’une voix grave, Damian ne le comprit pas mais il figea Trois-soleils.
Lentement, il fut tiré plus profondément dans l’eau et bientôt seuls les bras et les tentacules qui le tenaient lui permirent d’avoir le visage à l’air libre.
- Ne t’inquiètes pas. Respire tranquillement, je vais te donner l’air. Tu ne risques rien, d’accord ?
Les yeux de Damian s’écarquillèrent en comprenant ce qu’il allait faire et sa première inspiration s’heurta à une barrière. Le tentacule était devenu plein dans sa gorge. Il haleta et finalement, trouva l’air. L’envie de tout arracher était très forte à cause de la panique mais il se retint et finalement, il se retrouva lentement coulé vers le fond, près des rapides. L’eau était fraiche, mais il était tellement perdu dans ses sensations internes qu’il ne le perçut pas vraiment. Le choc derrière son dos alors qu’ils touchaient le fond fut net et la manière dont Furie le recouvrit comme d’un voile également. L’alien l’avait arrimé au sol avant de se retourner, le cachant de tous et dressant clairement plusieurs tentacules dont celui marqué de cicatrices.
L’humain n’avait plus assez de conscience pour réfléchir à ce qui était en train de se passer, alors il ferma simplement les yeux et se concentra sur l’idée de ces vies qu’il accueillait. Il allait devenir papa. Ou plutôt géniteur, il n’était pas sûr qu’on le laisse en contact avec les petits. En faites, il ne savait absolument rien de ce qui allait se passer ensuite. Au-dessus d’eux Trois-soleils plongea pour les rejoindre. Il tendit son appendice de soin, la plus délicate et douce des intentions l’accompagnait mais l’appendice qui le saisit le piqua fortement, le brulant et le faisant crier. Il s’éloigna tristement de son ami rendu sauvage par la procréation. Il avait été si content que cet humain ait fait ce choix… et maintenant, il voudrait partir se dit-il tristement en remontant à la surface.
***
Son ventre avait grossi. Lorsqu’il se réveilla ce fut la première chose qu’il nota. Cela faisait maintenant plusieurs jours qu’il vivait dans les quartiers de Furie. L’alien ne le quittait jamais, surveillant le moindre de ses faits et geste et dans son ventre, les œufs prenaient de plus en plus de places pendant que lui, il faiblissait.
Il n’avait rien pu manger. A demi-mot, Furie avait admis avoir refermé l’arrière de son estomac pour protéger les œufs. Et lui, fatalement, il se sentait de plus en plus faible malgré « l’eau de vie » que lui faisait boire son compagnon plusieurs fois par jour. Personne n’était revenu les voir.
- Rappelez-moi combien il y en a ? redemanda-t-il pour la énième fois.
Comme à chaque fois, Furie se rembrunit sans vraiment vouloir lui répondre, mais devant son insistance il expliqua juste :
- Chaque année mon corps en produit un.
Damian baissa le regard en cherchant à comprendre. Il avait dit que les autres étaient jeunes. S’il avait bien tout compris, les jeunes voyaient leurs œufs évacués, tués. Les plus vieux mourraient faute d’arriver à accepter cela… Donc Furie avait dû le vivre au moins une fois ou peut-être deux ? Il frémit en se disant que vu sa colère et sa peur, c’était peut-être arrivé bien davantage de fois.
- J’ai dix-neuf ans. Murmura Damian. Et vous ?
- Sept cent quatre ans.
L’humain frémit. Visuellement rien ne le différenciait de ceux qu’il avait désigné comme jeune.
- Pitié dites moi qu’il n’y a pas sept cents œufs dans mon ventre.
- Il n’y en a pas autant.
- Combien ?
- Cent quatre. C’est… Une grosse couvée.
Furie s’éloigna un peu, récupéra l’eau de vie et la lui ramena, l’invitant encore à boire. Les petits étaient si nombreux que le corps de leur hôte faiblissait là où il aurait dû rester en bonne forme. Ils allaient en perdre un grand nombre se dit-il tristement. Si Damian acceptait de rester alors chaque année, leur petit pourrait naître et être choyé dignement.
- On va avoir cent quatre bébés ?
- Non. Les œufs vont se blesser les uns les autres. Beaucoup vont se briser. Beaucoup étaient déjà mal en point.
Il ne pouvait pas les évacuer, mais il ne pouvait pas non plus en conserver un tel nombre en lui et cette longue attente avait causé de grands dommages. S’il n’avait pas réussi, il aurait sans doute survécu encore un an ou deux, mais sans doute pas davantage. Bien-sûr une opération était possible… Ils avaient bien assez de technologies pour ouvrir un ventre et cueillir les œufs, mais il avait vu de ses yeux le résultat. Cela faisait des octepis faibles, vacillants, pétris d’angoisses qui finissaient la majorité du temps par s’enlever la vie. Rien de bon ne sortait de ça.
- Quand est-ce que… qu’ils… vont sortir, vous savez ?
- Dans quelques jours.
Avant ça, ils allaient grossir, puis déchirer les poches qui les immobilisaient commençant le long chemin dans les boyaux de leur père. Afin de les sécuriser au maximum, il avait installé différent barrage pour leurs permettre d’y rester le plus longtemps possible, mais ils finiraient par les passer. Cette idée le rendait fébrile et il ne pouvait pas s’empêcher de caresser le corps de l’humain qui frémissait sous chacun de ses contacts.
***
Cela faisait deux heures qu’il criait et plusieurs jours qu’il avait mal un peu de partout dans son ventre. Les œufs essayaient de sortir, son corps essayait de les expulser, mais ils restaient coincés. Furie disait que c’était bon signe qu’ils avaient bien grandit et que c’était excellent. Mais ça faisait surtout mal et Damian s’épuisait. L’humain pleurait à moitié lorsqu’il tendit les bras vers lui pour lui demander :
- Prend-moi contre toi !
Et l’alien lui obéit simplement pour tenter de l’accompagner de son mieux dans cette douloureuse épreuve. C’était trop lent. Il avait soigné les déchirures premières, mais à présent, les œufs risquaient d’en provoquer d’autres, tout le long de la paroi et ce ne serait pas bon.
- S’il-te-plait… s’il-te-plait ! Fais-les sortir… Je t’en prie…
- D’accord.
Le soulagement fut de courte durée puisque très vite, sans chercher à le préparer spécialement, la pointe d’un tentacule s’insinua en lui. Son anus était fermement clos, tendu par la douleur et les crispations. Lorsqu’il commença à onduler et à changer de forme, ce fut plus difficile et il finit par couiner, haleter et gémir de ce simple contact. L’alien l’écartelait tout en le caressant en douceur. Lorsqu’il trouva sa prostate, il s’amusa à coulisser dessus, la cognant, l’effleurant, la martelant tour à tour pour le faire jouir.
Il était perdu entre douleur et extase lorsque Furie plongea plus profondément en lui pour aller chercher ses œufs. Il les évita, glissant juste contre eux jusqu’à être avancé relativement loin dans le corps de son compagnon. Alors, il permit à ses ventouses de les saisir et il commença à se retirer, respectant simplement le rythme des poussées de Damian et l’encourageant à voix basse. Sortir œuf et tentacule supposait une très grande ouverture, plus que celle du jeune homme alors sans un mot, Furie suivit le pourtour de son anneau et le fendit de son tentacule guerrier en trois endroits, faisant pleurer le jeune homme. Damian était perdu dans trop de douleurs et de sensations différentes.
- Ils viennent ?
- Oui… Ils arrivent. Pousse.
Damian cria en poussant, il avait mal de partout et il se sentait horriblement faible, mais un premier œuf sorti, puis un second, puis dans un geste qui n’en finissait plus, Furie se retira entraînant une vingtaine d’œufs avec lui. Damian poussait des séries de cris choqués, observant le bas de son corps avec des yeux grands ouverts, terrorisés. Un seul regard suffisait pour voir qu’ils n’y étaient pas tous, mais il fut surpris que Furie replonge dans son intimité meurtri et sanguinolente aussi vite. Il recommença la manœuvre deux fois avant que les frottements sur sa prostate n’aient raison de lui, l’amenant à expulser ses œufs tout en jouissant.
Son intimité était si distendue qu’il ne fit qu’observer les mouvements des tentacules sans savoir exactement ce qu’il faisait. Furie était doux mais concentré dans sa tâche. La tâche la plus importante qui soit : faire naître ses petits. Aux portes de l’inconscience, Damian les trouva beau. Leurs œufs scintillaient délicatement dans une petite surface d’eau calme. Tout ça était tellement beau pensa-t-il tout en s’évanouissant.
Lorsqu’il se réveilla, quelques heures plus tard, les premiers petits sortaient déjà de leurs coquilles, dévoilant des corps minuscules qui n’avait rien de semblable aux bébés humains si ce n’était leurs appétits voraces. Furie le tenait fermement contre lui pour s’assurer qu’il n’ait pas un geste malheureux et les petits, à tour de rôle, venait nager jusqu’à sa poitrine, mordant, mâchouillant et tétant ses mamelons improductifs. Damian resta immobile, simplement inquiet à l’idée qu’ils aient faim.
- Il faut les nourrir.
- Tu le fais.
- Mais non voyons, je n’ai pas de lait.
Le visage de l’alien se contracta légèrement alors qu’il glissait une main jusqu’à sa poitrine, toujours aussi plate, et qu’il pinçait cruellement son téton, le faisant couiner. Autour des doigts de leur père, des tas de petits se réunirent pour lécher l’eau sucré qui s’écoulait des seins de Damian, le détrompant.
- Nous utilisons l’ADN d’autres créatures dont les humains, mais nous réécrivons également celui de nos Paryans. Tu es tout à fait apte à les nourrir.
Furie ponctua son affirmation d’un baiser délicat au creux de sa gorge qui le fit frémir et Damian passa le reste de la journée à les observer nager doucement jusqu’à lui. Certains s’endormaient contre son ventre, dans le pli de ses coudes ou dans son cou. La majorité s’accrochait aux tentacules de leur autre père.
Alors que la fatigue allait l’emporter une nouvelle fois, il réalisa qu’il y avait longtemps qu’il n’avait pas vu le cercle et son taux de remplissage, mais dès que Furie le fit apparaître, Damian eut surtout envie de pleurer. Il était tellement vide. Tellement.
***
Trois-soleils se tenait à la porte, il semblait hésiter, mais Furie l’attendait en souriant tendrement. Les petits étaient nés et les instincts protecteurs de son ami s’étaient un peu calmé. Néanmoins ce qu’il avait à dire n’était pas agréable. Le petit humain lui souriait également malgré la gêne provoquée par sa nudité et il s’exclama même :
- J’ai réussi ! Nous avons des bébés !
Les hormones l’avaient visiblement bien travaillé se dit-il en souriant tendrement. Damian ne serait pas le plus difficile à convaincre. Néanmoins avant qu’il n’ait eu le temps de dire quoique ce soit, son ami intervient.
- Damian… il est venu demander si tu étais prêt à aller voir un autre mâle.
- Un autre ?
- Oui… Je ne suis pas le seul.
Damian déglutit. Il avait dit « sans limite » sans même savoir ce qui l’attendait. A présent ils savaient mais l’idée de quitter ses petits le terrorisait. Son corps s’était étonnamment bien remit sous les bons soins de son amant. L’expérience avait été douloureuse, mais pas seulement. Il se souvenait des jouissances, de l’abandon le plus total dans lequel il s’était retrouvé et de la joie étrange qu’il avait ressenti en découvrant leurs œufs. Depuis cet instant précis, Damian était entièrement tourné vers ses enfants.
- Mais… et s’ils ont faim ? Et s’ils ont envie de se mettre contre moi ?
Trois-soleils intervint immédiatement pour le rassurer en s’approchant doucement, comme pour l’apprivoiser.
- Tes quartiers sont reliés à la zone de naissances. Il n’y aura que pour les coïts et les accouchements que tu seras un peu séparés d’eux, pour ne pas les blesser. Le reste du temps, tu pourras rester avec eux. Nous grandissons en communauté dans des quartiers communs.
- Alors pourquoi… pourquoi tout était prévu ici ?
Furie sembla se troubler un instant avant de laisser échapper ce qui ressemblait à un rire et de le serrer contre lui.
- C’est parce que c’est mon vaisseau.
- Oh.
Furie l’embrassa tendrement, le rassurant et le cajolant comme s’il était important. Observant l’un de ses petits êtres miniatures qui venait d’enrouler ses tentacules fermement autour de l’un de ses doigts pour pouvoir se reposer, il se dit que c’était peut-être le cas. Il était peut-être important.
- Combien d’Octepis doivent encore se reproduire ?
Furie se retourna vers son ami qui soupira doucement :
- Dix-neuf.
- D’accord. Je le ferais, c’est d’accord. Je donnerais naissance à tout ces enfants… mais, je voudrais quelque chose. Ce n’est pas du chantage, je le ferais malgré tout, mais s’il-vous-plait, emmenez-moi avec vous. Partons le plus vite possible. Ma sœur… ma sœur est malade, le vaisseau l’empêche d’être soignée. Je peux le faire, après le départ, n’est-ce pas ?
Les aliens s’observèrent sans comprendre, inconscient du tort qu’ils avaient pu provoquer. Furie observa son petit humain avec son petit air timide et comprit à quel point la situation le pesait.
- Je vais envoyer nos meilleurs guérisseurs soigner ta sœur et nous partirons dès leur retour.
- Merci ! Merci mille fois ! s’exclama Damian en se jetant à son cou.
Sa famille ne saurait jamais ce qu’il avait offert pour aider la jeune femme. Elle ne le connaitrait pas davantage et elle l’oublierait sans doute faute de nouvelles. S’ils avaient su que c’était son homosexualité qui lui avait permis de se lier à cet alien et d’accepter cette proposition, ils l’auraient sans doute mal vécu. Après tout, ils l’avaient jeté à la rue à cause de ça… mais à présent, il avait une nouvelle famille. Il caressa le tout petit du bout des doigts. Furie avait dit qu’ils grandiraient très vite les premières années. Ils ne resteraient pas minuscules.
Quelle ironie qu’on l’ait chassé parce qu’il ne remplissait pas son devoir de procréation envers le Seigneur se dit-il couché dans l’eau calme au milieu de ses cinquante-six enfants. Le destin avait un drôle d’humour ! Mais une chose était sûre, il ne l’échangerait pour rien au monde car ici, il avait découvert ce que signifiait « être choyé ». Couché au milieu des tentacules, il se surprit à sourire, simplement heureux.
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