Une rencontre inattendue
Il était une fois, une petite fée à peine plus haute que trois cerises, qu’on avait appelé Marguerite. Elle aurait sans doute préféré Rose pour être aussi belle que piquante, Violette pour son odeur acidulée ou encore Bouton d’or pour sa couleur éclatante, mais le choix de la communauté se porta sur Marguerite.
Chaque jour, elle veillait sur la forêt, des plus grands arbres aux plus petites créatures.
Elle aimait être une fée et prenait son rôle très à cœur.
Le soir venu, elle montait sur sur la plus haute branche du plus grand chêne et fermait les yeux jusqu’à ce que la lumière des étoiles lui caresse le visage. Un sourire se dessinait sur ses lèvres lorsque son amie la Lune apparaissait. Enfin, « amie », est peut-être un peu exagéré, mais Marguerite lui racontait tout comme une confidente silencieuse et lumineuse…
Même les nuits où la Lune n’était pas là, elle montait jusqu’en haut de son arbre et attendait que le jour se lève avant de se remettre au travail. Besogneuse et disciplinée, Marguerite avait pourtant perdu quelque chose de précieux pour une fée ! Elle espérait tant que la Lune l’aiderait à les retrouver mais nuits après nuits rien, aucune trace de ses minuscules ailes.
Elle les avait égarées, sans y prendre garde, alors qu'elle était encore un être innocent et plein d’espoir. Petit à petit elle avait perdu la magie des rêves, celle que les fées doivent garder toute leur vie pour veiller au mieux sur les êtres de la forêt.
Elle ne l’avait dit à personne et continuait à faire semblant, se déplaçant grâce à des stratagèmes toujours plus élaboré. Nul n’avait remarqué sa différence, personne n’avait eu l’occasion de la regarder telle qu’elle était vraiment. Elle était une fée de la forêt, bienveillante et soigneuse avec un peu de magie, comme toutes ses consœurs ; au regard des autres, rien ne la distinguait.
Pourtant chaque nuit, seule sur son arbre elle priait la Lune de l’aider à retrouver l’envie de rêver, l’envie de croire en demain, la magie de la vie.
Un matin, en descendant de son arbre après une nuit sans lune, elle se trouva nez à nez avec un lutin des bois encore endormi dans la mousse. Elle le trouva d’abord sans gêne de dormir là, comme si la forêt n’était pas assez grande pour tout le monde… Mais elle se resaissit et, le salua lorsqu’il ouvrit les yeux. Ce dernier lui sourit avec une certaine tendresse. Il était déjà temps pour Marguerite de partir réveiller la forêt. Elle rendit son sourire furtivement au lutin avant de s'évaporer entre les arbres.
Le lendemain, elle vit à nouveau ce lutin qui semblait avoir établi domicile sous son arbre. Il dormait, rêvant sans doute à sa prochaine pérégrination. Marguerite n’avait rien contre les lutins, ils étaient comme les fées, des êtres de la nature avec quelques centimètre de plus, (environ 3 ou 4 petites pommes de haut pour les plus grands) et faisaient partie eux-aussi du monde magique de la vie. Néanmoins, ils se fréquentaient peu et Marguerite ne voyait pas d’intérêt à partager son temps, si précieux, avec un lutin. Elle décida de ne pas le réveiller et de filer à ses occupations du jour. Son absence d’ailes rendait quotidiennement sa tâche plus compliquée, elle devait avancer, travailler, donner le meilleur d’elle-même sans savoir cette magie de l’envie pour l’animer. Le soir venu, elle arrivait parfois épuisée jusqu’au sommet de son arbre. Il pouvait arriver que des larmes remplies de poussières de fée coulent en secret sur ses joues rougies. C’est ainsi qu’une nuit l’une d’elle atterrit sur le front du lutin paisiblement assoupi dans la mousse. D’abord surpris, il comprit rapidement la provenance de cette substance et glissa cette précieuse perle de tristesse dans une petite fiole qu’il déposa près de son cœur. Ce matin-là, il se réveilla dès les premières lueurs du soleil pour être certain de voir la petite fée. Voilà des semaines qu’ils s’échangeaient juste des sourires, à peine esquissés. Marguerite descendit de son arbre et se laissa un instant attraper par le regard plus insistant que d’ordinaire du lutin. Juste un bonjour et elle finit par disparaitre à nouveau.
Une étrange sensation encore inconnue envahit Marguerite. Un lien invisible semblait l’attirer vers ce lutin. Ce soir au lieu de monter rejoindre son amie la Lune, elle restera pour guetter cet être si mystérieux. Elle se positionna juste au-dessus et attendit qu’il pointe le bout de son nez. Une fée haute comme trois pommes passait relativement facilement inaperçue… Cela permit à Marguerite de l’observer durant plusieurs Lunes, jusqu’à cette nuit où elle glissa de l’arbre maladroitement et atterrit dans la main du lutin. Marguerite resta tétanisée, pas un cil ne bougeait, tant et si bien que le lutin, pensant qu’elle était inerte, prit peur, comment réanimer une petite fée ?
Avec son doigt, il caressa son visage avec délicatesse et tendresse, il lui sourit avec bienveillance. Elle se sentit bien, apaisée et en harmonie, comme elle ne l’avait pas été depuis longtemps. Aucun mot n’avait été échangé depuis ce furtif bonjour quelques temps auparavant, mais le partage sensoriel de cette caresse remplit Marguerite d’un sentiment inattendu… Elle ne savait plus comment se comporter, une fée ne fréquente pas un lutin, se répéta-t-elle. Elle connaissait bien une fée qui avait eu un jour une amitié avec un lutin des bois, mais cela ne dure pas lui avait on toujours dit. Trop de différences pour que des liens suffisant se créent. Tout était confus dans la tête de Marguerite, sans doute la chute l’avait-elle un peu déboussolée. Malgré sa conscience de l’improbable situation, elle ne pouvait s’empêcher de plonger ses yeux dans ceux du lutin. Elle pensa être ensorcelée, elle devait regagner au plus vite la cime de l’arbre. Dans un élan de lucidité, elle décrocha un merci et s’enfuit, une fois de plus, entendant au loin un « avec plaisir ». Marguerite était émue par cette rencontre, elle avait trouvé son comportement peu approprié, contrairement aux doux soins du lutin et décida de retourner le voir pour s’en excuser. Mais lorsqu’elle redescendit il n’était plus là…
Ce soir-là, il ne revint pas dormir dans la mousse, Marguerite l’y attendait pourtant. Le soir suivant non plus et ainsi de suite durant une Lune. Marguerite était si désespérée qu’elle ne montait plus en haut de l’arbre et attendait chaque soir le lutin, son lutin. Jusqu’à cette nuit où Marguerite, endormie, sentie sa présence s’allonger près d’elle. Sans ouvrir les yeux elle reconnut son odeur, elle sourit paisiblement et déposa sa petite main dans la sienne…
Lorsque les premières lueurs du jour ce firent sentir, Marguerite ouvrit doucement les yeux. Elle savait qu’elle devait déjà partir à son ouvrage quotidien, mais pour la première fois elle n’avait pas envie de se presser. Elle regardait ce lutin enfin retrouvé, à la fois encore si mystérieux et pourtant si familier pour son cœur.
Elle ne voulait pas interrompre les songes de son compagnon de la nuit et décida de déposer un léger baiser sur sa joue, presque insaisissable, ce baiser fit tout de même apparaitre un sourire. Marguerite devait maintenant se hâter, la journée sera longue avant de pouvoir espérer un nouveau moment de plénitude. Elle avait besoin de crier ce bonheur d’une nuit, de partager sa joie intérieure, mais la certitude qu’il était préférable de garder le secret de cette rencontre la gagna. Les fées ne sont pas des êtres qui se lamentent sur leurs états d’âme.
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