ESCAPE
ESCAPE
Le temps semblait suspendu, la lumière si intense et l’air si glacial.
Tout s’était mis à trembler autour d’eux . Tout devenait flou à cause des vibrations. Lui s’agrippait de toutes ses forces aux commandes, elle ne pouvait pas quitter du regard ce qui leur faisait face. Quelque chose se passait. Elle en avait des frissons, lui serrait les dents en s’efforçant de garder un semblant de cap. Un signal sonore commença à retentir dans l’habitacle. Plusieurs voyants se mirent à clignoter sur le tableau de bord, les aiguilles s’affolèrent.
Il tourna la tête et plongea son regard dans le sien. Il lâcha les commandes tandis qu’elle prenait place sur le siège d'à côté. Un nouvel éclair de lumière jaillit devant eux. Les vibrations cessèrent. Leurs doigts s’effleurèrent.
Un bip régulier résonnait dans les haut-parleurs du tableau de bord.
- Miranda.
Puis tout ne devint que ténèbres.
* * *
Elle s’employait depuis plusieurs minutes à fermer ce sac. Les bruits de pas de son compagnon derrière elle n’aidaient pas vraiment. Elle avait beau être ingénieur, faire sa valise était pour elle une corvée.
- Tu devrais prendre plus de nourriture, Miranda.
- Mark, je t’ai déjà dit qu’il y aurait tout ce qu’il faut là-bas. Je n’ai pas besoin de barres chocolatées supplémentaires.
- Et elle, tu l’emmènes ?
Mark pointa du regard l’annulaire gauche de Miranda où se trouvait une bague surmontée d’une pierre blanche.
- Bien sûr, lui dit-elle en s’approchant de lui. Elle me suivra partout où j’irai. Elle va voir du pays !
Les jeunes mariés s’enlacèrent longuement. Cela faisait des mois que ce voyage était prévu, le jour J se rapprochant, la tension était devenue palpable.
Un bruit de moteur retentit à l’extérieur. Une voiture semblait s’être arrêtée devant chez eux.
- Encore un de ces maudits journalistes, gronda Mark.
- Évidemment, c’est pas tous les jours qu’un prix Nobel part dans l’espace !
Mark esquissa un sourire avant de quitter leur chambre.
- Finis de te préparer, faut pas que tu sois en retard pour ton vol.
Miranda acquiesça. Elle jeta un rapide coup d’oeil autour d’elle. Son pass. Il était encore sur la table de chevet ! Elle s’empressa de le récupérer et de le mettre autour de son cou.
Au-dessus de sa photo d’identité, on pouvait y lire :
Miranda Weaver, astrophysicienne
Conseillère expédition spatiale MORPHÉE
Départ : 1er Janvier 2026
* * *
Bip bip bip.
Des bribes de souvenirs.
- Tiens le coup ! On y est presque… On va s’en sortir. Tiens bon Miranda !
Le brouillard qui dissimule les secrets et les songes au petit matin.
- Miranda.
Les sens qui s’extirpent d’un sommeil profond.
- Miranda !
Et la réalité qui refait surface.
- MIRANDA !
Un sifflement diffus, lointain.
Son pouls frappant contre ses tempes.
Puis le réveil.
Où est-elle ?
Les paupières s’ouvrent dans un soupir. Mais très vite quelque chose l’empêche de voir. Encore ce brouillard ? Non. C’est une vitre, une vitre fumée. Sombre et étrange. Des ombres se dessinent à travers. Elle est enfermée derrière cette vitre, allongée. Elle sent son coeur battre contre sa poitrine. Une sensation désagréable l’envahit soudain. Elle n’arrive pas à respirer. Un tube est dans sa bouche. Ses mains se mettent à trembler, encore engourdies. Elles tâtonnent comme pour trouver un moyen de sortir de cette cage de verre. Elle jette un oeil sur sa gauche, un bouton ESCAPE plus bas. Son instinct lui dit, lui crie, lui hurle d’appuyer. Son corps a du mal à répondre. Elle suffoque. Elle sent les gouttes de sueur perler sur son front. Ses bras sont bloqués contre son corps. L’air commence à lui manquer dans cet espace réduit. Ses yeux vagabondent toujours plus vite autour d’elle. Elle s’agite. Elle doit atteindre ce bouton. Survivre, survivre coûte que coûte.
Que s’est-il passé ?
Elle s’agite toujours davantage. L’air est chaud. Elle n’a sur elle qu’un débardeur et un short mais la chaleur l’étreint. Un peu plus chaque seconde. Son esprit a du mal à se remettre. Tout est confus. Elle a mal. Elle est perdue. Elle doit sortir de là. Tout de suite. Elle balance son corps pour libérer son bras. Elle relève son épaule et son coude pour atteindre le bouton. Le coude heurte une première fois le mot ESCAPE. Sans succès. Elle s’énerve, elle transpire. Sa bouche est sèche. Deuxième tentative. Un clic retentit. Elle a réussi.
La porte de verre qui lui fait face gronde. Puis vibre. Avant de se soulever très légèrement. L’appel d’air est salvateur pour elle. Un courant frais vient lui caresser le visage et soulager son corps. La porte reprend son ouverture avec lenteur. Elle attend, allongée et tremblotante. La porte de verre laisse place dans son champ de vision à un plafond blanc. Il est tout cabossé. Des câbles s’en échappent et se balancent au-dessus de sa tête.
Elle s’empresse de retirer le tube oppressant de sa gorge. C’est douloureux. Un liquide étrange s’écoule de son extrémité. Un liquide grisâtre et épais. Elle le jette en dehors du caisson.
Elle tend l’oreille. Rien. Le silence est complet là dehors. Ses souvenirs sont éparpillés, elle a du mal à se souvenir.
Mark.
Sortir. Sortir de ce caisson. Elle doit sortir de ce truc. Mais rien, elle ne bouge pas. Ses jambes restent immobiles. Seuls ses orteils réagissent un tant soit peu à ses suppliques. Ses bras encore un peu engourdis se tendent et elle frictionne ses jambes du mieux qu’elle peut.
Bip bip bip.
Ce bruit. Il continue encore et encore de sonner. Il vient frapper aux portes de sa mémoire. Il lui rappelle quelque chose. Une lumière. Un tremblement. Les ténèbres.
Ses pieds se réveillent eux aussi, peu à peu. Elle patiente et s’exerce à retrouver possession de son propre corps. Elle s’aperçoit que ses cheveux sont plus longs que dans ses quelques souvenirs. Est-ce vrai ? Est-ce qu’elle se souvient bien ? Est-elle encore en train de rêver ?
Andrew.
Ce nom lui revient de plein fouet. Qui est-ce ? Elle n’en a aucune idée. Ses jambes répondent de mieux en mieux. Elle doit bouger, se lever pour ne pas perdre la tête en essayant de se rappeler.
Elle prend appui sur les rebords du caisson. Elle souffre, elle n’a plus de force. Elle crie sans émettre le moindre son. Sa gorge est enrouée. Elle est devenue muette. La peur d’être prisonnière de son propre corps sans pouvoir parler la hante. Elle doit tenir. Elle met tout ce qui lui reste d’énergie dans ses bras. Les muscles contractés, les coudes qui tremblent. Enfin, elle parvient à s’asseoir. Elle tourne la tête à gauche, à droite. Elle est prise de vertiges, sa vision devient brumeuse. Elle doit lutter, ne pas se laisser tomber. Alors elle s’agrippe au rebord aussi fort qu’à la vie. Elle se stabilise. Elle respire. Profondément. Lentement. Elle inspire, elle expire, elle inspire, elle expire. Les lignes se redressent devant elle. Son menton appuyé contre le bord du caisson, elle observe tout autour d’elle.
M.O.R.P.H.É.E.
Oui, elle se souvient de ces lettres. Le nom. Le nom du vaisseau. Et de l’expédition. Et au-dessus de ces lettres, un compteur.
Non, pas un compteur. Un calendrier. Une horloge atomique. Elle se souvient. Le départ. Cette lumière.
Bip bip bip.
Sa vision s’éclaircit. Elle veut lire.
23.
Son crâne lui fait atrocement mal.
23… Mars.
Elle voit. Elle lit. Elle se souvient.
Bip bip bip.
Elle comprend soudain. Ses vertiges reviennent, des nausées. Elle se redresse légèrement et vomit à l’extérieur du caisson. Encore ce liquide grisâtre. Immonde.
Son regard se pose sur sa main gauche. Cette bague.
Une envie soudaine la prend. Une envie qui l’agrippe et qui l’étreint. Une envie de barre chocolatée.
23 Mars 2146.
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