Chapitre 9. CYLIA
J’ai la tête dans les nuages à l’approche des fêtes de fin d’année. Je ne sais pas si cela est dû à ses congés tant attendus, aux décorations et aux illuminations qui transforment Strasbourg en un monde coloré et féérique, ou bien à cet homme qui me courtise. « Courtiser ». J’aime bien ce mot. C’est plus élégant que « draguer ». Plus excitant aussi.
Anthony n’est pas comme les garçons que j’ai connus. C’est un homme. Plus mature, plus subtil. Son attitude à mon égard, attentive et attentionnée, me change des crétins que j’ai rencontrés. Il est intéressant, mystérieux, et difficile à cerner. Son charisme ne cesse de me donner le frisson. Il déborde d’une assurance peu commune et on sent chez lui une autorité naturelle qu’on n’aurait pas envie de contrarier.
— Il te fascine, j’ai l’impression, m’a dit Will un soir où, béate, je lui racontais ma soirée passée à flirter entre les chalets du marché de Noël.
Oui. « Fasciner », c’est le mot. Et que dire de ce que je ressens quand il se rapproche de moi. Ce baiser, la première fois… cette proximité… ça m’a remuée. Il y en a eu d’autres au cours des trois dernières semaines, et mon corps trahit un peu plus à chaque rapprochement une envie bien plus profonde.
Mais en parallèle de ce désir naissant, il y a la crainte. La peur de voir se répéter à nouveau la même situation que par le passé. Veni, vidi, disparui : Il est venu, il a vu, il a disparu. A tout perdre, est-ce que ça vaut vraiment la peine de prendre le temps de le connaître ?
Will essaye de me rassurer régulièrement, en me disant qu’en ayant toujours peur de tout je prends le risque de passer à côté de ma vie. Qu’il vaudrait mieux que je lâche prise. Que j’ai encaissé suffisamment et qu’un échec de plus ne me fera pas plus de mal qu’une égratignure. Je ne sais pas bien quoi en penser.
— C’est justement ça le problème, Cylia. Tu penses trop.
— Excuse-moi de ne pas être une gamine écervelée qui s’amourache sans réfléchir du premier venu.
— Oh ça t’est arrivé par le passé, il me semble. Tu te rappelles, ce gros con de routier ? Comment c’était son nom déjà ?
J’avais déjà oublié ce regrettable et très court épisode de ma lamentable vie sentimentale.
— Ben justement, Will, je n’ai pas envie de revivre ça !
— Oui, j’ai bien compris. Mais ce n’est pas une raison non plus pour se fermer comme une huître. Je suis bien placé pour savoir que les hommes sont cons, j’en suis un et j’en fréquente pas mal ! Mais y en a des bien… crois-moi.
Lâcher prise. OK. Ainsi, quand Anthony m’a dit : « J’aimerais t’emmener quelque part ce week-end, si tu me le permets. », je n’ai posé aucune question. J’ai simplement répondu :
— D’accord.
* * * * *
Parmi les activités que j’ai pu faire avec un homme, il y a eu de nombreux bars et restaurants, quelques cinémas, deux ou trois promenades en centre-ville, la piscine une fois, mais jamais de randonnée. Je ne m’attendais pas à ça avec Anthony.
Il faut dire que le parc régional des ballons des Vosges se prête volontiers à cet exercice. Nous avons roulé une bonne heure depuis Strasbourg pour arriver à Uffholtz, un petit village situé à seulement une vingtaine de minutes de Mulhouse, ma ville d’origine. Cela fait bien longtemps que je ne suis pas revenue dans ce coin-là. Et pour autant, je ne suis jamais venue me promener dans ces forêts. Mes parents n’étaient pas du genre à faire des sorties familiales le week-end.
Au bout du village paré de ses magnifiques décorations de Noël, Anthony s’engage sur un chemin agricole, puis sur un sentier forestier humide mais bien entretenu. La voiture emprunte un gué pour traverser un ruisseau – l’Egelbach, si je ne m’abuse – et roule ensuite pendant un temps qui me parait interminable à couvert des arbres.
A de nombreuses intersections, Anthony tourne sans hésiter, connaissant visiblement le chemin par cœur. Cette forêt est un vrai dédale, il y a de quoi se perdre en un rien de temps. La forêt en cette saison et par ce temps brumeux a un aspect quelque peu lugubre, malgré ce côté vivifiant que je ressens à me rendre en pleine nature.
— Inquiète ? me demande-t-il alors que je scrute en silence le pare-brise embué en me demandant où il m’emmène comme ça.
— Intriguée, fais-je en serrant sa main posée sur ma cuisse. Mais pas inquiète. Mon tél transmet notre position en temps réel à mon colocataire.
Il fronce les sourcils, et je regrette aussitôt d’avoir dit ça.
— Tu es sérieuse ?
J’essaye de plaisanter.
— Seulement pour qu’on retrouve mon corps. Au cas où tu aurais le fantasme inavoué d’abuser de moi au fond des bois.
Anthony ricane.
— Primo, j’ai bien des fantasmes à ton égard, mais pas celui d’attenter à ta vie. Deuxio, je n’abuserai de toi que lorsque tu me supplieras de le faire, et crois-moi, ajoute-t-il en serrant légèrement ma cuisse, tu y viendras. Et tertio, si je devais planquer un corps par ici, le GPS ne serait d’aucune aide pour le retrouver.
Je le dévisage, troublée tout autant par le côté explicite de sa réponse – une première chez ce gentleman – que par cette touche de cynisme dont il a l’art pour m’intimider. Je pouffe de rire pour donner le change mais j’ai l’impression que sa main irradie d’une chaleur qui remonte lentement jusqu’au creux de mon ventre.
Je sais que nous allons passer aux choses sérieuses ce week-end. La tension sexuelle entre nous ne fait que s’accroître. De même que ma peur, antagoniste exponentiel de mon désir croissant. Plus j’ai envie de cet homme, et plus je crains que cela se passe mal par la suite. J’essaye de penser à autre chose.
Peu après 13h, Anthony bifurque une dernière fois dans une voie plus étroite mais tout aussi entretenue. Flanqué de deux talus parsemés de bouquets d’arbres nus et de buissons de houx, l’accès est gardé par un haut portail en bois brut arborant un panneau rouge et blanc « Propriété privée, défense d’entrer ». Anthony descend de voiture pour le déverrouiller.
— Nous y sommes, me dit-il avec un clin d’œil.
Il a l’air réjoui. J’aime le voir comme ça. On dirait que l’accès a été creusé dans la montagne. Mais Anthony m’affirme au contraire que ce large couloir de roches et de végétation est naturel. Le SUV roule au pas dans la tranchée dont les parois s’élèvent à mesure que nous avançons. Enfin, nous débouchons dans une clairière à ciel ouvert.
— Magnifique, soufflé-je, abasourdie par cette pépite nichée au cœur de la forêt.
Surplombant la cour gravillonnée et encadrée d’énormes rochers, la structure moderne du chalet contemporain se dresse face à nous, comme une perle dans un écrin. La façade avant, mélange de bois et d’aluminium anthracite, est un assemblage de baies vitrées de différentes formes géométriques, qui confère à cette partie du bâtiment une forme circulaire. La toiture en ardoises noires est recouverte en partie de panneaux solaires. Mais ce qui m’étonne le plus, c’est la fumée blanche qui s’échappe de la cheminée.
— Tu ne croyais tout de même pas que je t’accueillerais dans une maison fermée depuis des semaines, sans chauffage ni eau chaude ? lance Anthony devant mon air étonné. Viens, je vais te faire visiter. On déchargera la voiture après.
Il me prend d’autorité par la main, et je le laisse m’entraîner avec joie. Le bois est présent partout. Il habille les murs et le sol. Il flotte dans l’air une légère odeur de sève.
— Bienvenue dans le chœur !
Anthony me présente fièrement la pièce principale, ronde et haute de plafond, et très lumineuse grâce aux nombreuses fenêtres. Planté au milieu de la pièce, un large tronc d’arbre sans écorce et aux formes brutes fait office de poteau de soutènement pour la charpente.
— Je l’ai dessiné en me basant sur le plan d’une église. L’entrée et la cuisine forment la nef. Au niveau des collatéraux, de chaque côté de la nef, on a salle de bains et WC à droite, garde-manger et local technique à gauche. La salle à manger est à la croisée du transept. De part et d’autre, il y a un bureau et une chambre. Et au-dessus, complète-t-il en levant le doigt, tu aperçois la mezzanine. C’est aussi une chambre. Mais il faut apprécier d’être réveillé par la lumière du jour.
Je ne trouve pas assez d’adjectifs pour lui dire à quel point je trouve cet endroit fabuleux. Le chalet est bien équipé et meublé avec goût. Loin d’être humide, grâce à son entretien régulier, la maison est chaleureuse et accueillante.
— Mais comment…
— Au village il y a un couple qui a la charge de l’entretien de la maison en notre absence, répond Anthony en devançant ma question. Je les ai appelés cette semaine pour qu’elle soit prête aujourd’hui.
Je lui souris avec reconnaissance. Le feu qui crépite dans l’insert de la cheminée est très agréable.
— Et donc, on peut dire que c’est ta garçonnière secrète ? fais-je, espiègle.
— Je n’ai jamais emmené de femme ici, me répond-il avec sérieux. Tu es la première.
— Oui, c’est ce que disent tous les hommes qui veulent séduire une femme, dis-je avec ironie.
Anthony plisse les yeux. Je remarque qu’il fait ça lorsque je dis une bêtise qui le froisse.
— Je ne suis pas « tous les hommes », Cylia, rétorque-t-il plutôt sèchement. Et tu sais, je n’apprécie pas qu’on mette ma parole en doute sans arrêt.
Je me fige, mortifiée de l’avoir vexé et surprise par le ton de sa réponse.
— Excuse-moi, murmuré-je, c’était un trait d’humour un peu maladroit, je crois…
Il soupire.
— Non, c’est moi, désolé. En fait, ça me tenait à cœur de te montrer cet endroit. Ça devait être la maison de ma mère.
A l’emploi du passé, je décèle qu’il s’est passé quelque chose de grave. Anthony ne m’a quasiment jamais parlé de sa famille, ni de son enfance.
— Est-ce qu’elle est… décédée ? demandé-je en me rapprochant de lui avec sollicitude.
— Presque. En tout cas, pour moi elle l’est maintenant.
Devant mon air de totale incompréhension, il ajoute :
— Elle était tombée amoureuse de la forêt. Mon père a acheté ce terrain et il a dessiné les plans de ce chalet pour elle. Mais il faut croire que les fondations de leur mariage étaient moins solides que celles d’une maison… Un jour elle est partie. Avec le type qui s’occupait de nettoyer la piscine de leur maison de Strasbourg. Mon père ne s’en est jamais vraiment remis, je crois. Il a abandonné les travaux qui venaient de commencer.
C’est moche. Je crois comprendre qu’il tient beaucoup à son père, avec lequel il travaille au quotidien dans l’entreprise familiale.
— J’avais vingt-trois ans à l’époque, poursuis Anthony. Elle a tenté de me convaincre de partir avec elle mais j’ai coupé les ponts. Quelques années après, je suis retombé sur les plans que mon père avait faits pour elle. Le projet était audacieux mais avait besoin d’une touche plus contemporaine. Le terrain était en friche, les fondations remplies d’eau. Mon père ne voulait plus en entendre parler. Mais il m’en a fait don. J’ai modifié les plans et il m’a fourni les moyens pour finir les travaux. Imagine qu’il n’y a pas l’eau courante, ni l’électricité, ni les égouts, en pleine forêt et si loin du village ! C’était un très bon défi technique.
Je le regarde avec admiration. Mais une question me taraude.
— Pourquoi avoir choisi de poursuivre l’œuvre de ton père ? Je veux dire, si cet endroit te rappelle ta mère, ça ne doit pas être facile.
Anthony me sourit à nouveau. Puis il me désigne l’immense patchwork de baies vitrées.
— Parce que, moi aussi, je suis tombé amoureux de la forêt.
Il me prend à nouveau la main.
— Allons chercher nos affaires et nous changer. Je vais te montrer comme cet endroit est beau, même en cette saison.
* * * * *
— Tu veux qu’on fasse une pause ?
J’ai les joues en feu et je sue à grosses gouttes dans ma parka doublée de polaire. Je respire comme un bœuf depuis pratiquement le début de l’ascension. Je m’apprête à dire que non, tout va bien, mais je n’arrive même plus à articuler tellement je suis essoufflée.
A côté d’Anthony qui n’a même pas l’air de transpirer et de ressentir la moindre fatigue, je me sens comme une grosse patate molle. Nous n’avons visiblement pas la même hygiène de vie, et j’ai honte de ma mauvaise condition physique. Onze ans d’écart, et on dirait que c’est moi la plus vieille des deux. Je peste intérieurement.
— J’admire ta combativité, se moque gentiment Anthony en m’aidant à m’asseoir sur un rocher couvert d’une mousse verte et humide. Mais il faut savoir s’incliner quand c’est nécessaire.
— Juste… juste une… petite pause, ânonné-je.
Je refuse de m’avouer vaincue. Je vais la grimper cette putain de côte ! Même si ça me prend le reste de l’après-midi. Il en va de ma fierté.
— Tu sais qu’au début on a descendu le chemin sur près de 2 km… ce qui veut dire qu’au retour ça va grimper, et sévère sur la fin ! me fait-il remarquer.
— Je m’en réjouis d’avance !
Anthony éclate de rire. Il se débarrasse de son sac à dos. Il en sort une gourde rouge en aluminium et me la tend. Pendant que je bois, il s’agenouille et dézippe ma parka. La lenteur avec laquelle il le fait a quelque chose de très sensuel. Il examine mes vêtements en faisant la moue.
— Ta veste n’est pas adaptée pour la randonnée, conclut-il après examen. Elle est trop épaisse et elle n’est pas ventilée. Résultat, tu transpires énormément et tu te déshydrates. Je n’ai pas pensé à vérifier tes affaires avant qu’on parte.
Si je n’étais pas déjà écarlate, je rougirais. Je suis loin de me sentir sexy. J’aurais préféré qu’il ne me voie pas comme ça.
— Je pensais savoir ce qu’il fallait que j’emporte. Je me suis trompée.
— Dans les domaines que je maitrise, il vaut mieux te reposer sur moi. Tiens, même tes baskets, on ne peut pas dire que ce soit l’idéal. Ça ne te tient pas la cheville, tu risques de te faire mal quand on va grimper.
— On va grimper encore plus, tu veux dire ?
Il se contente de rire en se relevant. Il me tend la main. Lorsqu’il me met debout, il enserre ma taille et me colle contre lui. Mon cœur s’affole. J’arrive à rester neutre tant qu’il ne me touche pas. Mais dès qu’il se rapproche, c’est comme si je brûlais de l’intérieur. Il m’embrasse, lentement, et je me sens fondre.
— Pour te donner du courage, explique-t-il en me relâchant.
J’ai envie de lui répondre que je risque de manquer souvent de courage aujourd’hui, tant ses baisers m’électrisent. Mais tant que je n’ai pas franchi l’ultime étape avec lui, je me sens pas capable de jouer les provocatrices.
Je reconnais que la promenade est magnifique. Depuis le chalet, nous avons traversé la route de terre et descendu la colline abrupte par des escaliers de métal avant de franchir une passerelle de bois au-dessus de la cascade du ruisseau de l’Erzenbach. Anthony m’a expliqué que c’était le seul moyen de descendre et de franchir le ruisseau, aussi notre randonnée serait un aller-retour, et non une boucle.
Nous avons suivi le chemin forestier de la combe, dont les pentes sont dévalées par de fins ruisseaux qui rejoignent les roches couvertes de mousses entre lesquelles circule l’Erzenbach, jusqu’à l’entrée du village de Steinbach. Et c’est en grimpant en direction de l’Hirnelestein que j’ai eu besoin d’une pause.
Je mets toute mon énergie dans l’escalade du reste du sentier avant d’emprunter un nouvel escalier de métal. Proche du sommet, mes jambes vacillent. Malgré le garde-corps, le vide m’appelle soudain. J’ai toujours eu le vertige. Déjà sur le pont de la cascade au début de la randonnée, je n’étais pas rassurée. Je suis sur le point de paniquer lorsqu’Anthony m’attrape par le bras.
— Regarde-moi dans les yeux, intime-t-il. Et avance. Jusqu’en haut. Ça ira mieux une fois arrivés.
J’obéis et plonge mes yeux dans les siens. Il me guide et cette connexion visuelle maîtrise les battements de mon cœur affolé. Du haut de l’énorme rocher, la vue est à couper le souffle. Sous nos pieds, la passerelle grillagée laisse entrevoir la hauteur à laquelle nous nous dressons au sommet de l’imposant mégalithe.
— Je te tiens. Tu ne risques absolument rien avec moi, murmure Anthony qui a senti ma terreur.
Il colle son torse contre mon dos et m’entoure de ses bras, comme pour me protéger.
— Profite de cette vue, dit-il en me montrant du doigt la vallée. Le rocher a servi d’observatoire durant les deux guerres mondiales.
— On comprend pourquoi, soufflé-je en admirant la plaine d’Alsace.
— Par beau temps, on devrait apercevoir aussi d’autres chaines de montagnes, mais la brume nous cache l’horizon aujourd’hui, fait-il, l’air renfrogné.
— Ça reste magnifique, le rassuré-je.
Sa bouche se rapproche de mon oreille et il chuchote :
— Ce qui est magnifique, c’est toi.
C’est d’un romantique tendre et niais. Je trouve ça très mignon, mais les compliments me mettent souvent mal à l’aise. Je ne les trouve pas légitimes.
— Tu ne me crois pas quand je te dis ça ? questionne Anthony devant mon absence de réaction.
— Je ne me vois pas comme ça.
Il me prend par les épaules et me retourne face à lui. Il parait surpris. Il caresse ma joue. Ses yeux ont l’air de scruter chaque centimètre carré de mon visage.
— Et bien si tu te voyais comme je te vois, en cet instant… tu trouverais la vue bien fade.
Je rougis. J’embrasse timidement ses doigts. Sur le retour, le soleil fait une timide apparition, teintant l’atmosphère de la forêt tapissée de feuilles mortes d’une douce lueur orangée. Je tiens bon dans la montée de la combe, tâchant d’avoir l’air vaillante, mais j’ai du mal à gérer mon souffle et à faire la conversation en même temps.
Nous abandonnons nos chaussures sous le porche de l’entrée du chalet au crépuscule. Lorsque je franchis le seuil, je suis en nage. Je me débats avec la fermeture de ma parka. Anthony me vient en aide et me la retire. Puis il s’attaque à mon pull. Alors que je suis en débardeur, ses doigts s’arrêtent sur l’ourlet, comme si dans son élan il avait l’intention de me déshabiller entièrement. Il me jauge du regard. Ses doigts remontent effleurer ma gorge et la lisière de mon décolleté. Mon ventre se crispe soudainement.
— Je peux prendre une douche ? bredouillé-je soudain.
Je me sens sale, pas présentable et surtout je ressens à nouveau ce besoin irrépressible de tourner les talons dès que je sens qu’il m’envisage. Et là, il ne fait aucun doute qu’il m’envisage.
— Pourquoi tu me fuis ? demande-t-il abruptement.
Interloquée, je réponds :
— Je ne te fuis pas, je vais juste dans la salle de bains.
— Tu mens. Et tu le sais aussi bien que moi. Tu as peur.
Ce n’est pas une question, c’est une affirmation. Mon trouble à chaque rapprochement physique ne lui a pas échappé.
— Est-ce que je t’impressionne toujours ?
Evidemment. Au plus haut point. Surtout quand ses doigts se promènent à la naissance de ma poitrine. J’élude la question en tentant de formuler mes craintes :
— Quand tu auras tout vu de moi…
— Tu veux savoir si j’ai l’intention de me barrer après, comme les autres tocards que tu as connus ?
Ma mâchoire se contracte. C’est exactement ça.
— Je te l’ai dit : je ne suis pas les autres hommes. Je suis moi. Tu es pleine de doutes, Cylia, murmure-t-il. Tu es remplie de peurs. Souvent c’est ce qui fait qu’on fait les mauvais choix. Mais je me sens capable d’affronter tes angoisses, tes incertitudes.
Ses yeux plongent dans les miens. C’est comme si l’acier de ses iris était en fusion, comme si sa chaleur me transperçait.
— Je me sens capable de faire ton bonheur… malgré toi.
Vu sous cet angle… Que pourrais-je répondre à ça ? Comment pourrais-je lui résister ?
— Il n’y a qu’une chose que je veux savoir, reprend-il en prenant mon visage entre ses mains. Est-ce que tu me désires ? Est-ce que tu as envie de moi ?
Je me mords les lèvres. Mon cœur bat à tout rompre. Cet homme a été patient, doux, attentionné, prévenant avec moi. Il mérite que je m’offre à lui. Quand enfin ma tête se décide à capituler, mon corps, lui, sait déjà depuis longtemps ce qu’il veut. Je redresse la tête pour approcher ma bouche, tremblante, contre la sienne.
— J’ai eu envie de toi dès la première fois où je t’ai vu dans ce bar, avoué-je.
Cet aveu semble le réjouir autant qu’il le surprend. Brusquement sa bouche se plaque contre la mienne avec une passion dévorante. Pour la première fois depuis notre tout premier baiser, j’y réponds sans crainte et sans retenue. C’est comme si le barrage de mes inhibitions venait de céder brutalement, emportant tout sur son passage.
Ses mains enserrent mes hanches et me plaquent contre lui. Il me pousse dans la salle de bains. Sans cesser de m’embrasser et de me caresser, il ouvre le robinet de la douche à l’italienne puis, satisfait de la température, il m’entraine soudain avec lui sous le jet d’eau. Je pousse un cri de surprise.
L’eau trempe nos vêtements qu’Anthony s’évertue à enlever un par un. Son t-shirt tombe au sol, et le souffle coupé par ses baisers, j’admire sa carrure imposante, la largeur de son torse sculpté et le V de ses hanches qui semble appeler mes doigts à se glisser sous ce pantalon. Mais alors que j’avance mes mains pour le déshabiller, il m’arrête et plaque mes poignets contre le mur.
— Laisse-moi faire, ordonne-t-il.
Sa voix chaude, caressante, et son ton autoritaire ne souffrent pas de refus. Ma tension grimpe en flèche. Ses yeux plongent dans les miens. C’est à celui qui clignera des yeux le premier. L’affrontement silencieux est plein de promesses brûlantes. La communication non verbale entre nous est plus qu’explicite.
Il délie ma ceinture. Mon pantalon tombe sur le bas de mes hanches. Par réflexe, je place mes mains devant moi. Je ne suis pas forcément à l’aise avec les rondeurs de mon ventre et de mes cuisses.
— J’ai dit : laisse-moi faire, répète Anthony en repoussant mes mains.
Sa bouche frôle ma clavicule, elle dévale ma poitrine où ruisselle l’eau de la douche. A travers mon débardeur et mon soutien-gorge trempés, les pointes de mes seins ressortent, dures et sensibles. Tellement sensibles, quand il les dénude et les cueille entre ses lèvres, une par une, chacun de mes seins pris en coupe dans ses mains fermes. J’exhale un soupir de plaisir.
Il continue sa descente. Son nez effleure mon ventre et je frissonne alors qu’il s’agenouille devant moi. Immobile et brûlante, je le laisse retirer entièrement mon pantalon et mes chaussettes qu’il envoie rejoindre le t-shirt au sol. Ses mains se posent sur mes chevilles et remontent, lentement, le long de mes jambes, jusqu’à mes fesses. La puissance que je sens à travers ses doigts me fait défaillir. Sa façon de me toucher est sensuelle, possessive même, quand je le sens s’agripper et enfoncer ses ongles dans ma peau.
J’ai un hoquet de surprise en sentant mon bassin partir dans sa direction, et sa bouche s’écraser soudain contre mon sexe. Je sens sa langue, plus chaude encore que l’eau, découvrir les contours de mon intimité à travers le tissu.
L’eau coule toujours, cascadant sur mon corps, jusqu’à ses lèvres. C’est comme s’il buvait à la source, les yeux fermés, s’imprégnant de moi et se désaltérant en même temps. C’est puissamment érotique. Je halète alors que son doigt écarte l’étoffe et taquine langoureusement ma chair palpitante.
Il se relève soudain, sans cesser ses caresses. Privé d’une de ses mains, l’autre appuyée contre le mur au-dessus de ma tête, il n’oppose plus de résistance aux miennes qui s’évertuent à déboutonner son pantalon de randonnée trempé. Mes jambes tremblent, sous ses assauts contre mon clitoris gonflé de désir. Je ne tente pas de baisser tous ses vêtements, je me contente de plonger la main dans son boxer.
Lorsque mes doigts entrent en contact avec son membre durci, je me sens soudain tétanisée. Comme intimidée face à cette nouvelle rencontre dont je devine les contours au toucher. Mon cœur bat à tout rompre.
— N’aie pas peur. Sors-la, m’intime Anthony de sa voix enfiévrée.
J’obéis. Caressant sa hampe d’une main, je flatte ses bourses de l’autre, sentant l’objet de mes convoitises grandir encore – si tant est que cela soit possible.
— Tu fais ça bien, apprécie-t-il en observant mes lents va-et-vient.
Je me mordille les lèvres, secrètement ravie de ce compliment. J’ai l’impression d’avoir repris le contrôle.
Brusquement, ses doigts s’enfoncent en moi. C’est comme une décharge électrique qui remonte le long de ma colonne vertébrale. Je pousse un gémissement qu’il étouffe de ses lèvres et ma main se referme plus fortement sur son sexe. Son corps se tend soudain.
— Aaah, Cylia, gémit-il.
A ma grande surprise, il se déverse contre mon bas-ventre dans un râle rauque. Les yeux fermés, il se laisse aller jusqu’aux derniers soubresauts de son être, goûtant manifestement chaque parcelle de son plaisir. Il retire ses doigts. Il rouvre les yeux et me contemple. Je lui adresse un sourire timide, ne sachant pas quoi dire ou faire. Nullement mal à l’aise, Anthony se met à rire et me dit :
— Eh bien, il faut croire que je te désirais un peu trop, en fin de compte. Mais ne va pas croire que j’en ai fini avec toi, ajoute-t-il plus sérieusement en m’attrapant par le menton. Viens par là.
Il reprend ses baisers, comme s’il était loin d’être rassasié de moi. Il retire le reste de nos vêtements, jusqu’à ce que nous soyons totalement nus, l’un contre l’autre contre la faïence du mur.
Il verse du gel douche au creux de sa main et entreprend de me laver sensuellement de ses souillures, non sans pincer mes tétons jusqu’à ce que je feule, à la limite entre plaisir et supplice. Il me teste. Ses yeux ne perdent pas une miette de la moindre de mes réactions. Son assurance ne cesse de me surprendre.
Les garçons que j’ai connus, et qui venaient un peu trop vite, en faisaient généralement une montagne. Presque autant que pour une panne. Comme si c’était une honte. Parfois ils s’endormaient là-dessus, me laissant me finir toute seule, mais d’autres préféraient s’enfuir immédiatement. Pour la plupart, leur orgasme signait la fin des hostilités, peu importe l’état de leur partenaire.
Mais Anthony est différent. Sa maturité se ressent, il semble savoir parfaitement ce qu’il veut et comment l’obtenir. Et s’il n’y parvient pas d’une façon, il y arrivera d’une autre manière. Y compris en matière de sexe, d’après ce que je vois.
Lavés et rincés, il me fait signe d’éteindre l’eau pendant qu’il sort de la douche et revient avec deux grandes serviettes éponges. La mienne sent très légèrement l’humidité, signe que la maison n’est pas tout le temps occupée. A peine séchée, Anthony me prend de nouveau par la main et m’entraine vers l’escalier en colimaçon qui mène à la mezzanine.
— Je ne t’ai pas fait visiter cette partie tout à l’heure.
— Mon sac de voyage est resté dans l’entrée, lui signalé-je.
Il jette un œil à ma serviette que j’ai enroulée étroitement autour de mon corps. La sienne lui tombe sur les hanches et je le trouve diablement sexy.
— Tu en as besoin pour quoi ? me demande-t-il, étonné.
— Euh… pour mes vêtements.
Il éclate de rire. Il redescend les trois marches qu’il avait grimpées et se rapproche de moi. Je frissonne quand il me chuchote à l’oreille :
— Qu’est-ce que tu n’as pas bien compris quand j’ai dit que je n’en avais pas fini avec toi ?
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