Chapitre 18 : Brise déstabilisante
À cette annonce, mon cœur accélère, bon sang, qu'est-ce que je suis en train de faire ?! J'embrasse du regard mon appartement, vérifiant que tout est en ordre. J'ai placé le portrait de Marianne sur la table basse où je vais la convier. Je ne veux aucune ambiguïté. Son sourire doux, sa blondeur, ses yeux bleus me chavirent... Diable qu'elle me manque ! Je prends une grande inspiration et lui indique : "Deuxième étage, c'est la seule porte."
Je me hisse à grandes enjambées jusqu'au perchoir de Xavier, ayant hâte de découvrir l'apparence de son domicile. Je suis impatiente de créer mille et une théories dans mon esprit en m'appuyant sur les détails de sa décoration. Je me retrouve face à la porte de ce royaume sûrement incroyablement gelé, délicieusement glacial. Il y a une autre sonnette, mais je préfère frapper. J'attends quelques instants, je vois enfin la poignée remuer.
Je déverrouille avec une certaine appréhension, puis ouvre la porte en m'effaçant pour la laisser entrer. Ses talons résonnent sur le parquet.
" Me voilà.
Je tends ma joue vers son visage espérant obtenir une simple bise de formalité.
Je marque un léger recul et lui tends la main droite, mes yeux fixés sur ses lèvres carmin.
Je saisis sa main et l'amène presque au contact de mes lèvres, y déposant un baise-main invisible. Je lui souris bêtement, je ne suis plus moi-même.
– J'ai ramené quelques petites choses, peut-être voudrais-tu ouvrir une des bouteilles qui se cache là-dedans ?
J'accepte son paquet bouche bée, restant figé un instant puis secoue la tête pour reprendre mes esprits et lui désigne le canapé de cuir noir qui jouxte la table basse de style industriel.
– Asseyez-vous, je vous en prie.
Pendant que je la pense en train de s'asseoir, je passe dans la cuisine ouverte pour sortir sa bouteille. Et deux verres.
– Vous ? C'est plutôt celui à qui l'on effectue cette convenance qui doit être vouvoyé.
Je rigole malicieusement. Il part vers la cuisine, muni du cabas, j'espère qu'il ne va pas voir une offensive farouche à la vue des victuailles que j'ai prévues. Je fixe le portrait qui trône sur la table du salon. Je ne sais pas pourquoi, mais je me sens envahie d'une bouffée de chaleur.
– Euh, Xavier, je me débarrasse de mon blouson n'importe où ? Ou tu as un porte-manteau qui saurait le recevoir ?
– Il est derrière la porte, lui indiqué-je en versant son vin rouge dans les verres.
J'ôte mon par-dessus ainsi que mes bottes qui résonnent sur le parquet, réajuste ma robe le long de mon corps, puis me dirige vers la cuisine, d'où parvient encore sa voix. Je me glisse à pas de loup jusqu'à l'embrasure.
– C'est quoi tout ça ?
– Je ne voulais pas abuser de ton hospitalité, aussi me suis-je dit que je pouvais préparer le repas. Avec ce qu'il s'est passé au restaurant, je suppose que tu préfères quand c'est fait maison.
– Oui, non, enfin j'ai quelqu'un qui cuisine pour moi. Ceci dit, je t'ai invitée à prendre un verre pour discuter. Je ne voulais pas que tu te sentes injustement rejetée. Ce n'était pas une invitation à dîner.
– Oui, je sais bien, mais j'ai eu une journée éprouvante et la faim me guette. Si tu ne veux pas que je cuisine, tu n'auras qu'à garder ce que j'ai amené. Mais, sans me vanter, je suis un vrai cordon bleu.
– Rosalie en est un aussi. Et une fée du logis.
– Est-ce la magnifique femme qui est en photo ?
Je marque un temps d'arrêt, avalant péniblement ma salive.
– Non... C'était... Marianne... révélé-je alors que ma voix se brise.
– Je... Hmmm. J'aurais peut-être mieux fait de me taire, excuse-moi, j'ai l'impression d'avoir parlé sans réfléchir... Mais comme son visage s'est retrouvé à quelques centimètres du mien, je me demandais juste... Enfin, m'interrompé-je à mon tour, tu veux m'en parler ?
Je chiffonne ma robe du bout de mes doigts.
– Tu n'y es pour rien... Pfff... En fait, je voulais que tu la voies... Que tu comprennes pourquoi c'est juste... Pas envisageable.
– Pas envisageable ? Toi et moi ? Nous ?
– Personne... Jamais. Plus jamais...
– Je... Tu sais quoi, servons-nous un verre et asseyons-nous sur le canapé.
Je lui prends la bouteille d'une main, les verres de l'autre, me retourne d'un trait et me dirige vers le salon. Je m'installe sur le canapé, et croise les jambes. Je remplis les verres et le regarde dans les yeux.
Je reste un instant figé puis la rejoins en soupirant. Je me laisse tomber dans mon fauteuil en face d'elle et me prends la tête entre les mains. J'ai de nouveau envie de pleurer... J'ai l'impression de ne faire que ça... À croire que je n'ai plus rien d'un homme...
Je saisis la détresse qui l'anime, j'entends sa plainte muette. Je décide de tendre le bras, et de poser mes doigts sur une de ses mains. Je ne cherche pas à l'attiser, je veux juste qu'il croise mon regard, qu'il comprenne que je ne compte pas renoncer à savoir ce qui le tracasse. Je veux qu'il me parle. Mes pensées m'échappent.
– Parle-moi.
Je sens sa main sur la mienne. Cette chaleur, cette douceur... J'en ai besoin et en même temps elle me terrifie. Parler ? Je ne peux pas, ma gorge est nouée par les larmes que je refuse de laisser couler devant elle. Pourquoi l'ai-je fait venir ?
– Si tu ne veux pas parler, alors regarde-moi. Pose sur moi le même regard froid et défiant que tu m'as jeté lors de notre premier rendez-vous. Même le pire des silences que tu m'imposerais serait suffisant pour que je puisse entendre tes songes.
C'est le verre de vin que je regarde plutôt et les yeux rieurs de Marianne qui semblent me dire... Me dire quoi ? Que c'est ok pour elle tout ça ?
Bien qu'il ne me fixe pas, il n'a plus ses mains devant le visage. J'hésite à tenter le fameux coup de la thérapie par le sexe, mais cela serait clairement inconvenant. J'ai face à moi un homme brisé, qui se veut imperturbable et tout-puissant dès qu'il n'est plus seul. Je compatis, et en même temps, je repense à ma propre condition.
– J'ai une question Xavier...
Je tends la main et m'empare enfin du verre de vin que je bois d'un trait.
– Xavier ?
– J'écoute.
– Je ne sais pas ce qui est le pire, car je suis inexpérimentée en la matière mais... Penses-tu qu'il soit plus dur d'avoir été un jour aimé pour ce que l'on est, même si cet amour a été perturbé ? Ou alors de ne jamais avoir été aimé, tout court ?
L'émotion me gagne, je serre les dents pour encaisser le choc que je m'inflige.
– Perdre l'être aimé...
Je me resserre un verre de vin et bois à nouveau.
– Marianne... Marianne c'était ma vie. Mon cœur est mort avec elle.
– Je...
Je reste figée à cette annonce, mon verre de vin intact m'appelle. Je l'amène à mes lèvres, en sirote une très grande gorgée. Je ne pensais pas qu'elle était partie... Enfin, pas morte... Ce n'est pas comme si je pouvais la remplacer de toute manière, pensé-je.
- Sauf que je ne veux pas prendre sa place, Xavier... Enfin, peut-être un peu, mais pas dans le sens où je veux être elle. Elle t'a conquis, aimé, possédé, elle te possède encore, même. Je ne fais pas le poids, je ne suis que moi, mais, c'est aussi ma force. D'être Éléonore, pas Marianne.
– Tu ne comprends pas... Plus rien n'est capable d'aimer chez-moi... J'ai trop souffert, je souffre trop... Je suis désolé... "
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