Vacances programmées

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Les pneus crissaient sur le gravier puis la voiture s’immobilisa doucement à l’angle de la maison. Sous le soleil d’une fin de matinée printanière, Christine sortit du véhicule en protégeant, avec sa main, ses yeux de l’astre lumineux. Le sourire aux lèvres, elle regarda, satisfaite, la maison aux volets clos. « Enfin arrivés » soupira-t-elle.

Son époux sortit, à son tour, de la familiale. Elle se tourna vers lui :

-          Si nous étions partis à l’heure prévue, nous aurions évité les bouchons et serions déjà installés. 

Il haussa les épaules :

-          Nous n’avons été ralentis que 30 minutes à peine. De toute façon, quelle que soit l’heure, lors des départs en vacances, c’est toujours le bazar sur le périph’ nantais. Quand vont-ils se décider à créer une autre voie de contournement ? Depuis le temps qu’on en parle… Bref, l’important est d’être arrivés à destination.

N’insistant pas, elle reporta son attention sur la maison puis sur la voiture et s’adressa à ses enfants, encore installés à l’arrière du véhicule :

-          Nous sommes arrivés. Descendez.

Arthur, le fils aîné, étonnamment docile pour son âge – tout juste 17 ans, s’extirpa le premier de l’habitacle. Malgré sa prudence, sa tête cogna contre la portière. Ayant trop rapidement atteint son mètre 95, l’adolescent semblait avoir des difficultés à maîtriser son corps. Ce que, habituellement sa mère ne manquait pas de souligner. Mais, aujourd’hui, avec sa bonne humeur affichée, elle ne s’attarda pas sur ce point. En se frottant le crâne, il se dirigea vers le coffre de la voiture pour aider son père à sortir les bagages.

« Judith, c’est valable pour toi aussi » ajouta-t-elle avant d’emprunter le chemin en dalles de granit menant à la porte d’entrée.

La jeune fille descendit, ses écouteurs encore sur les oreilles. Au son de « On ira » de Jean-Jacques Goldman, elle observa sa mère insérer la clé dans la serrure et ouvrir la porte de leur maison de vacances, héritage de leur grand-père maternel, tant affiché auprès de leurs amis et voisins.

Les bagages s’accumulaient derrière le véhicule. Sans y jeter un regard, elle fit le tour de la maison pour rejoindre le jardin. Elle y retrouva le grand chêne où pendait toujours une balançoire.

Le son des volets qui claquent la tira de sa rêverie. Sa mère avait décidé d’aérer la maison. Chose probablement inutile puisqu’elle avait été occupée le week-end dernier par son cousin pour quelques jours festifs entre amis. Son séjour promettait d’être un tantinet moins… enthousiasmant.

« Arrête de rêvasser et viens plutôt nous aider. Nous avons à faire avant de profiter de nos vacances. Allez bouge-toi un peu ! »

« J’arrive, maman. » Judith rejoignit son père et son frère, saisit un sac et l’apporta à l’intérieur de la maison.

L’heure qui suivit fut consacrée à l’installation de la famille : répartition des bagages, ménage, rangement…

 

Après l’effort, le réconfort : le déjeuner fut servi sur la terrasse. Les membres de la famille échangeaient sur leurs projets de vacances en dévorant les crudités préparées la veille.

« Nous allons profiter au maximum de cette semaine. Cela fait plusieurs mois que nous ne sommes pas venus à Quiberon. » Après une courte pause, la mère de famille reprit : « Arthur, il faudra que tu passes au club pour tes séances de char à voile et de canoë en mer. Tout est réglé, il te suffit de définir les horaires. Quand dois-tu aller au centre de secours ? Ils doivent te remettre ton équipement pour la surveillance de la plage. Tu m’apporteras les vêtements pour que je les lave avant. N’oublie pas.

Judith, tes cours d’équitation sont de 14h30 à 16h30. Ensuite, nous pourrons aller, ensemble, au yoga. Cela serait amusant de suivre une activité toutes les deux, non ?

- Faut voir, répondit l’adolescente. À 13 ans, ses préférences étaient visiblement ailleurs mais, si elle jouait finement, elle pourrait peut être échapper au yoga version mère-fille.

- Et toi, Philippe, quel est ton programme ?

- Pêche à pied, vtt et photos, répondit, du tac au tac, son mari.

- Comme d’habitude, donc. Tu ne penses pas que tu pourrais améliorer le jardin ? Le rendre plus chaleureux ?

- Nous sommes ici que quelques semaines par an. Je préfère consacrer mon temps à me détendre et à me vider la tête. Après tout, je suis aussi en vacances. D’ailleurs, cet après-midi, je pense pédaler le long de la côte sauvage. J’en profiterai pour tester les nouveaux réglages de mon appareil photos.

Une fois la table débarrassée, la famille lézarda quelques instants au soleil. Arthur fut le premier à se lever.

-          Je vais me balader et retrouver Mewen.

-          C’est bien le fils de l’épicier ? Je ne savais pas que tu étais toujours en contact avec lui. Rentre à temps pour le dîner.

En murmurant un « ok », Arthur tourna les talons. Deux minutes plus tard, la porte d’entrée claqua.

-          Je me demande si ce Mewen est une bonne fréquentation pour Arthur. J’ai entendu dire qu’il avait eu quelques problèmes avec la commune, du vandalisme mineur si j’ai bien compris.

-          Arthur a 17 ans. Laisse-le choisir ses amis. Il sait ce qu’il fait et ce qu’il risque en cas de problème. Il est responsable, répondit Philippe sans même ouvrir les yeux.

-          Je l’espère. Bref, allez debout, assez paressé !

Résignés, père et fille se levèrent en échangeant un regard de connivence. Elle avait déjà défini le programme des vacances. Aucun ne pouvait s’y soustraire. Tout était bien calé et elle entendait le faire respecter. Chacun partit vaquer à ces occupations, assignées ou non.

 

À 19h, ils étaient réunis sur la terrasse savourant un apéritif avant le dîner. Mais Arthur manquait à l’appel.

-          Mais où est-il ? Il devrait déjà être rentré, ronchonna Christine. Judith, as-tu essayé de le joindre sur son portable ?

-          Oui, il n’a pas répondu et j’ai laissé un message.

-          Ne t’inquiète pas. Il a dû oublier l’heure et arrivera bientôt. Pas de quoi en faire un flan.

-          Notre première soirée ici et il est absent. C’est un manque de respect pour nous et pour mon travail. Judith, rappelle-le s’il te plaît.

La jeune fille obtempéra. Elle tomba directement sur la messagerie de son frère : « Arthur, où es-tu ? Maman commence à s’énerver alors, pour le bien de tous, rapplique et vite !! »

-          Le répondeur, ajouta-t-elle pour sa mère.

-          Bon, tant pis pour lui. Nous dînerons tous les trois, conclut-elle.

 

Le dîner achevé, Arthur n’avait toujours pas donné signe de vie.

-          Il a dû avoir un problème, un accident peut être… Ce n’est pas possible qu’il ne soit pas rentré comme convenu. Mais où est-il ? déclama d’un trait Christine en faisant les 100 pas dans la pièce.

Face à elle, son mari commençait, lui aussi, à s’inquiéter un peu : « il nous aurait prévenu de son absence. C’est inhabituel de sa part » songea-t-il.

Judith s’était plongée dans sa lecture mais restait aux aguets. « Ça ne ressemble pas à Arthur. »

-          Bon c’est décidé. J’appelle la gendarmerie, s’écria Christine.

-          Ouh là, calme-toi. Oui, c’est étrange de la part d’Arthur mais nous n’allons pas alerter les gendarmes pour 3h de retard.

-          Et pourquoi pas ? Nous devons bien faire quelque chose.

-          Il nous a dit rejoindre Mewen. Ils sont certainement encore ensemble. Appelons son père et nous serons fixés.

Philippe saisit l’annuaire et rechercha le numéro de l’épicerie locale. Après trois sonneries, un « oui » retentit à l’autre bout de la ligne. Il se présenta et demanda à parler à Mewen. L’épicier l’informa que ce dernier était absent.

-          Savez-vous si mon fils, Arthur, est avec lui ?

-          Je suppose. Ils sont partis ensemble cet après-midi.

-          Savez-vous où sont-ils allés ?

-          Non. Mewen ne me donne pas son emploi du temps.

Philippe précisa la situation et leur inquiétude.

-          Je ne peux pas vous aider mais, à votre place, je ne m’en ferai pas trop. Ce sont des ados.

Après avoir raccroché, il rapporta la conversation au reste de la famille.

-          Mais il est inconscient ! Il n’est même pas un peu inquiet ? s’écria Christine.

-          Calme-toi, chérie. Il n’a peut être pas tort.

-          C’est ce Mewen qui influence Arthur. C’est forcément de sa faute ! Sans lui, il n’aurait jamais disparu de la sorte. C’est un gentil garçon.

-          Arthur a dû avoir un imprévu et il n’a pas réussi à nous joindre. Pour le moment, nous ne pouvons rien faire. Alors, allons-nous coucher. Nous aurons certainement de ses nouvelles demain matin.

En disant cela, il guida sa femme vers leur chambre.

-          Judith, laisse bien ton portable allumé, ajouta-t-il. Et n’hésite pas à me réveiller s’il le faut.

L’adolescente vérifia ses messages et son niveau de batterie. Elle ferma son livre et rejoignit sa chambre.

 

Le lendemain, Arthur n’avait donné aucune nouvelle. Philippe se résigna à prévenir la gendarmerie. Pendant son absence, Judith partit acheter du pain. En chemin, elle croisa une jeune fille qui l’interpella. Elle reconnut Gwenaëlle avec qui elle jouait, petite.

-          Comment vas-tu ?

-          Pas trop mal. Si ce n’est que mon frère, Arthur, est aux abonnés absents. Tu ne l’aurais pas vu ?

-          Ce cher Arthur, ce qu’on a pu le taquiner à l’époque. Je l’ai croisé hier. Il était avec Mewen. Faut pas s’inquiéter. Ils ont dû improviser une escapade en amoureux.

-          Quoi ? Qu’est-ce que tu racontes ?

-          Tu n’es pas au courant ? Arthur et Mewen sont ensemble.

-          Arthur et Mewen ?

-          Oui et depuis quelques semaines.

Gwénaëlle n’était pas du genre à diffuser de fausses rumeurs. Aussi, elle crût son amie sur parole. Après avoir obtenu d’elle toutes les informations en sa possession, Judith, oubliant le pain, reprit la direction de la maison familiale. En chemin, elle s’arrêta sur la plage et réfléchit à la situation. Elle devait se rendre à l’évidence : Arthur lui avait caché son homosexualité ; il ne lui avait pas fait confiance, à elle, sa propre sœur. Les larmes lui montèrent aux yeux.

Après avoir repris le dessus, elle décida d’annoncer la nouvelle à ses parents. Si Arthur ne le leur avait rien dit et avait disparu, c’est certainement qu’il ne tolérait plus cette situation. Pour qu’il revienne, ses parents devaient l’apprendre et l’accepter. Judith souriait du coin des lèvres en pensant à la réaction de ses parents : son père ne l’inquiétait pas mais sa mère serait ébranlée. Pour elle qui prévoyait tout, cette nouvelle serait le grain de sable dans son programme.

 

De retour à la maison, elle retrouva ses parents. Elle ne tourna pas autour du pot et leur narra sa rencontre avec Gwénaëlle.

Comme elle l’avait prévu, son père fut surpris mais compréhensif ; sa mère fit, tout d’abord, une petite crise d’hystérie puis finit par se calmer. Ils continuèrent à discuter, à échanger sur la situation pour tenter de comprendre. Comment Arthur était arrivé à prendre une telle décision ? Sans réellement y parvenir, ils décidèrent de contacter Arthur.

Cette fois encore, ce fut le répondeur. Ils laissèrent un message précisant qu’ils savaient, qu’ils l’acceptaient et souhaitaient le voir revenir.

Cela fait, ils attendirent en tentant de reprendre leurs activités, sans toutefois quitter la maison. Mais leurs esprits étaient ailleurs.

Lorsque le portable de Judith sonna, quelques heures plus tard, ils se réunirent autour de l’appareil.

-          Judith ?

-          Arthur.

-          J’ai eu ton message. Comment le prennent les parents ?

-          Plutôt bien. Nous avons surtout été surpris. Pourquoi ne nous avoir rien dit ?

-          Je n’en ai pas eu le courage.

-          Vas-tu revenir ?

-          Nous en avons discuté avec Mewen. On est sur le chemin du retour.

-          Contente de te revoir bientôt.

Après avoir raccroché, elle adressa un « il revient » à ses parents.

Les heures défilèrent trop lentement à leur goût. Ils attendaient encore avec impatience lorsque Arthur passa la porte. Tous se levèrent, ne sachant comment se comporter. Judith n’hésita pas longtemps et se jeta dans les bras de son frère. Les parents l’enlacèrent à leur tour.

-          Nous sommes heureux de te revoir parmi nous, précisa son père.

-          Nous étions tellement inquiets, renchérit sa mère. En s’écartant de son fils, elle ajouta : « ne refais jamais ça. »

Ensemble, ils se dirigèrent vers la terrasse pour discuter. Arthur entra directement dans le vif du sujet. Il exprima son malaise vis-à-vis de sa sexualité qu’il ne pouvait évoquer avec eux par peur de leur réaction. Ses parents le rassurèrent. Une fois, les non-dits formulés et les tensions apaisées, ils fêtèrent leurs retrouvailles autour d’un apéritif.

Soudain, des coups à la porte les interrompirent. Philippe alla ouvrir.

-          Bonsoir. Excusez-moi de vous déranger à cette heure. Je suis votre voisine. Et, votre âne est en train de manger mes rosiers.

-          Qu’est-ce que vous dites ? demanda Christine qui les avait rejoints.

-          Nous n’avons pas d’âne, répondit Philippe.

-          Pourtant, il y en a un dans votre jardin qui dévore mes rosiers, en bordure de votre terrain. Si vous pouviez l’en empêcher…

-          Là, c’est trop pour moi Je laisse tomber, annonça Christine en rejoignant le canapé pour s’y affaler. « Moi aussi, j’ai besoin de vacances et que l’on me laisse tranquille. »

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