Chapitre II. Il est temps de tourner la page.
Le réveil a sonné , je ne suis pas malade, pourtant je traine des pieds. Que m'arrive-t-il ? Je n'ai pas envie d'y aller. Le café est amer, la confiture trop sucrée, de toute façon , je n'ai pas faim. Un rapide coup d'oeil dans ma glace confirme ce que je pense, je me laisse aller ! Moi qui étais si tatillon avec ma toilette, je ne me douche plus qu'un jour sur deux, je ne me rase plus. Mes étudiantes adorent ce nouveau look, ça me donne un air canaille d'après elles. Le salon, la chambre et les autres pièces sont dans un désordre épouvantable. Dans un coin l'horloge suisse égrène ses minutes, je n'ai plus le temps de me raser aujourd'hui, je procède à une rapide toilette de chat. Je cache, comme je peux, une tache de sauce bolognaise sur ma chemise, de toute façon je crois que c'est la dernière à peu près propre. Je fauche au hasard une veste pas trop fripée sur le canapé. Je boucle ma valise de cours. La voiture est au garage, je n'ai pas pris le temps de l'entretenir, j'ai juste le temps de sauter dans le Bus 16 et le métro ensuite. Il faudrait que je me reprenne en main. Mon amour, tu me manques, mais il parait que tu ne m'aimes plus. Que t'ai-je donc fait ?
La journée s'égrène , ensuite, mélancolique. Tout est terne, tout est gris, plus rien n’a de saveur. Pour la première fois de ma vie, enseigner m'ennuie, le pire, c'est que ça se voit. Petit à petit l'amphithéâtre bruisse d'un lancinant brouhaha. Je n'ai pas la force de le contrer, je laisse faire, comme pour le reste. Je laisse aller. Un ami me l'a dit, ça s'appelle une dépression ! il faudrait que tu te soignes, m'a-t-il dit ! je lui ai répondu par un doigt d'honneur, moi qui n'ait jamais été vulgaire de ma vie.
j'entends qu'on m'interpelle. Il s'agit d' une étudiante de vingt-deux printemps au premier rang ! ses beaux yeux de braise se plantent dans les miens, sa bouche souris, mais son regard, lui, reste noir insondable, accusateur et rassurant à la fois ! ( ça y est, je crois que je débloque complètement!)
- Mr Esteban, que vous arrive-t-il ? Vos cours, sont toujours vivants, colorés, héroïques, jusqu'à présent, les cours d'histoire, c'était le meilleur moment de ma journée. Louis Riel, John A Macdonald, la construction d'un Canada bicéphale anglophone et francophone, les relations avec le gênant voisin du sud-est. Est-ce si inintéressant que cela ? Ce ton monocorde, digne de Chateaubriand, de ses mémoires d'outre tombes, ce n'est pas vous ça !
Cette pimbêche, belle comme un lever de soleil, me ramenait vers la réalité. Elle avait raison je devais réagir, je lui souris en retour et sans lui adresser la parole, je continuais mon cours comme si son intervention n'avait pas eu lieu, mais au fond, je le savais, elle venait de sauver la mise.Le reste de l'heure fût un feu d'artifice, les étudiants m'applaudirent à la fin de mon exposé. C'est sous un standing ovation que je sortis de la salle. Alors qu'une Miala primesautière m'attendait dans un angle, ce fut la rêche madame Mac-Miche qui m'interpella :
- Le patron voudrait vous voir !
Je suivis donc la stricte secrétaire de direction. Marcel s'il rendait nerveux beaucoup d'enseignants ici, moi, je n'en avais pas peur, il était mon ami depuis toujours, j'aurais plus être à son poste si j'en avais éprouvé l'envie. Mais jusqu'à présent, j'étais tellement heureux en tant qu'enseignant-chercheur. Je me pris à observer la secrétaire monter les escaliers, un bruit courrait que la revêche Madeleine ( Mac-Miche était son surnom) pouvait se transformer en cendrillon le soir sur Tindeer, elle me surprit en plein matage de ses fesses rondes qu'elle cachait sous un strict tailleur en laine d'Écosse. Elle me sourit brièvement. Le bruit courrait dans l'établissement, j'étais célibataire et en manque ! Que m'arrivait-il ? La femme de ma vie était partie et moi je m'intéressais aux étudiantes amérindiennes et aux secrétaires abonnées aux sites de rencontre, ce n’était pas moi ça.
Non! Martine en me quittant avait emporté mon coeur avec elle. Dimanche dernier, trainant mon spleen du côté du pont neuf, j'étais resté longuement accoudé à la balustrade, Hypnoptisé par les remous qui se fracassaient sur les piles du pont. C'est une jeune femme qui m'avait dissuadée de sauter. Elle m'avait dit m'observer depuis de longues minutes, quand elle avait enfin compris mes pensées, elle avait osé me déranger. Elle s'était présentée. Elle se prénommait Sarah, elle aussi avait voulu autrefois sombrer dans l'eau noire de la Seine et en avait été sauvée. Il n'y avait pas un jour où elle ne pensait pas à ce jour funeste où elle avait failli plonger, par dépit amoureux.
Nous avions échangé pendant de longues heures, elle m'a même présenté sa nouvelle famille, me disant qu'on avait droit au bonheur plusieurs fois dans la vie. Aucune peine de coeur ne méritait le plongeon éternel d’après elle. J'ai encore son numéro de téléphone dans mon portefeuille .
- Lisandro, Lisandro, Lisandro !
Lentement je remonte à la surface, comment ais-je fini dans ce bureau, ah oui, j'ai suivi Madeleine Mac-Miche dans l'escalier !
- Lisandro, ça y est tu es avec moi, m'interpelle Marcel Dupuis, le directeur de l' UFR, je ne sais pas où tu étais, mais tu semblais loin. Écoute, tu es un de nos meilleurs éléments, tes cours d'histoire sont toujours très suivis, je n'ai eu à présent que des louanges à ton égard. Jusqu'a aujourd'hui. Mais depuis un petit moment, tu sembles ailleurs. Alors je t'en supplie, prends une semaine de congé maladie ou deux, range tes affaires et reviens-nous en forme. Je le comprends, depuis que ta femme est partie, tu n’as pas l’air bien, ça peut se comprendre d’ailleurs ! Mais ! c'est l'ami qui te parle, secoue-toi, regardes, tu as des taches sur ta chemise, tes tenues si bien repassées autrefois paraissent négligées, ton aspect général est sale, négligé. Il faut que tu réagisses ! sinon ce n’est plus l'ami qui te parlera, mais le supérieur !
Puis, il écarta sa chaise de son bureau, posa sa paire de lunettes et me regarda droit dans les yeux de son grand sourire carnassier. Il se taisait, mais je savais que l’échange n’était pas terminé. J’eus peur soudainement, qu’allait-il me proposer encore après m’avoir menacé.
- J'ai une proposition pour toi! Toutes les années il y a des échanges de personnels entre différents pays étrangers. Ça te dirait Vancouver ? Ça te ferait oublier tout ça non ? De toute façon, je t'ai déjà inscrit, je viens de recevoir la réponse, ils t'attendent pour la rentrée. Oui, oui , oui, tu me diras merci plus tard ! Reviens me voir après ton congé, on finalisera le projet .
Je ressortais complètement groggy, comme si je venais de participer à un match de boxe et que je m'étais pris un Uppercut dans la gueule. J'étais K.O debout !je descendais les escaliers au ralenti, c'est là qu'elle m’ attendait la belle Miala, dans un angle de la cour. Elle me fondit dans les bras. Enfin, elle me rattrapa au vol, quand je suis tombé dans les choux .
Je me réveillais dans un petit studio où je n’avais jamais mis les pieds ! En simple caleçon, j'étais enroulé dans un drap une gamine hilare me faisait face. Elle était d'une beauté éblouissante.
«Ne me dites pas que je viens de me taper une de mes étudiantes tout de même ! Elle est majeure, soit, mais tout de même ! Je décidais de prendre la parole en premier:
- Ne me dis pas Miala que ....
Elle éclata de rire et répondit espiègle :
- Ne me dites pas que ce n'était pas bien !
J'en restais bouche bée ! Ainsi, alors que je cherchais dans tous les sens mes habits, elle me montra, hilare, la machine à laver qui vrombissait dans un coin ! elle répondit entre deux éclats de rire :
- Mr Esteban, si ça peut vous rassurer vous et moi nous n'avons rien fait pour l’instant, ça n’a pas l’air possible de toute façon. Moi, ça ne me gênerait pas, mais votre coeur semble bouclé à triple tour et ce n’est pas pour moi qu’il cogne. Vous êtes le professeur que j'admire le plus dans cet établissement, je n’allais pas vous abandonner ! Je suis obligé de vous gronder cependant ! Vous vous laissez aller ! Vous vous en rendez compte tout de même ? Ça fait facilement quinze jours que vous vous baladez avec la même chemise tachée de mauvaise sauce tomate ! tout est parti à la machine à laver, enfin, pas sûr qu’elle disparaisse la tache ! Détendez-vous, je peux vous prêter un de mes peignoirs, vous savez. Sortez donc de ce lit puisque vous ne voulez pas être mon boy- friends. Ce n'est pas étonnant que vous vous soyez évanoui, j’ai juste eu le temps de vous rattraper, vous devez vous nourrir n’importe comment, j’imagine ! Quand vos vêtements seront secs, vous pourrez vous enfuir si vous avez peur que je vous croque. Mais à mon avis une fée du logis vous serait bien utile en ce moment.
- Mais pourquoi fais-tu ça Miala ?
- Dans ma tribu, quand un homme bon est en souffrance, on fait tout pour l'aider...je vois dans vos yeux Lisandro Estéban, le même regard vide de sens que j'ai vu dans celui de ma soeur Agathe quand son mari québécois s'est barré à l'autre bout du pays, avec son petit garçon. Agathe à voulue mourir...je suis sûr que vous aimeriez Agathe ! elle est douce tendre, elle a souffert. Elle est enseignante elle aussi.Vous avez besoin d’aide Mr le professeur , alors laissez-moi vous aider. Ne vous posez donc plus de questions. Ce sont les esprits qui vous ont mis sur ma route. On doit obéir aux esprits.
- Mais !
- Il n’y a pas de mais qui tienne ! Enfilez donc ce peignoir même s’il a l’air trop petit pour vous et passez donc à table !
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