Chapitre V. Retour aux sources .
Assise en tailleur au bord de la falaise, la température avoisine zéro degré. En cette nuit de pleine lune, la nature se pare de ses plus belles couleurs. J’attends patiemment calée au chaud contre le pelage de mon meilleur ami Amarok. Dans quelques heures, une nouvelle année va naître à l’horizon. Il y a bien longtemps que j’ai conscience que j’appartiens à ce microcosmos qui m’entoure. J’ai toujours été fascinée par les légendes et les contes de mes aînés. Mon cœur bat à l’unisson de cet érable accroché à flanc de montagne. Quand je pose mes mains sur son tronc vigoureux, je ressens sa sève se mêler au sang qui coule dans mes veines.
Parfois, j’ai peur de passer pour une de ces sorcières, qui pendant tant de siècles ont été chassées. Je suis une femme parmis toutes les autres, fieres de ses racines, de ses originies et fille de Gaïa notre mère à toutes. J’ai étudié toutes ses légendes, mythes et histoires de celles que l'on réduisait au bûcher, à l’état de poussière. Des quatre coins de la terre, sur chaque continent, dans chaque pierre, quel que soit l’époque où elles sont apparues, quel que soit le nom dont on les a gratifiés, j’ai le sentiment au plus profond de moi, qu’un lien nous unit. Je peux entendre ce murmure du vent qui nous vient des temps anciens Ceux sont eux les fous, les ignorants n’ont pas conscience qu’au travers des millénaires, elles puisent leur force dans la moindre particule d’air. Je me sens si proche de chacune d’elles quel que soit leurs croyances. J’ai appris que je ne serai jamais seule sur cette Terre.
Je me souviens de la douceur des mots de ma mère quand elle contait les histoires de nos ancêtres, ces récits transmis de génération en génération au travers des âges. J’étais si petite et pourtant je m’en rappelle dans les moindres détails. Du haut de mes quatre ans, je semblais si minuscule et le monde me paraissait un univers de géant. Les étoiles nous accompagnaient et m’offraient le plus beau des trésors en tissant un patchwork où chaque animal prenait vie du plus commun ou plus magique. Chacun a sa place par delà les mers, les continents et par delà les cieux. Enfant, je me blottissais au chaud dans les bras de ma mère et ouvrais en grand mes oreilles pour percevoir le moindre battement de vie sous mes pieds ou dans les airs. Je n’avais pas peur, je me sentais en sécurité dans ce monde où j’avais une place privilégiée. Quand ma mère est morte, je suis venue me réfugier en haut de la montagne, j’avais tant de questions à poser et j’attendais tout autant de réponses. Je suis restée deux nuits dans la nature à marcher, errer à la recherche de son parfum, qu’elle aurait pu laisser lors de notre dernier passage.
Ce soir, je renouvelle mon périple comme je le fais depuis vingt ans, mon père et mon grand-père ne m’en ont jamais dissuadé. L’un et l’autre ne me contraindrait à aucun moment d’aller à l’encontre de ma nature, ce rituel m’accompagne et me conforte dans mes choix. Un vent glacial venu du nord se lève d’un coup, chasse ma capuche et balaie mes mèches libérées en arrière. Mes cheveux fouettent le museau d’Amarok qui se redresse inquiet. Je l’attrape par son encolure pour le caresser. J’observe autour de nous et ne vois rien d’inquiétant. Pour le rassurer, je me lève et nous faisons quelques pas. Il se stoppe net, sort les crocs, en alerte, sur ses gardes. Il me précède, tel un rempart il se dresse pour me protéger. J’attrape ma lampe torche pour éclairer l’espace face à nous à la recherche d’une présence. Rien, personne, juste un frisson qui me traverse de part en part et un parfum que je reconnais aussitôt. Une douce chaleur m’envahit, une caresse se dépose sur ma joue.
A.R
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