Il était une fois une jolie petite poule rousse. Pourquoi rousse ? Dans toutes les histoires, elles sont rousses...Et celle-ci était très spéciale ! Elle appartenait à la basse-cour d'un artiste très, très connu chez les petits enfants et les grands, du moins les prédateurs de chocolat. Elle était heureuse, à gambader dans le jardin, la pelouse, l'allée de graviers. Elle grattait la terre, le sable, se perchait sur la margelle du très vieux, mais magnifique puits, fort bien entretenu par son propriétaire. Elle jouait avec les chats du voisinage, les chiens de la voisine, les corbeaux, merles et corneilles.

Elle aimait aussi croquer les grains de maïs, ceux de blé et les épluchures issus de la cuisine. Elle se régalait des courgettes périmées et particulièrement de leurs pépins. Je ne comprends pas pourquoi puisque c'est amer ! Elle était contente de la vie de campagne, jour après jour, fournissant de beaux œufs frais à la famille de l'artiste.

Les visiteurs s'extasiaient sur les animaux de la ferme, sur les moutons, la vache et l'âne, sur les oies, le couple de paons et les jolis canards sauvages qui squattaient sans honte la mare aux canards de la ferme, peuplée de poissons rouges recueillis pour la décoration.

La ferme menait vraiment une vie paisible dans un cadre enchanteur, digne d'une carte postale ou d'une peinture anglaise...Pourtant, cette splendide ferme est en France !!!

Un beau jour froid de décembre, le sculpteur gagna un concours organisé par une grande chocolaterie de la ville voisine. Ces artisans souhaitaient en effet créer une nouvelle mascotte pour leur chocolaterie, pour représenter leur enseigne et décorer la boutique. Plusieurs fermes du canton avaient participé à l'appel d'offre ! Ah ! Et tous devaient envoyer les plus belles photos de leurs poules, canards et oies. Son maître avait gagné la catégorie poule ! Et c'était notre petite poule rousse qui avait remporté les suffrages du jury de vieillards grincheux et de petits garnements bien décidés à révolutionner la ville ! Un exploit : sa photo avait été scrutée, sa personnalité devinée et tout cela parmi une centaine de poules !

À présent, le jury souhaitait la contempler, en vrai, cette petite merveille de la nature. Et ça, c'était beaucoup plus difficile ! Elle détestait être attrapée et prise dans les bras ! Déjà, quand le vétérinaire venait les soigner, il l'attrapait et lui regardait sous les ailes, alors être tripotée par des gens inconnus qui, certes l'avaient trouvée mignonne, ce n'était pas du tout sa tasse de thé !

Le sculpteur lui proposa des graines. Méfiante, elle ne s'approcha pas : elle avait vu la cage de transport qui servait pour le marché plusieurs fois dans l'année et les copines qui y entraient ne revenaient jamais...Elle n'avait pas envie de finir, on ne sait où !

Le coq la houspilla parce qu'elle refusait de s'approcher du maître ! Les autres poules lui firent alors la morale :

- Rends-toi compte : tu vas devenir célèbre ! Ta photo sera dans la boutique ! On viendra de loin te voir à la Ferme...Nous aurons de meilleures auges à grains, bien mieux garnies !

- On aura d'autres petites copines, tachetées, grises ou autres...on aura des lapins pour jouer !

- Mais je ne veux pas entrer dans la cage ! Je ne reviendrai pas !

- On viendra nous regarder…

- Oui ! Sous les ailes ! C'est leur grand plaisir !

- Mais non…

- De toute façon, c'est non ! Je ne monterai pas dans la cage !

- Monte dans sa voiture, alors ! Regarde Nonosse, il monte sans peur à côté du patron ! Il ne dit rien. Il ne fait pas d'histoires !

- Il adore la promenade en auto !

- Bon…Faut voir.

Le chat roux tigré de la famille passa à ce moment précis et les regarda.

- Mais ce chat ! Quel poison ! remarqua la plus vieille des poules. Il nous reluque !

-Mianon ! J'écoute les poules et leurs arguments. Je crois que la petite poule rousse ne comprend pas l'enjeu économique de la ferme. La patronne tient les comptes de la maison. Ils ont besoin de cette commande de la chocolaterie : sinon, on sera tous vendus...et ils iront vivre à la ville.

- Ah bon ?

- Oui ! Ils ne vendent pas les jolies œuvres du patron. Qui est intéressé par une lessiveuse bosselée ? Je me frotte contre lui et il a eu l'idée de me prendre en photo, en train de dormir et il a fait une superbe sculpture.

- Et alors ?

- Il a réussi à vendre ma statue à une dame, au marché…

- Quel est le rapport avec moi ?

- Ben, la poule, t'es pas douée ! Ils veulent ta photo pour mettre sur leurs produits aux chocolats. Le patron touchera une petite somme sur chaque produit vendu…

- Ils veulent pas me manger, alors ?

- Nnon, enfin, je ne crois pas ! C'est que pour faire une photo, dans un beau coin. Un studio, ça s'appelle.

- Bon, alors, pour une photo, je veux bien...

Alors, la poule s'est approchée de la cage et sous le regard éberlué du sculpteur, est entrée dedans, a fait gonfler ses plumes et a pris ses aises…Direction, la chocolaterie.