Pour l'amour d'Eurydice...
de Baptiste Jacquemort
Orphée ne s’était jamais pardonné. Il avait commencé à boire, sitôt après le drame, et l’ivresse était devenue sa nouvelle compagne. Il ne l’aimait pas. Mais il lui était fidèle. Car il attendait d’elle ce que les Dieux lui refusaient désormais…
Orphée : Infirmière !
L’infirmière (depuis le couloir) : Je suis à vous dans cinq minutes…
Orphée (pour lui-même) : Prenez votre temps. Une éternité de plus ou de moins, quelle différence ?
Quelques instants plus tard. Entre l’infirmière.
L’infirmière : Me voilà ! Vous voyez, ça n’a même pas pris cinq minutes. Tout va bien ?
Orphée : Tout va un peu trop bien, oui. Et c’est là le problème…
L’infirmière : Encore vos idées bizarres…
Orphée : Pourquoi bizarre ? Et puis vous savez bien que ce ne sont pas des idées. C’est UNE idée. Une idée fixe…
L’infirmière : En tout cas, je vous admire. Je n’en ai pas connu beaucoup des comme vous. Je n’en ai pas connu du tout d’ailleurs. Les veufs sont nettement plus rares que les veuves de nos jours. Et les veufs inconsolables encore plus rares…
Orphée : Si vous aviez connu Eurydice, vous comprendriez.
L’infirmière : Je veux bien vous croire. Et j’avoue que, d’une certaine manière, je l’envie un peu…
Orphée : Le docteur va-t-il passer ce matin ?
L’infirmière : Il est dans le service. Et je gage qu’il ne devrait pas tarder à venir vous voir. Je lui ai dit que vous souhaitiez lui parler.
Orphée : Je vous remercie. Vous êtes gentille. Vous avez annulé la commande de mon repas de midi ?
L’infirmière : Je n’ai rien annulé du tout. Il faut que vous mangiez, vous le savez bien. Et puis je n’aime pas vous voir souffrir.
Orphée : Vous ne voulez pas comprendre. Je ne souffre pas. Je refais le chemin en sens inverse. Avec exaltation. Et la douleur est la voie que j’ai décidé de suivre. Un sentier dérobé. Un pont sur les fleuves infranchissables. Un chant miraculeux pour plonger dans la stupeur la plus incapacitante les gardiens inflexibles. Une ode miraculeuse pour émouvoir, une seconde fois, le cœur d’Hadès et Perséphone…
L’infirmière : A ce train-là, c’est-à-dire sans rien manger et en continuant à boire autre chose que de l’eau – comme vous le faites en catimini mais pas assez discrètement pour que nous l’ignorions – vous êtes bien mal parti. Oh ! Je ne vous dis pas que vous n’arriverez pas à y redescendre, ça non. Vous êtes en bonne voie ! Mais une chose est sûre : vous aurez beau parvenir au bout du chemin et, une fois en bas, convaincre les tôliers de vous donner une seconde chance, vous serez tellement exsangue alors que vous n’aurez plus assez de force à l’heure de remonter.
Orphée : Je n’ai pas le choix. C’est la seule catabase qu’il m’est possible d’entreprendre désormais. Et j’entends ne pas laisser passer cette chance sans faire tout ce qu’il m’incombe de faire pour chercher à la saisir. Je le lui dois…
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Pour l'amour d'Eurydice... | Chapitre | 4 messages | 9 mois |
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