Le lendemain matin, le groupe est réveillé par les premières lueurs du soleil. C'est étrange, car Norgul a décrété laveille, qu’ils partiraient avant l’aube. Carseb est le premier à émerger, et il ne tarde pas à tirer du sommeil tous ses compagnons. Norgul n’est plus là.

 "Où est ce misérable nain ? Demande Thanis se levant de sa paillasse.

 - Je ne sais pas, il s’est couché hier avec nous et puis je me suis endormi dit Vrael qui l’a pourtant surveillé. Il est peut-être parti faire pipi, propose-elle innocemment.

 - Parti pisser avec tout l'or que nous avions visiblement, dit Fitz, énervé, en fouillant son paquetage. Cet escroc nous a abandonné et volé.

 - QUOI ? vocifère Thanis. Il nous a… ?

 - Vérifiez votre matériel coupe Carseb. Il ne me manque rien. Ce chien a dû se faire la malle entre une et cinq heure du matin pendant son tour de garde.

 Chacun vérifie ses afffaires. Vrael se rend compte que son bouclier manque à l’appel, elle est folle de rage et maudit Norgul à son tour. Seul la pièce d'armure finement ouvragée et l’or de La Guilde ont disparus.

 - Gardons la tête froide. Nous devons redescendre dans la vallée, c'est dangereux de continuer et de progresser à l’aveuglette, dit Fitz en se grattant le menton. Si nous mourons bêtement, jamais nous ne pourrons élucider le mystère du point rouge...

 - Et en faisant vite, nous pourrons peut être rattraper ce petit escroc, fulmine Thanis, le regard noir.

 - Mais sans carte et sans boussole, nous ne retrouverons jamais notre chemin Fitz, informe Markal. Nous allons devoir pister nos propres traces pour redescendre.

 - C'est juste. Carseb, tu es le meilleur pisteur d'entre nous, nous devons retrouver ce nain, ou au moins, le chemin de la vallée.

 Le demi-elfe termine de chausser ses bottes et se met aussitôt à rechercher la trace du nain.

 - En route ! hurle Thanis, nous devons le rattraper, reprendre notre bien et lui couper les couilles ! Carseb je compte sur toi pour ne pas nous perdre ! commande-t-il en tapotant l'épaule du demi-elfe

 Le groupe d’aventuriers se met hâtivement en route, motivé par la verve de Thanis qui ne cesse de vomir des horreurs sur Norgul. Curieusement, Fitz ou Vrael ne trouvent rien à redire pour une fois. Carseb, en tête, piste les traces encore fraîches de Norgul. Il estime que le nain a seulement deux à trois heures d’avance sur eux. Le groupe progresse vite, Markal ferme la marche en gardant un œil attentif sur le chemin derrière eux pour ne pas se faire surprendre par quelques bêtes sauvages. Au bout de quatre heures de course effrénée, Carseb demande une pause. C’est, en effet, le seul à ne pas avoir fait d’arrêt depuis le départ. Le reste du groupe peut se reposer quand il cherche les traces. Lui est toujours, soit en train de courir, soit en train de ramper dans la boue. Le groupe fait donc une courte pause, en profite pour grignoter un bout et permettre à Carseb de souffler.

 Il est soucieux, car malgré leur rythme soutenu, ils ne gagnent que peu de terrain sur lui. Il estime que le guide n’a maintenant plus qu’une bonne heure d’avance sur eux. Il est rapide, a l’habitude du terrain, ça se voit. Il sera difficile à rattraper et à surprendre. Les aventuriers ont tout de même l’avantage de la surprise. Norgul ne doit pas se douter qu’ils sont sur ses talons, si proche. Le groupe se remet en route après dix minutes de repos.

 Au bout de deux autres heures de course, Carseb s’arrête et invite ses amis à faire de même. D’une voix basse, il dit :

 - Vous sentez cette odeur ?

 - Bof, on transpire dans cette robe ça sent le bouc pourquoi ? remarque Thanis.

 - Le troll. Ça sent le troll. Mon odorat ne m’a jamais trompé. Restez sur vos gardes et silence, ces bêtes sont sournoises, je n’ai pas envie qu'elles nous tombent dessus.

 Lorsque Carseb dit celà, comme pour lui donner raison, un cri guttural retentit, suivit d’un autre hurlement, de terreur cette fois-ci, plus aigu.

 - Quelqu’un est en danger, allons-y, vite ! ordonne Fitz

 - Wooow du calme monsieur le justicier, temporise Thanis à voix basse. Je n’ai aucune envie de me lancer dans la gueule du loup juste parce qu'on a entendu un cri. On ne sait pas ce que c’est, qui c’est ou même ce qu’il se passe. Allons voir mais avec prudence... Je reste derrière !!

 - Continuez de chuchoter dit Carseb, faisons-nous discrets et attention à où vous mettez les pieds.

 Le groupe se dirige alors vers la source du cri, rapidement mais discrètement. Ils arrivent aux abords d’une grotte, proche du chemin sur lequel ils avancent. Devant cette grotte, il y a un petit espace rocheux qui se termine par une falaise. Le terrain est verglacé et enneigé. Sur cette corniche est présent un troll, Carseb ne s’était pas trompé. Il est en train d’acculer un nain que les aventuriers reconnaissent immédiatement. C’est Norgul. Il est coincé, d’un côté, par le monstre qui lui fait face, de l’autre, par le vide. Il est au bout de la plateforme rocheuse sur un bloc de glace façonné par le vent et le froid. Thanis exulte :

 - Le voilà fait comme un rat ce vaurien !

 - Il faut l’aider, déclare Fitz en dégainant son marteau à deux mains. Personne ne mérite de mourir sous les coups d’une telle créature. En plus, nous devons récupérer l'argent que Norgul nous a volé, je ne veux pas le voir perdu dans ce précipice...Que Saint Cutberth me donne la force de terrasser ses ennemis.

Il entre aussitôt dans une courte méditation, fermant les yeux, murmurant des prières. Lorsqu’il rouvre les yeux, ils brillent d’une folie meurtrière.

 - Markal, Vrael, avec moi. Carseb, couvre nous avec tes flèches, Thanis...aide nous comme tu peux.

 - Très bien, alors laisse-moi une seconde avant de charger comme une brute, commande Thanis. Ces créatures craignent le feu si j’en crois mes vieux souvenirs de l’académie.

 Il sort de son sac une petite touffe de poils roux. Il l’écrase entre ses doigts, incante une formule magique et une sphère jaillit de ses mains tendues. Les poils, qui s’étaient transformés au cours de leur course en boule de feu, percutent de plein fouet la bête qui hurle de douleur mais tient bon. Elle est secouée par la déflagration mais ne paraît pas handicapée outre mesure. Elle se détourne de Norgul, toujours coincé par le vide.

 Après à l’explosion, Fitz entre dans une folie meurtrière et se rue au combat. Il est suivi de près par Markal, hurlant, qui avait dégainé une hache dans chacune de ses mains. Vrael, sans son bouclier suit ses deux compagnons mal assurée, brandissant son épée. Pendant la course d’une dizaine de mètres qui les séparent du troll, elle entend siffler une flèche lui raser l'oreille. Elle vient se ficher, accompagnée d’un bruit flasque, dans le ventre de la bête. Le combat est inégal pour la créature assaillie de tous côtés et déboussolée par l’explosion de feu.

 Même seul, un troll reste un adversaire redoutable. Vrael a entendu nombre d'histoires à leurs propos... Ils sont encore plus impressionnant qu’on ne les décrit. C’est un monstre bipède, une fois et demie plus grande qu’un être humain, mais très mince. Ses jambes sont longues et disgracieuses, ses bras se terminent par cinq immenses griffes acérées. Sa peau est flasque et une masse informe et frétillante lui fait office de cheveux. Vrael n’a même pas besoin de se concentrer pour détecter son aura, tant elle est forte : cette créature irradie de mal. Elle est méchante et cruelle, c’est un monstre.

 Fitz engage le combat en entrant le premier au contact du troll. Il vise le ventre de son adversaire, trop petit pour atteindre son visage. La créature esquive aisément le coup, d’un pas de côté, faisant preuve d’une agilité déconcertante. Le marteau de Fitz fini sa course dans la neige, entrainé par son propre poids. Profitant de l’ouverture dans la garde de son adversaire, Markal frappe avec sa hache le bras de la créature. L'attaque fait mouche et une main griffue tombe à terre dans un jet de sang noir. Le guerrier éructe de joie et frappe de plus belle, mais son coup est arrêté par la bête, plus rapide. Un uppercut, de la main griffue encore valide, vient le cueillir à l'épaule gauche. Les griffes transpercent Markal en ressortant par son omoplate. Il s’écroule dans un râle. Fitz reprend son lourd marteau en main. Il crie à Vrael d'occuper le monstre et fonce sur son compagnon à terre.

 La jeune fille ne voit pas la suite de l’action, trop concentrée sur le monstre qui lui fait maintenant face. Elle brandit son épée, préférant garder l’avantage de l’attaque pour distraire la créature, comme lui a demandé Fitz. S’en suit un combat âprement disputé entre la jeune fille et le troll. Elle ne tiendra pas longtemps face à un tel adversaire.

 Mais elle n'a pas peur. C’est là, sa volonté, se dresser contre le mal et aider les gens. Elle s’emploie donc du mieux qu’elle peut à combattre le monstre. Fitz quant à lui, a déjà retourné Markal sur le dos. Il agonise dans une mare de sang. Le prêtre touche la blessure béante et dans un éclair de lumière jaillissant de ses deux mains, l'entaille se referme rapidement. Fitz se relève, fébril, suivi par Markal, un peu sonné par cette guérison accélerée.

 Vrael est en mauvaise posture face au monstre, parant ses coups comme elle peut. Son corps est déjà couvert d'estafilades et autres égratinures causées par les griffes de la bête. Ce ne sont que des blessures bégnines, dûes à son manque de pratique à l’épée seule. Elle ne s’autorise pas à contre attaquer, peu habituée à se défendre sans bouclier. Elle pare donc seulement les coups.

 La situation devient vraiment critique pour Vrael qui a de plus en plus de mal à se défendre. Dans un coup d’une rare brutalité, le monstre est mis à genoux. Fitz vient d’asséner un coup d’une puissance tel que le monstre est soumis. Ni une ni deux, Vrael plante son épée dans le coeur de son adversaire, vite rejointe par les deux haches de Markal qui décapitent la créature. Elle gît maintenant à leurs pieds, une main en moins, éventrée, criblée de flèches, la tête tranchée.

 Fitz, blanc comme un linge se laisse tomber, sourrire aux lèvres. Vrale et Markal se précipitent à son chevet.

 - Tu es blessé ?? demande-elle, angoissée.

 - Non, rien de grave...répond-il. J'ai juste dépensé un peu trop de mon énergie pour guérir Markal et porter ce coup...Mais tout va bien, laissez moi simplement quelques instants...

Le guerrier sourit.

 - Et quelle attaque... Il ne s'en relèvera pas si tu veux mon avis !

 - J'espère pas... Je déteste ces monstres, il aurait fallut me tuer pour m'empêcher de le cogner...

 Le combat a duré une bonne minute, tout au plus à partir du moment où Fitz a chargé la créature. Thanis et Carseb rejoignent les trois combattants pour s’assurer qu’ils vont bien. Tout le monde étant en bonne santé. Fitz se relèvent et tous se tournent vers Norgul, penaud, qui n'a pas bougé de sa corniche gelée.

 - Misérable, tu nous voles et nous devons ensuite te sauver la peau? Nous devrions te couper les mains pour ton acte ! S’indigne Markal.

 - Allons, allons... mes amis ! Vous n’allez pas tuer un pauvre bougre qui peine à joindre les deux bouts...Essaye de se défendre Norgul.

 - Reprenons ce qui nous appartient et tuons le, dit froidement Thanis. Ce sera un escroc de moins sur cette terre.

 - Non, répond Fitz catégorique. Cet homme a fauté mais, il n’est pas un monstre pour autant. Prendre sa vie n’est pas une nécessité. Saint Cutberth ne l’accepterait pas. Mais nous ne pouvons plus lui faire confiance. Nous allons donc lui prendre sa carte et sa boussole pour continuer cette expédition par nos propres moyens.

 - Me prendre ma bou… ! S’étouffe Norgul. Vous n’y pensez pas ! Ce sont mes biens les plus précieux ! Je ne peux pas mener de groupes dans les montagnes sans elles !

 - Il fallait y penser avant, rétorque Vrael. Je suis d’accord avec Fitz, tuer un homme sans défense n’a jamais été dans mes habitudes. Par contre nous pouvons le dépouiller de son matériel cela lui servira de leçon... Il retrouvera le chemin de sa maison comme un grand.

 Les aventuriers font toujours face à Norgul qui n’a pas encore osé bouger de son promontoire, surplombant le vide. Celui-ci, résigné, dégage une épaule de son sac. Emporté par son poids inhabituel, très alourdi par le bouclier, il fait choir son bagage, brutalement.

 Il n'en faut pas plus pour fissurer la glace sur laquelle se tient le guide. Les aventuriers entendent un craquement sinistre et voient une crevasse se former, à la limite avec la plateforme rocheuse.

 La surprise et l’horreur déforment les traits du nain quand celui-ci se rend compte de ce qui est en train de se passer.

 Poussée par elle ne sait quoi, Vrael est la première à réagir.

 Sans penser aux conséquences de son acte, elle fonce vers Norgul. Elle veut l’extirper de là avant que le bloc ne s’effondre.

 Sa réaction est fulgurante, sa course rapide. Elle réussit à rattraper le bras du nain alors que celui-ci commence sa chute.

 La roche gelée fait glisser la jeune fille, le guide est suspendu à son bras. Rapidement, elle comprend qu’elle ne pourra pas s'en sortir. Du moins pas tous les deux. Ses amis sont encore trop loin pour espérer l’aider et le verglas, en plus du poids du nain, les entraîne inexorablement vers la chute. Poussée par sa foi en Pelor, Vrael prend sa décision. Elle arrête de s’épuiser à agripper la corniche pour canaliser toute sa force dans un geste désespéré.

 Dans un râle, elle tire de toutes ses forces pour jeter le nain sur la terre ferme, tandis que, par réaction, elle se retrouve propulsée dans le vide. Avant d’entamer sa chute, Vrael jette un regard en arrière vers le guide. Lui qui l'a trahie et à qui elle vient de sauver la vie. Elle a aussi le temps de voir le visage horrifié de ses compagnons impuissants à une dizaine de mètres de là.

 Puis vient la chute.

 Inexorable.

 Elle sent tout son corps, pesant, l’attirer vers une mort certaine.

 Et soudain, une douleur.

 Pas celle de l’impact, Vrael se sent toujours chuter. Un déchirement foudroyant dans son dos. Elle ne saurait le localiser précisemment, tant il est vif et diffus.

 Aussi soudainement qu’elle est arrivée, la douleur s’éteint.

 Elle est remplacée par une curieuse sensation, comme si un membre lui avait poussé dans le dos.

 Aussi naturellement que de saisir un objet avec ses doigts, Vrael commence à battre des ailes et stoppe progressivement sa chute.

 Elle remonte jusqu’à la corniche et termine son vol, face à ses compagnons effarés.

 Norgul pousse un cri d’effroi et s’enfuit, abandonnant tout le matériel sans demander son reste.