La fée et la nymphe.

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Décor simple, mais doux d'une forêt verdoyante, le soleil perçant à travers les ténèbres : voilà un paysage idyllique dans un monde pourtant anéanti et pollué de toute part. Une nature quasiment éteinte, malgré une dernière forteresse d'eau et de bois, qui résiste encore et toujours au chaos de l'apocalypse. En son centre, un étang pur où se reflète le ciel d'azur d'un été torride. Une scène parfaite pour ses deux actrices. Dans les feuillages, une fée timide observe la mare cristalline. Se baignant avec allégresse, une nymphe espiègle la dévisage. Toutes deux se regardent en miroir. L'une dans les airs, l'autre dans les profondeurs.

La fée a chaud, un soleil de plomb écrase ses frêles épaules. L’étang semble l'appeler. Non, dans l'eau, on se noie ! L'ombre sylvestre a toujours protégé son être, on y est bien mieux.

La nymphe boude. Elle se sent seule dans cette frêle mer où personne ne vient jamais la voir.

Pourquoi ne pas me rejoindre ? Il est si agréable de nager.

Pourquoi ne pas quitter ton refuge ? On est bien, à l'air libre.

L'eau, c'est la vie. Dehors, on meurt. Il y a tant d'animaux sauvages pour vous dévorer.

L'eau, c'est la mort. Nombre des miens n'en sont jamais ressortis.

Prudente, mais curieuse, la fée s'approche d'un battement d'ailes. Elle garde ses distances et de ses pieds nus, préfère fouler l'herbe que la surface de verre.

La nymphe rit, et attend. La chaleur de l'été finira bien par la faire craquer.

La gardienne de la forêt attire tout de même nombre de ses protégés. Renard, loup, écureuil et tant d'autres.

La nymphe perd de sa superbe. Elle craint ces bêtes. Jamais elle ne quitte son bassin de peur de les côtoyer. Sa solitude lui pèse pourtant. Elle voudrait tant une amie avec qui partager son refuge.

La fée tremble, n'ose pas s'approcher. Elle aimerait sortir la nymphe de sa prison liquide. La nature les appelle, l'une et l'autre. Pourquoi craindre de fouler la terre ferme ? Elle n'en mourra pas. Et puis, l'être ailé voudrait bien, elle aussi, se lier d'amitié.

La nymphe ne renoncera pas. Nul terrain ne sera cédé dans cette négociation muette. La fée fuyait l'eau ? C'est l'eau qui viendrait à elle. La nymphe l'arrose gaiement, jouant telle une enfant avec l'être sylvain.

La fée recule, effrayée par cette petite farce.

La nymphe persévère. Elle se met à chanter. Sa voix mélodieuse se propage dans l'océan de feuilles. Cohorte d'animaux regroupés, l'auditoire est sublimé.

Les pupilles dilatées et le regard vide, la fée est complètement hypnotisée. Elle s'avance, lentement, à petits pas vers l'étang. L'eau ne l’effraie plus, elle n'en a plus conscience.

♫♪ Viens à moi, viens me voir. ♪♫

Méthode de séduction discutable, mais la nymphe s'en fiche. Sa vie fade et triste, elle ne la supporte plus.

♫♪ Rejoints-moi, aime-moi. ♪♫

Ode gracieuse à une fée. Chant d'amour pour celle qui, peut-être, sera la clé de sa délivrance.

♫♪Reste avec moi, brise ma solitude, que je plus jamais je ne connaisse le silence. ♪♫

La fée s'avance encore, puis, sur le sol trempé, elle glisse et tombe dans le bassin. Incapable de nager, elle commence à couler.

Angoissée, la nymphe l'enlace, la disputant aux abîmes. Elle doit la ramener sur la terre ferme, et donc sortir de son nid aqueux. Sa pire crainte ! Rien que d'y penser, ses membres tremblent ; elle se fige.

L'assemblée de fourrure, de queue, de croc, et de bois, est toujours présente. Si elle sort, elle sera dévorée, elle en est persuadée. Mais si elle reste, qu'adviendra-t-il de la fée ? Sa chance d'avoir enfin quelqu'un à ses côtés doit-elle s'envoler ? Non, il le faut. Elle doit braver son cauchemare. La nymphe extirpe le corps ailé avec force de l'étang. La peur la paralyse un moment. La cohorte animale ne bouge pas. Serait-elle en sécurité ?

La fée ne respire plus, il y a urgence.

Tant pis si elle se fait attaquer. Une vie à deux vaut bien un tel risque, contre une solitude jusqu'au trépas. Elle inspire profondément, puis insuffle de l'air dans le corps de la noyée. Rien ne se passe. Elle insiste, encore et encore. Elle ne doit pas la perdre. Si seulement elle avait eu le courage de s'aventurer hors de l'eau. Une dernière tentative...

La fée recrache le contenu de ses poumons, et lui envoie la sauce en pleine figure. Peu importe, elle est en vie.

Pour la nymphe c'est tout ce qui compte. Autour d'elle, les animaux simples spectateurs de la scène s'en vont. Finalement, elle s'était bien trompée.

L'eau c'est la vie, mais pas un lieu pour vivre.

Dans l'eau, on se noie.

La fée, rien ne lui a échappé, elle se souvient de tout. Elle fixe la nymphe avec amusement.

Reste avec moi ! Brise ma solitude ! Que plus jamais le silence ne m'oppresse.

Ses paroles, l'être aqueux n'en revient pas. Alors, elle se sentait seule également ?

Deux entités séparées par un voile. Deux faces d'une même pièce, deux reflets dans un miroir, se répondant à cœur ouvert.

Qu'on est bien à l'air libre.

Oui.

Si je quitte le bassin, qui veillera sur lui ? Le protégera ? Dernière source d'eau pure, dans un monde ravagé et nécrosé. Liquide de vitalité, protégé par dernier bastion sylvestre d'une nature saine.

Nous, en restant à proximité. Même sans y vivre, nous pouvons y boire, nous y baigner, et la garder.

Derniers êtres magiques, dernières gardiennes de la nature. Dernières des leurs. Elles vivront et s'éteindront avec l'ultime forêt du monde. Pour combien de temps ? Aucune ne le sait, mais la fin des temps, elles l'affronteront ensemble, main dans la main.

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