Chapitre 18
Par Julien Neuville: https://www.atelierdesauteurs.com/author/559679119/julien-neuville
*
- Alors, ces témoins ?
Pedro Garcia attendait Charlotte dans le couloir, lorsqu'elle sortit de son interrogatoire avec Nicolas Bianchi.
- J'ai eu confirmation que Bianchi a demandé à la femme de ménage de cacher le dossier, mais il prétend ignorer ce qu'il contenait. Il veut nous orienter vers la piste de la carte de visite. Je trouve ça étrange.
- Je suis d'accord. Il n'était certainement pas sans ignorer les activités nocturnes de son patron, et le scandale qui vient d'éclater ne va pas dans le sens de l'entreprise. Il te conseille de fouiller dans la fange alors que la boîte qu'il va diriger est éclaboussée par le tas de merde.
La jeune lieutenante leva les sourcils, peu habituée à la vulgarité de son supérieur.
- Tout va bien, Boss ?
- Autant que possible. Excuse mon langage, mais ce genre d'affaire me débecte. Un type qui utilise son pognon pour se payer des filles comme s'il s'achetait un bifteck, moi ça m'inspire rien d'autre. Personne ne mérite ce qui lui est arrivé, mais je vais pas prendre de pincettes pour ce genre de mec.
- Écoutez, j'avais prévu d'interroger la veuve et le fils de Joseph Marhic, mais j'ai le sentiment que la piste la plus chaude est en direction de la rue de Carnot. Je pense aller y faire un tour en début d'après-midi.
- OK. Je te fais confiance, Charlotte, mais n'oublie pas à qui on a affaire. Pour les Marhic, tu sais que je peux pas les garder ad vitam aeternam. Ils sont pas en garde à vue, vu qu'on n'a aucune charge et s'ils connaissent un tant soit peu le droit ou s'ils appelent un avocat, ils peuvent se barrer quand ils veulent.
- Je crois qu'ils bougeront pas. La veuve Marhic n'a pas l'air dévastée, mais je pense qu'elle est secouée quand même, et le fils est en train de réaliser...
- Hmm ça me donne une idée. Je vais convoquer Sylvie, qu'elle vienne leur tenir la main.
Sylvie Caron était la responsable de la cellule psychologique du Bastion, chargée d'accompagner les victimes ayant vécu des évènements traumatisants.
- C'est bien vu, Boss. Non seulement elle pourra les aider à traverser cette épreuve, mais en plus le temps qu'elle arrive et s'occupe d'eux, ça leur évitera de jouer les filles de l'air. Si je vous connaissais pas, je vous aurais trouvé machiavélique.
- Tu vivrais avec ma femme, tu aurais toi aussi développé ce genre de capacités à trouver des solutions diplomatiques, je te le garantis.
Charlotte ricana, avant d'ajouter :
- C'est pas pour rien que je vis seule, Boss. Pas de comptes à rendre, pas de diplomatie, la liberté de choisir, que demander de plus ? Ah oui, peut-être un coup de main pour les tâches ménagères...ah mais non, je suis con, c'est pas le rôle d'un mec ça.
- Charlotte, tu deviendrais chienne de garde ?
La jeune femme perdit son sourire en soupirant.
- Non, je plaisantais. Des fois, il manque juste un petit quelque chose, vous savez ? Une présence comme on dit. Je sais pas, quelqu'un qui vous fait sentir qu'il va se passer des choses après, que demain sera pas comme hier...
Pedro hocha la tête et n'ajouta rien. Ce n'était pas nécessaire.
*
Profondément installé dans un large fauteuil en cuir qui le portait comme une couronne ostentatoire sur son coussin, Georgie Ferrara dégustait un single malt Ardnamurchan dans un large verre aux reflets incertains. Les yeux masqués par une paire de lunettes fumées bleues, il observait Charlotte Evra avec un mélange de dédain et d'appétit.
- Ainsi mademoiselle, vous venez ici, pleine de certitudes et avec l'attitude revêche qu'ont les gens de votre espèce, pour que je vous ouvre les portes de mon établissement, les dossiers de sa trésorerie, et pourquoi pas le vestiaire de mes filles tant qu'on y est ?
- Ne prenez pas ce ton avec moi monsieur Ferrera. Nous savons, vous et moi, que votre établissement, sous couvert d'un club privé de strip-tease, est le centre névralgique de la prostitution parisienne.
Georgie Ferrera eut un sourire en coin, et prit une autre gorgée du breuvage ambré en levant légèrement la tête.
- Vous me flattez, Evra. Je ne suis qu'un modeste entrepreneur qui s'est fait tout seul, et mes activités sont tout à fait légales. Je paie, et grassement, des danseuses professionnelles qui font la beauté de mon établissement. Ce qu'elles font en dehors de cette maison ne me regarde pas. Si je devais vous faire une comparaison, rendez-vous des comptes à votre supérieur Pedro Garcia lorsque vous sucez votre mari dans l'intimité de votre chambre, mademoiselle ?
Charlotte serra les machoires et offrit à Ferrera un sourire forcé. Le fait que le patron du Lust Lagoon connaisse le nom de son supérieur et en fasse usage témoignait de l'influence qu'il avait sur les hautes sphères, sans que cela ne l'impressionne pour autant.
- Écoutez, nous pouvons jouer à ça jusqu'à la fin de la journée, sans que personne ne remporte la partie. C'était amusant, mais j'ai un meurtre à élucider et pour cela, j'ai besoin que vous me donniez l'adresse de Gladys.
- En quoi Gladys vous intéresse-t-elle ?
- Vous savez très bien que je ne peux pas vous donner d'éléments sur une enquête en cours. Sachez simplement que des indices factuels mènent à votre club, et particulièrement à cette Gladys, dont on ignore le nom par ailleurs. Et j'ai également à ma disposition un dossier qui pourrait intéresser la section financière de la police judiciaire.
- Je ne vois pas en quoi la...
- Je vous parle de Joseph Marhic, monsieur Ferrera. Quelqu'un a assassiné - et laissez-moi simplement vous dire que le mode opératoire était pour le moins répugnant - le PDG de la plus grosse boîte pharmaceutique française, dont j'ai dans l'idée que l'expert comptable ne vous est pas inconnu. À moins que je ne me trompe ?
Georgie posa son verre sur le bureau et se pencha en avant pour en ouvrir le premier tiroir. Après avoir sorti un carnet à spirales relié en cuir, il en feuilleta quelques pages avant d'arracher celle sur laquelle il venait de tomber, qu'il tendit à Charlotte.
- C'est étrange, mais ce prénom ne me dit rien. Si Gladys faisait partie de mes filles, son nom serait dans ce carnet, or je ne vois aucune page la mentionnant..., dit-il en regardant Charlotte dans les yeux.
Cette dernière glissa la feuille dans sa poche en hochant la tête.
- Je ne doute pas un instant de votre bonne volonté monsieur Ferrera. Quel dommage en effet que vous n'ayez pas de renseignements sur elle. Je vais devoir vous laisser, il semble qu'une piste vienne de se dégager, répondit Charlotte en se levant et en tapotant sa poche.
Ferrera hocha la tête et reprit son verre.
La jeune femme sortit dans l'air moite du début d'après-midi, et se dirigea vers sa voiture. Une fois installée, elle sortit la feuille et l'étudia. C'était une fiche de renseignements manuscrite, avec le nom et le prénom d'une jeune étudiante en faculté de psychologie, qui habitait dans le 10ème arrondissement. Charlotte enclencha la sirène et démarra en trombe vers l'appartement de Sonia Vitali, surnommée Gladys.
Seule chez toi, seule en intervention...t'es sûre de toi, Charlotte ?
- Ta gueule parlotte. Tu sais très bien pourquoi je préfère rester seule.
La capitale défilait par les vitres de sa voiture, monstre de béton et de métal dans lequel elle se débattait pour survivre, projetant les lumières bleues et rouges sur les façades sales et odorantes.
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