Chapitre 2 : Volont-air (1)

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Quand mon réveil sonne, j’ai un mal fou à me lever. Putain de sale nuit. Quel cauchemar bizarre ! Évidemment, cela influence mon humeur toute la journée : j’ai à peine salué ma mère le matin, j’ai employé un ton un peu insolent avec les professeurs, heureusement pour donner de bonnes réponses, alors ils ont laissé couler. À midi, je ne mange pas grand-chose. Je ne sais pas si c’est la fatigue qui coupe mon appétit ou mon rêve étrange. D’où sort ce Kaï dans ma tête ? J’ai dû m’endormir avant de pouvoir monter vraiment sur le toit. Ou bien j’y suis allée et j’ai oublié comment j’étais descendue de là, avant de rêver que je m’y trouvais toujours. Je ne vois que ça comme explication logique à la conversation de fou d’hier. Peut-être que ce rêve est l’expression d’une envie enfouie de me découvrir des origines inconnues ou de fuir mon quotidien en lui donnant un côté magique et aventureux ? Je ne sais pas à partir de qui j’ai pu reproduire le personnage de Kaï, mais mon cerveau a plutôt bon goût. Sauf vestimentaire. La preuve que c’était un rêve, jamais, jamais on n’associerait ce genre d’habits ensemble !

En fin de journée, je respire un grand coup avant de sortir de l’enceinte. Je sais qu’une fois éloignée du bâtiment et des autres élèves, je serai attendue. Encore. Ils ont l’air de trouver ça comique de m’obliger à détaler comme une lapine jusque chez moi. Je guette le signal. Les cachettes possibles sue le trottoir étroit. Je voudrais tellement emprunter un autre chemin, mais la passerelle est le moyen le plus sûr pour rejoindre l’autre rive de la petite ville. Le pont est sans bordure, uniquement taillé pour le flux incessant de voitures. Il n’y a pas moyen d’échapper à ce sort. Tout à coup, je perçois le grincement de leurs vélos.

-Eh ! T’as un truc pour nous, aujourd’hui ! Hein, Léo !

Je cavale, comme toujours. Mais cette fois, je me sens bien faible. La pression augmente autour de mes poumons, ça serre dans ma gorge et pique sous mes côtes. Non ! Merde ! Tout ce stress et cette fatigue ne m’ont franchement pas aidée ! J’entends leurs railleries plus fort qu’avant, au lieu de les effacer avec ma vitesse de course. Je la perds… Doucement, je me sens faillir et défaillir, comme un cycle infernal, j’ai la respiration qui siffle, les jambes qui flageolent, la vue qui devient un peu floue. Je ne peux plus dire un mot tant je dois essayer de reprendre mon souffle toutes les fractions de seconde ; désespérément, mes poumons aspirent ce qu’ils peuvent d’oxygène. Je finis par m’appuyer contre la rambarde métallique, focalisée sur ma détresse vitale. Je perds l’équilibre, à genoux, prise par un violent coup de mou. Ma main tremblante sort de ma poche mon puff, le peu d’énergie qu’il me reste était pour ce mouvement et il est gâché par un pied qui plaque ma main au sol, éjecte mon médicament et m’arrache un sale cri.

-Si tu veux récupérer ta bombe, file-nous ce que t’as.
La voix de Jérémy.

-Vide ses poches, Steve, elle est à terre, sers-toi !
Celle de Lara, aussitôt suivie d’une pression plus forte sur mes doigts. J’ai du mal à retenir mes larmes, j’ai pas la force de me dégager de la bottine noire à strass et encore moins de me relever. Mes halètements se mêlent à des débuts de sanglots, tandis qu’une main se pose sur ma fesse pour voir ce que mon jean contient. Je refuse de regarder ces ados délinquants, de leur accorder cette importance ou leur montrer mes pleurs contenus dans mes yeux. Mais la voix qui suit est à la fois incongrue dans cette scène et familière. Ma tête pivote comme elle peut, même si je n’y vois pas bien.

-À ta place, petit, je n’obéirais pas à la demoiselle.

Impossible ! Est-ce lui ? Dans ma vue opaque, deux petites zones jaune fluo au ras du sol me confirment la chose : c’est bien cet homme que j’avais cru irréel. Pourtant, Lara répond sans souci à mon « invention » de la nuit dernière.

-Ça te regarde pas, mec, dégage.

-Ouais, te mêle pas de nos affaires, gronde Jérémy.

J’entends que le troisième vélo se pose à terre d’un coup sec, les pas m’indiquent que Jérémy compte en découdre avec mon étrange sauveur. Merde !

-Désolé de vous décevoir, déclare Kaï, mais vous ne m’impressionnez pas du tout. Toi, tu vas retirer tout de suite ton pied de sa main ou je vais te faire valser loin d’elle.

-Cause toujours.

Aussitôt, les pas précipités de Jérémy ne me font pas douter : il a un couteau à cran d’arrêt et je suis certaine qu’il est sorti. Je tente de crier l’avertissement à Kaï, mais ce n’est qu’un discret « attention » qui sort de ma bouche épuisée. Je suis toujours en lutte pour ne pas finir sans souffle. Mes aspirations d’air sont moins importantes, chétives, petit à petit je n’ai plus assez de prise d’air pour couvrir mes besoins triplés par l’angoisse. Ma crise me noue les tripes et m’enfonce dans la faiblesse la plus totale. Soudain, ce sont plus les échanges que les images qui m’informent de la tournure de l’affrontement. Le flou a envahi mes yeux, signe de mon oxygène défaillante et de ma grande faiblesse. Je lutte, putain, je lutte !

-Eh, mais… il est où ? Ahhhw !

J’ai vu un éclair jaunâtre voler dans le vide devant Jérémy, comme si Kaï n’avait fait reparaitre que le bout de sa jambe pour un coup de pied puissant. Assommé, une marque sur la joue, le voleur finit projeté au sol de tout son long. Ouah ! Quelle puissance ! Je suis aussi stupéfaite que le trio infernal. Tout à coup, Lara change de tactique : la pression sur ma main disparait, l’ombre de sa chaussure aussi, mais la sensation qui suit sur mon crâne me fait gémir.

-Hey, le chevalier servant, descends de ton destrier, ou je l’écrase.

-Petite garce, siffle Kaï.

Mais très vite, la pression s’enfuit, tandis que Lara est envoyée à terre dans un cri proche de celui de son comparse.

-Bordel, t’es qui, toi ? hurle Steve. Arrête !

Je tente de me redresser comme je peux sur mon coude pour trouver où a fini ma bombe. J’observe les deux lascars se redresser et le troisième observer avec effroi la réapparition de Kaï. Son expression furieuse, qui lui donne étrangement du charme, se dessine dans l’air jusqu’à former le haut de son corps. Alors que le bas se recrée, Kaï entame d’une voix caverneuse :

-Pauvres impies ! Je suis désormais l’ange protecteur de cette jeune fille, c’est le Très Haut qui m’envoie, car vous la martyrisez depuis bien trop longtemps à son goût ! Je peux apparaitre, disparaitre, frapper ceux qui pactisent avec le Diable s’il le faut, même quand vous ne me verrez pas, je serai tout près d’elle à vous observer, car de là-haut, je vois tout ce qui se passe. Alors, si vous tenez à votre survie, fuyez ! Fuyez loin d’elle et cessez de voler les plus faibles ! Ou craignez votre jugement ! ALLEZ !

Il s’est recomposé entièrement en rugissant son ordre. Terrorisés, les trois jeunes bandits s’emparent de leurs vélos en couinant comme des souris, Steve lance un timide « Promis, on le fera plus » avant de détaler avec ses complices. Si je le pouvais, je serais morte de rire. Je ne retrouve pas mon souffle, mais au moins, le calme revient autour de moi et m’aide à me concentrer sur ma respiration faiblarde. Je lève les yeux vers Kaï et me rends compte qu’il amorce un geste du poignet avant que sa main ne disparaisse. Un petit raclement au sol attire mon attention : une sorte de courant d’air vient de ramener mon puff près de ma paume. Je m’empare de mon objet de survie, puis le regarde à nouveau. Le sourire en coin, il reforme sa main, avant de revenir auprès de moi. Je prends dès que possible mon inspiration longue et salvatrice. Je retiens le produit au fond de moi et expire lentement. Kaï a attendu que je finisse mon traitement pour me parler.

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