Sorti du cimetière

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L'ehpad est un mot fort peu attractif pour désigner quelque chose de fort peu attractif. C'est un peu une garderie pour vieux. Mais encore là, le mot garderie sonne bien. Il résonne des sourires des enfants et des jeux simples. L'ehpad ne renvoie que l'image des murs gris, des couches-culottes et des billets de cinquante balles qu'on escroque aux petits vieux.

Je pense qu'on m'y a mis un peu trop tôt. On ne voulait pas s'occuper de moi pourtant je ne suis pas si difficile, juste un peu grincheux, mais qu'un petit peu.

C'est moi, le genre de petit vieux qui fait peur aux bambins. Mais ce n'est pas ma faute. Je suis sec, maigre, famélique, imberbe, ridé (parcheminé au point où j'en suis) mais pas malade, j’ai juste quelques faiblesses dans les jambes. Voyez, il n'y a pas de quoi faire peur. Certes il se peut que je tire une tête d'enterrement et que les coins de ma bouche rivalisent avec la courbure d'un cercle parfait pour ne pas sourire mais je ne vais pas me travestir pour quelqu'un d'autre.

Ouch, j'ai un peu mal au dos d'ailleurs.

- Fama, viens me redresser, m’époumonnais-je envers mon aide de chambre.

Elle n'était jamais là. Elle était payée pour me tenir compagnie mais était toujours absente. Cela justifiait bien mon caractère et mon mécontentement.

J'essayais de me redresser par moi-même. Réduit à m'occuper de moi, il fallait que je me ménage. Être vieux c'est fatiguant surtout ici !

Je me passais la main sur le ventre. Il fallait que je… Oh, il paraissait rebondi. Cela faisait bien des centenaires que je n'avais pas eu le ventre rebondi. Je me tâtais. Oui ! Une chape de graisse s'était abattue sur mon abdomen. Mais par quel prodige… Mes bras aussi s'étaient épaissis et mes jambes semblaient plus volumineuses. Qu'est-ce que cela voulait dire ? Je délirais ! Je n’avais pas manger au point de me retrouver obèse comme par magie !

- Fama, viens m'aider ! J’ai besoin de toi !

Elle était la cause de ma folie à coup sûr. J'allais lui en faire voir des couleurs : du crème, du jaune et du bordeaux.

Je me passais la main dans les… sur le crâne ! À un certain âge, c'est normal de se dégarnir. Mais je n'ai jamais eu de tonsure de moine. Même à quatre-vingts ans j'avais toujours porté mes cheveux blancs sur l'entièreté de ma tête. Il n'y en avait plus maintenant ! Disparu, j'avais le cerveau ouvert au courant d'air.

Oh, oh ! J'avais une barbe ! Elle sortait d'où ? Ça c'était la meilleur une barbe, une barbe blanche et longue. Moi qui n'avais jamais eu un seul poil de moustache j'avais maintenant une barbe. Ils voulaient me jouer un tour, c'est cela ? Ce n'était pas drôle ! Ils m'avaient métamorphosé pendant mon sommeil ! J’allais les maudir pour leur insolence !

- Fama ! Ramenez-vous. Je vais vous apprendre à vous moquer de moi !

- Calmez-vous mon frère, il n'y a pas de quoi s'inquiéter.

- Que je t'en donnerai du frère, glapis-je terrifié par cette voix inconnue.

Je relevais les yeux.

- Mais vous êtes quoi ? Un sale type dans ma chambre !

- Non, mon frère, je suis druide.

- Et moi, Drag Queen !

- Vraiment ?

- Mais non ! Vous êtes idiot ! Qu'est-ce que vous faites ici ? Sortez de ma chambre !

- Calmez-vous mon frère, je vais vous expliquer.

Ces gestes calmes m’agaçaient. Qu'est-ce qu’il venait faire lui avec sa robe bleue et son chapeau bizarre dans ma chambre médicalisée ? Qu'on me réduise à avoir besoin d'un acteur pour me divertir était dégradant ! J'allais le faire sortir moi.

- Comme je vous l'ai dit je suis druide, commença-t-il d'une voix douce et chaude comme pour enjoliver les barbaries d'une histoire à trois sous. Notre ordre perd de sa force et de sa vitalité. Les jeunes se détournent de notre magie pour la technologie. Ils utilisent maintenant ce qui ressemble à un métal mystérieux et inconnu de nous, appelé « Smare-te-faune ». Nous n'avons plus d'apprentis, ni de personne à aider, ni plus de clients dans notre village.

- Vous êtes une sorte de secte ou quoi ?

- Nous voulons redonner un souffle nouveau à notre communauté. C'est pour cela que nous avons mis au point un sortilège très puissant. Nous offrons la magie aux personnes capables de devenir de bon druide selon nous.

- Jolie histoire. Maintenant du balai !

- Mais… vous êtes rude, enfin vous êtes druide vous aussi… Maintenant.

- Mais oui, mais oui. Attend ! Je suis quoi, m’exclamais-je. Attendez ! Je suis druide !

- Oui, nous vous avons offert cette capacité d'utiliser la magie pour…

- Vrai de vrai ! Je suis druide ! Oh, Oh ! Adieu l’ehpad !

Je bondis sur mes pattes. J'avais retrouvé ma force et mon énergie.

- Mais oui, je marche. C'est fantastique ! Et je peux faire de la magie ?

J'envoyais valser ma chaise roulante d'un petit coup de poignet. Une bourrasque s'éleva aussitôt dans la pièce. Un petit tour de doigt et des étincelles jaillir du bout de mon ongle.

- Mais oui ! Magnifique ! Il me faut un baton magique si tel est le cas !

Il apparut dans ma main !

- Et un habit digne de ce nom. Je ne peux pas me balader en robe de chambre.

Une bure crème me revêtit comme j'avais revêtu mon habit de gras. Peut-être que la fonction de druide venait avec les kilos en trop et la barbe. Peut-être bien ! Du reste, cette couleur m'allait bien.

- Allez, allez maintenant quittons cet endroit !

Mon acteur druido-réel inconnu juste avant me regarda assez surpris.

- Vous ne semblez pas étonné, ni perturbé par cette annonce qui pourrait aux yeux des mortels paraître fort étrange.

- Il faut de la témérité dans la vie nous ne sommes pas de ces midinettes à l'eau de framboise en cœur. Allez ! Oust, dans le monde magique. J'en ai marre de cette chambre et de cette pièce et de cet hôpital et ces idiots qui m'occupent. Allez oust ! Je vais enfin pouvoir faire de grandes choses !

¤ ¤ ¤ ¤ ¤

Réunis dans une taverne au ton chaud et à l'ambiance festive, les membres du cercle druidique se lorgnaient, ouvertement surpris par ce qu'il s'était produit.

- Il était assez… assez gaillard.

- Bien en jambe vous voulez dire.

- Je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi énergique.

- Et téméraire.

- Et convaincu.

- Il courait presque vers l'aventure la plus proche.

Il parlait tous en même temps, dissertant de la future catastrophe qu'ils avaient engendrée. Chaque druide y allait de son avis.

- Il s'est vite laissé convaincre.

- Trop vite.

- Ce n'était pas le bon je vous le dis.

- Il était désespéré assurément.

- Plus que cela.

- La prochaine fois…

- Il n'y aura pas de prochaine fois ! On ne refera pas la même bêtise.

- On choisira quelqu'un de différent.

- Plus aimable.

- Plus aimable !

- Assurément

- Oui ! Oui !

Face à la taverne joyeuse et bruyante une devanture crème s'était élevée pour vanter les mérites d'un nouveau druide au sein d’un village perdu dans les landes. La façade quoique agréable laisser s'étaler un titre des plus provocateurs et pompeux : Sortie du Cimetière ! Si ce n'était pas un drôle de druide qui tenait l'endroit, c'était un fou !

Fin

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