Chapitre 2 - SACHA
La vie a rapidement repris, mais les choses ont sensiblement changé depuis. Je ne ne suis plus le même, et le regard des autres sur moi a évolué au vu de mon échec retentissant. Celui-ci a fait le tour de notre division spéciale, la DFAO, mais également du Gouvernement. Même mon père est au courant de là où il est, à plusieurs milliers de kilomètres de moi. En tant que référent de Chicago, j'aurais même dû le lui avouer moi-même, mais Willer m'a annoncé avec une certaine satisfaction que, pour le temps de ma mission et pour les jours qui vont suivre, je suis temporairement démis de mes fonctions. Shy a pris le relais en endossant mes quelques responsabilités. Les capitaines ont justifié cet arrêt par les épreuves que j'ai subies pendant un mois. Toute une batterie de médecins m'ont trouvé les symptômes d'une fatigue extrême, peut-être même d'une petite commotion cérébrale. J'ai eu envie de leur éclater de rire à la figure quand ils m'ont annoncé ça. Une commotion cérébrale ? Et où aurais-je pu me faire ça ? Avec Allen et Astrid j'étais totalement en sécurité, plus que jamais auparavant. Nous ne nous sommes jamais fait attaquer, et comme je n'étais pas autorisé à participer aux scéances d'entraînement d'Astrid, je ne prenais aucun risque.
Je suis rentré depuis à peine deux jours, mais c'est comme si l'éternité s'était écoulée. Mêmes mes inférieurs hiérarchiques me dévisagent. Ceux qui avant me respectaient tous, à défaut de m'aimer, ne cherchent même plus à cacher leur haine : ils n'ont plus peur de moi. Je n'inspire plus la même crainte, plus aucun ne m'admire. Mon incompétence me cloue au sol d'une manière aussi cruelle que mon oeil aveugle m'a interdit l'accès au pouvoir suprême.
Et aujourd'hui, je suis dans une cage encore plus petite qu'avant. Pour l'instant, je suis surveillé à toute heure du jour et de la nuit, soit-disant pour ma sécurité mais en vérité pour que je ne tente rien... pour que je ne reprenne pas l'ascendant. La peur est encore là, bien que faible, et ils ne sont pas encore assez stupides pour me négliger. Confiné dans l'aile médicale du Quartier du Gouvernement, je ne suis même pas tenu au courant des avancées de la DFAO. C'est à peine si on m'adresse un regard ici. Les infirmiers qui acceptent de me parler ne le font que pour répondre à mes questions insistantes et agaçantes : selon eux, je sortirai d'ici dans deux jours tout au plus. J'espère, même si ce n'est pas dans mes habitudes, que cette durée sera raccourcie. Même si je ne suis pas vraiment malade, je ne supporte plus d'être attaché à un lit d'hôpital.
Et plus que tout, je voudrais savoir. Savoir ce qu'il est advenu d'Astrid. En quelque sorte, je devrais le savoir, puisque j'ai moi-même conçu ce plan catastrophique. Mais il faut évidemment envisager que des modifications ont été apportées, au vu du retournement de situation. Et en plus de tout ça, je n'avais jamais prévu cette possibilité : où serait emmenée Astrid et quel traitement lui ferait-on subir, si jamais j'échouais, si jamais la DFAO décidait de la capturer de nouveau ? Pour moi, la réussite de cette mission n'était pas une option, c'était une obligation. Et pour les autres aussi je suppose. Manipuler et arracher des informations à une fille faible, brisée par des mois de torture, et sans aucun souvenir de son entraînement à l'Organisation ? Une évidence pour n'importe qui. Une citoyenne lambda, en quelque sorte, mais encore plus vulnérable. Qui n'y arriverait pas ? En tous cas maintenant, je sais que ce n'était pas aussi facile que je le pensais.
Et puis il y a également un autre point négatif.
Grâce au micro intégré que j'avais sur moi, les capitaines ont pu aisément deviner que j'ai embrassé Astrid. Une rumeur s'est-elle répandue à ce propos ? J'en doute. Malgré ma disgrâce, je reste un capitaine de la DFAO, et mes congénères ont l'obligation de maintenir une certaine cohésion face aux soldats moins gradés. Leur haine à mon égard est-elle si forte qu'ils sont prêts à sacrifier notre unité apparente, juste pour m'humilier ? Si cette information remontait jusqu'à notre Leader, notre efficacité serait encore plus remise en cause qu'actuellement, et le groupe dirigeant risquerait d'être dissout, puis remplacé. C'est ainsi que le monde militaire fonctionne en 2300. Si une combinaison ne marche pas, elle est balayée et on en essaye une autre. Et évidemment, pour ne pas trahir le secret, on élimine toutes les traces... Non, décidément, cela comporterait trop de risques. Mais n'empêche que cette honteuse partie de ma mission est à présent connue des six autres capitaines. Et ils ne manqueront pas de m'interroger à ce sujet, j'y mettrais ma main à couper.
Un infirmier déboule dans la chambre sans prendre la peine de s'annoncer.
Le plus rapidement possible, il vérifie ma tension, mes paramètres vitaux, règle quelque chose sur la tablette qui remplace les moniteurs d'avant mais qui produit le même bip agaçant au rythme de mon coeur. Puis il repart aussi vite qu'il est venu, plus affirmé que n'importe qui l'aurait été à sa place il y a un mois encore.
Ici, c'est ma routine quotidienne.
Les mêmes regards dégradants, indifférents, ou encore un peu nerveux.
Les mêmes expressions sur les mêmes visages révulsants.
Je m'ennuie.
Bien plus encore, je boue d'impatience. Je veux réparer mes erreurs, non pas aux yeux des autres capitaines, de mon père, de Christian Carren, le Leader de Paris, et encore moins à ceux du monde militaire. C'est mon opinion qui m'importe, et celle de personne d'autre.
C'est dans mon esprit que je veux redevenir digne de moi-même.
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