Chapitre 9 - ASTRID

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Le silence revient dans le jardin mais n'efface pas la sonnerie qui semble toujours me percer les tympans. Une pression insistante sur ma main m'indique que la femme essaye de m'attirer vers ma porte... vers le répit. Mais quitter ma léthargie protectrice serait trop dur. J'ai enfin trouvé une sorte d'entre-deux qui me permet d'éloigner les mots, et je n'ai qu'une peur, c'est le quitter. Peu importe ce qu'il m'arrivera si je reste plantée au même endroit lorsque le temps sera écoulé. Je devine à moitié qu'il est déjà trop tard.

Ce qu'il m'arrivera.

Mes propres pensées me reviennent en boomerang.

Le déclencheur de tout ça, de ce nouvel obstacle, n'est au final rien de plus que la peur. Si je n'avais pas eu si peur de mon sort dans les prochains jours, les prochaines semaines, la vérité serait gentiment restée enfouie au fond de moi, et la vague ne m'aurait pas submergée. J'aurais continué de faire semblant face à moi-même. Alors oui, j'ai eu peur. Mais à présent, cette peur est en train de se concrétiser, et si je ne fais rien, j'accélère les choses. Je dois passer inaperçu. Gagner leur confiance. Perfectionner mon jeu d'acteur. Ma mission m'apparaît soudain au bout du tunnel et je me mets à courir.

Dans mon esprit pour rattraper la lumière, pour me raccrocher à la falaise qui s'affrite, pour m'accrocher à quelque chose de concret, enfin.

Mais aussi dans la réalité, pour rejoindre la porte marquée 97.

La mienne.

La survie.

Je plaque ma main avec une force brute sur le détecteur d'empreinte et je sens mon coeur exploser tout le temps que dure la vérification. L'éternité me nargue de son infinité de secondes, je n'ose pas regarder derrière moi de peur de voir le démon surgir à tout moment. Les battements de mon coeur s'amplifient jusqu'à recouvrir tout autre son : je les entends qui si quelqu'un me les hurlait à l'oreille.

Et enfin, enfin, la porte s'ouvre pour me laisser m'engouffrer dans le noir.

*

Je me rue dans la cellule, trébuche, m'étale et me tape la tête contre le mur, mais la douleur n'a pas d'importance. Pour le moment, je suis sauve. Enfin, aussi sauve que je peux l'être tant que je suis ici. Je me retourne et appuie mon dos contre le mur froid, aspirant avidement l'air autour de moi. J'ai l'impression d'être plongée dans l'eau, comme s'il n'y avait plus d'ovygène et que je n'allais pas tarder à ne plus pouvoir respirer. J'étouffe. Je rampe jusqu'à un coin de la pièce où je cogne contre quelque chose que je n'avais pas vu la première fois : un siège de toilettes. Alors, malgré mon dégoût et l'absurdité de ce que je m'apprête à faire, je me penche et plonge la tête dans l'eau.

Le sang descend petit à petit dans mon cerveau. Ma tête va exploser, je suffoque, mais étrangement, la sensation de mort qui rampait en moi avant a disparu. Tout est calme autour de moi, même le bruit de mon coeur est apaisé. J'ai les yeux grand ouverts dans l'eau, mais surtout, dans le noir. Je suis bien. Je suis en paix, le vacarme a disparu. Ce n'est qu'un court répit, mais quand mes poumons me rappellent à l'ordre et que je dois m'extirper de la cuvette, ma stratégie semble avoir marché : je peux à nouveau réfléchir calmement. Le tourbillon n'est plus là, envahissant, angoissant. J'ai toujours mal, tellement mal, mais j'ai l'impression de pouvoir le gérer. Alors je me roule en boule et je me laisse emporter par le sommeil, jusqu'à mon réveil.

Jusqu'à la prochaine sonnerie.

*

Les mêmes questions qu'avant reviennent. La similarité des situations me procure des frissons d'horreur. Ici, la violence sera différente. On s'apprête à violer mon intimité d'une manière particulièrement cruelle. J'ai peur. Serai-je sélectionnée dès le premier jour ? Quand se déroulera le prochain bal ? J'ai complètement oublié de poser cette dernière question à la femme, obnibulée que j'étais par ses propos. Je ne sais même pas comment elle s'appelle. J'espère la revoir lors de la prochaine heure de Séduction. J'ai tellement de choses à lui dire. D'interrogations à lui soumettre. J'espère juste qu'elle acceptera de me répondre.

J'ai d'abord prié pour ne jamais en savoir plus. Et maintenant, je ne souhaite qu'une chose : l'exact contraire. Récolter le plus d'informations, me préparer à ce qui m'attend. Et partir d'ici le plus vite possible. Je suis consciente que je ne peux pas m'en aller avant d'avoir récupéré ce que je suis venu chercher. J'ai peut-être une infime chance de repartir sans rien subir de plus que ce que je connais déjà, sans subir le pire, mais pour ça, je dois aller vite. Et prier pour que le prochain bal ait lieu dans très, très, très longtemps.

Depuis que je me suis précipitée dans cette cellule pour échapper aux gardes, deux repas m'ont été servis : un dîner et un petit-déjeûner. Tous les deux sont apparus au centre de la pièce en remontant du sol par un moyen que je n'ai pas encore identifié, accompagnés d'un bip strident et sonore. J'imagine donc que nous approchons de midi, puisque j'ai mangé pour la dernière fois il y a plusieurs heures déjà. Et contrairement à ma première séquestration, je veux ralentir la course du temps. Je ne veux plus jamais entendre la sonnerie qui annoncera la sortie dans le jardin. Je ne veux pas non plus regarder le Leader dans les yeux et devoir plier l'échine devant lui. Je ne veux pas être son esclave, je ne veux pas qu'il me choisisse, jamais je n'accepterai d'être sa proie. Mais si j'étais lui, que ferais-je ? Si j'étais lui, je serais curieux de connaître l'agent féminin de l'Organisation. Et surtout, je voudrais l'humilier le plus possible. Mais s'il raisonne comme moi, cela ne fait-il pas de moi un être similaire à lui ?

Et puis une réflexion me glace d'horreur.

18 ans.

18 ans.

Il y a 18 ans, Christian Carren était déjà le Leader de Paris. Il venait même de monter au pouvoir. Et si... Non, je refuse d'accepter une telle possibilité. Et pourtant, j'ai beau l'écarter de mon esprit, elle revient en force à chaque seconde qui passe, jusqu'à ce que je ne puisse plus l'ignorer.

Et si c'était pire que ça ?

Et si je ne raisonnais pas seulement comme lui, mais que j'étais aussi... de son sang ?

Un hurlement monte dans ma gorge, et cette fois, je ne le retiens pas.

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