QG de l'Organisation, complexe souterrain, salle de réunion 4

Derrière une porte frappée d'un grand 4, sept personnes attendent, stoïques. Dans cette salle sont réunis les membres les plus éminents de l'Organisation.

Marshall, leur leader.

Mehdi, le bras droit de Marshall depuis de longues années.

Yolan, peu apprécié de ses congénères, mais dont l'avis reste respecté grâce à son expérience d'ancien combattant d'élite.

Aaron, le général de l'armée rebelle, en charge de toutes les forces militaires.

Gaëtan, chef tactique et grand stratège.

Adam, directeur de l'équipe informatique.

Et enfin, étrangement décalé par rapport à ses congénères, un jeune homme du nom d'Allen.

Tous attendent sans un mot l'arrivée de la dernière personne nécessaire à cette réunion de la plus haute importance : Astrid Carren, la soeur d'Allen.

Enfin, on entend des éclats de voix de l'autre côté de la porte. Toujours aucun mouvement, mais on peut facilement deviner que les muscles se tendent, près à affronter n'importe quel danger. Pour eux, être en état d'alerte est une seconde nature : ils sont prêts à chaque instant à tuer pour sauver leur vie.

Mais ce qui crée cette altercation n'est pas une menace, du moins pas de celle que l'on peut d'abord imaginer : il ne s'agit que de la retardataire, qui finit par pousser le battant, le souffle court, les cheveux en bataille, et une moue rageuse sur le visage. Le goût du défi et du danger est imprimé sur son visage. Elle se calme cependant en voyant ceux qui se tiennent en face d'elle, disposés en un demi-cercle parfait : des personnes qu'elle n'a fait que croiser, ces derniers mois, et qui ne lui ont jamais accordé plus d'un regard. Des personnes importantes, qui lui rappellent à quel point elle est inutile, et peut-être même encombrante, depuis qu'elle est ici.

Astrid baisse les yeux une fraction de seconde, avant de se reprendre, sur la défensive. Elle se sent agressée de toutes parts dans cette pièce qui lui est étrangère, où des hommes la jugent et la décortiquent. Alors elle réagit de la seule manière qu'elle connaît : en rendant coup pour coup.

- Alors, qu'est-ce qui se passe encore au royaume des rebelles ? Quelle affaire recquiert donc ma présence parmi les grands ? Je suppose que ça doit être particulièrement important pour que je sois acceptée dans cette pièce!

Elle essaye de prendre un ton désobligeant, nonchalant, mais son malaise perce toujours derrière le masque qu'elle tente de reconstituer.

Au centre du demi-cercle, Marshall lui lance un regard de reproche à peine dissimulé.

- Viens t'assoir pour que nous puissions commencer. Je sais que tu ne te souviens plus de rien, mais est-ce une raison pour manquer de respect à quiconque ? lance soudain Yolan, un homme aux yeux sévères encastrés dans un visage émacié, tiré.

La jeune femme lui lance un regard meurtrier mais se résoud à lui obéir. Pour montrer son désaccord, elle prend cependant soin de briser la chaîne et ne se place pas dans le prolongement du demi-cercle, comme tous les autres. Au contraire, elle tire une chaise sur le sol avec force de raclements et vient se poster juste en face de Marshall, au beau milieu de la pièce, très loin de la table. Là où tout le monde peut la voir, elle et le sourcil ironique qu'elle lève en direction d'un Yolan furieux. Ce-dernier s'apprête d'ailleurs à rétorquer quelque chose mais Marshall lève la main dans un geste impatient et il n'a d'autre choix que de se plier.

- J'aimerais que nous terminions cette réunion le plus rapidement possible, commence-t-il de son habituelle voix posée, imperturbable, afin de commencer dès à présent les premiers préparatifs. Allen, Astrid, vous étiez jusque là les plus impliqués, et je comprends bien que vous avez tout risqué pour nous permettre d'en arriver là. Cependant, vous devez comprendre que si je ne vous ai pas mis au courant plus tôt, c'est par souci de sécurité : il était primordial qu'aucune information ne fuite avant l'heure.

- C'est ton unique raison ? l'interrompt soudain Astrid. Parce que tu crois vraiment que je serais allée le crier sur les toits ?

L'exaspération de chacun rend l'atmosphère lourde, pesante, irrespirable - Yolan ne conçoit pas autant d'insolence, Marshall sent la situation déraper, Astrid ne supporte pas que son mentor lui ait menti et caché des informations manifestement primordiales, quant aux autres, ils n'ont qu'une hâte, c'est d'en finir. Le seul qui fait exception à la règle est Allen : il se contente de fixer sa soeur qu'un regard vide, dénué de toute émotion, comme s'il était perdu dans ses pensées, mais en beaucoup plus terrifiant.

- Astrid, j'aurais voulu éviter d'avoir à te présenter les choses ainsi, mais puisque tu insistes, voilà la raison qui m'a poussé à ne rien te dire : tu ne possèdes aucun talent qui nous est utile. Crois-tu vraiment que piloter un chasseur ou savoir toucher une cible dans n'importe quelle situation aurait pu nous aider ? Nous avions besoin de stratèges! De personnes capables de monter un plan construit, avec le minimum de risques! Quant à ton manque d'implication manifeste, il n'était qu'un argument de plus en faveur de ma décision. Maintenant, estime-toi heureuse d'avoir été conviée à cette réunion avant que je ne t'expulse de cette pièce!

Les paroles sont dures, mais elles ont l'effet escompté. La jeune femme se recroqueville, touchée en plein coeur. Elle ne prononce plus un mot.

- D'autres... problèmes ? grince le leader.

Devant le silence qui lui répond, il finit par soupirer en se passant une main dans les cheveux, avant de finalement reprendre :

- Très bien. Comme je le disais à l'instant, jusqu'à ce que nous ayons une idée précise de la situation, il fallait maintenir le plus grand secret. Mais à présent que notre plan se concrétise, nous avons besoin de soldats pour le mettre sur pied. Et c'est là que vous intervenez. Il me paraissait injuste de vous maintenir à l'écart plus longtemps, et j'ai donc soumis mon idée à notre petit comité, qui l'a acceptée : nous vous proposons de mener l'offensive contre le Centre des Contrôle des Puces. Vous serez en charge des deux escouades les plus importantes sur le terrain, et vous aurez toute autorité sur les autres. Vous serez néanmoins soumis à notre autorité. Avant que nous n'allions plus loin, cet arrangement vous convient-il ?

Marshall fixe alors ses deux yeux bleus perçants sur Astrid et Allen dans l'attente de leur réponse. Mais tandis que le frère accepte immédiatement d'un hochement de tête pensif, Astrid, elle réserve encore des doutes et ne peut s'empêcher de poser toutes les questions qui lui viennent à l'esprit :

- L'offensive ? Alors ça y est, vous avez enfin décidé de tirer quelque chose de mes informations ? Qu'avez-vous prévu exactement ? En quoi consiste votre plan ?

Les mots fusent hors de sa bouche, jusqu'à ce que Marshall doive l'arrêter une fois de plus.

- Astrid, réponds à ma question.

L'intéressée plisse les yeux et balaie longuement chaque personne présente du regard, y compris Allen, même si elle le survole plus rapidement. On pourrait presque voir les rouages de son cerveau s'enclencher tandis que, grâce à cette faculté qu'elle entretient depuis le plus jeune âge, elle décrypte le moindre tressaillement de paupière. Après de longues minutes de réflexion, elle semble bel et bien tirer quelque chose de constructif de son analyse, et finit par lâcher, cependant toujours réservée, prudente :

- J'accepte. Mais maintenant, c'est votre tour de répondre.

Marshall esquisse alors un signe de tête satisfait vers Gaëtan, qui prend la parole comme s'il connaissait son texte par coeur :

- Le Quartier du Gouvernement de Chicago est sûrement le mieux défendu de tous. Mais plus la technologie est avancée, plus sa principale faille s'agrandit : à force de modernité, on ne sait plus se reposer sur autre chose que sur l'électricité. Tout fonctionne à partir d'électricité. Alors, imaginez-vous que cette source soit soudain coupée ? Imaginez-vous que la ville toute entière n'y ait plus accès ? Pour nous infiltrer dans le CCP, qui se trouve lui-même au coeur de la ville, nous n'avons qu'une seule chance, qu'une seule option, qu'un seul défaut à exploiter. Et d'après ce que nous savons, le réseau électrique de Chicago présente un énorme problème : il ne repose que sur une seule centrale. Si nous faisons sauter cette centrale, seul un générateur de secours sera en mesure de prendre le relai jusqu'à ce qu'une solution soit trouvée. Or, il mettra exactement trois minutes à se déclencher. Ces trois minutes seront notre ouverture, notre marge de manoeuvre.

<< Notre plan d'attaque sera donc réalisé par trois équipes : l'équipe A aura pour objectif de détruire la centrale électrique, qui se trouve à quelques kilomètres au sud de la ville. Une fois le feu vert de l'équipe A donné, l'équipe B déchargera Astrid et Allen dans le QG par la voie aérienne, puisque les défenses anti-aériennes de Chicago seront hors d'état de nuire. Puis nos pilotes distrairont les Forces de Prévention en bombardant des zones inhabitées. L'électricité sera déjà rétablie à ce moment-là. Nos deux agents infiltrés devront alors trouver le CCP, et grâce au soutien de l'équipe C, l'équipe informatique, restée pour sa part ici-même, désactiver les puces. >>

- Pourquoi sommes-nous deux à y aller ? N'est-ce pas plus sûr et plus rapide de n'envoyer qu'un seul agent ? Et d'ailleurs, pourquoi nous deux et pas quelqu'un de qualifié en informatique directement ? Comment saurons où se trouve exactement le CCP d'ailleurs ? Il peut être n'importe où à Chicago, s'exclame soudain Astrid, ne pouvant plus retenir toutes les questions qui lui brûlent les lèvres.

- J'allais y venir, déclare posément Gaëtan. La réponse à ta première question est simple : toi et Allen ne serez pas ensemble lors de cette mission. Vous atteindrez le CCP par deux chemins différents afin de diviser les forces ennemies. Si l'un de vous deux se fait prendre, ils abandonneront peut-être la chasse. L'autre aura alors beaucoup plus de chances d'atteindre l'objectif. Ce n'est qu'une question de stratégie. Quant à ta deuxième interrogation, elle a soulevé plus de controversions lors de l'élaboration de ce plan. Certains étaient du même avis que toi. Mais vous deux avez des qualités non négligeables, des qualités que nos experts en informatique n'ont pas. Lors d'un combat, vous aurez bien plus de chances de vous en sortir qu'eux. De plus, toi en particulier, tu as déjà connu les méthodes de la DFAO, et malgré ton retour, tu en sais toujours beaucoup moins que chacun de nous ici. Par mesure de sécurité, nous évacuerons d'ailleurs le QG pour une autre planque, beaucoup moins aménagée mais suffisante à nos besoins, dès le commencement de la mission. Ainsi, si vous échouez et nous trahissez, nous aurons quelques chances de nous en sortir. Dernière raison à cette décision, vous êtes tenus tous les deux dès aujourd'hui de suivre des cours intensifs d'informatique, afin de connaître quelques bases. Vous serez naturellement reliés en permanence à nos experts, afin qu'ils puissent vous guider dans vos démarches. Une caméra fixée dans votre oeil même leur permettra d'être dans les meilleures conditions possibles pour travailler. C'est comme s'ils étaient sur place, mais avec bien plus d'avantages.

Après ce long discours, débité d'une traite, le stratège prend une grande inspiration. Tous le laissent reprendre son souffle sans un bruit, religieusement, attendant qu'il continue :

- Enfin, finit-il par déclarer pour achever sa tirade, cette mission est certes celle qui nous mènera peut-être à une victoire définitive, mais elle en nécessite d'autres, du moins une en particulier : récupérer les plans du QG de Chicago. Mais nous ne pouvons pas effectuer cette action à distance, malgré le talent de nos meilleurs informaticiens. Pour récupérer ces précieuses informations, un agent sur place est nécessaire. Nous y viendrons plus tard. Je laisse maintenant à la parole à Aaron.

Celui-ci enchaîne immédiatement :

- Gaëtan vient de résumer l'infiltration d'Astrid et d'Allen, mais il nous reste encore un point à éclaircir : celui de la diversion. Les meilleures attaques sont toujours basée sur une distraction, afin que l'ennemi concentre le plus gros de ses forces non pas sur le véritable problème, mais sur un subterfuge.

Les yeux verts du général se posent successivement sur tous ses congénères, mais évitent soigneusement Astrid et Allen. Même s'il cache mieux son dégoût que Yolan, il n'en reste pas moins écoeuré par leur présence, et surtout leur importance dans la mission.

- Encore une fois, les avis étaient mitigés concernant cette attaque, mais nous avons finalement décidé que mieux valait mettre toutes les chances de notre côté. C'est pourquoi, un peu avant la véritable opération, plusieurs équipes tactiques attaqueront Paris pour faire le plus de dégâts possibles, le but étant de faire croire à une frappe importante. Si l'ennemi s'aperçoit que nous n'y mettons pas toute notre énergie, il comprendra notre stratégie. Mais si cette attaque ressemble vraiment à un coup décisif pour nous, il est possible que nos prévisions aillent au-delà de toutes les espérances. Une fois l'adversaire déstabilisé, touché en plein coeur, et Chicago au courant de la situation, ils abaisseront peut-être leurs défenses. Ils pourraient même envoyer du renfort en Europe. Bien sûr, toute cette partie de la mission repose sur des suppositions, mais tout est mieux que rien.

Un court silence plane, qu'Allen finit par briser, parlant pour la première fois de la séance :

- Quand la véritable opération débutera-t-elle ? Et la mission intermédiaire ?

Pensif, Aaron penche la tête vers Marshall. C'est cependant Adam qui se charge de répondre :

- Dès que les sélections seront achevées, l'équipe choisie ira récupérer les plans, c'est-à-dire dans moins de deux semaines environ. Puis l'équipe A et B commenceront les simulations pour parfaire notre plan. Il faut que vous sachiez exactement à quoi vous attendre. Quant au reste... l'équipe informatique doit trouver le moyen de pirater le CCP. Une fois sur place, Astrid, ou toi, devrez être le plus rapides possibles. Nous allons nous mettre au travail dès que possible. Nous devons également commencer à aménager la seconde planque, au cas où nous y resterions plus de quelques jours. Les préparatifs seront longs, mais dans quelques mois tout au plus nous serons prêts. D'autres questions ?

Mais cette fois, même Astrid reste muette.