Un dorakkar et un château
-Prête pour une dernière chevauchée ?
La dorakkar enfouit ses nasseaux dans le flanc de Kita avant de redresser la tête en comprenant que la jeune femme n'avait pas de friandises. Ses babines se retroussèrent légèrement découvrant une rangée de crocs aussi tranchants que les couteaux cachés dans ses manches. Le créature siffla et Kita aperçut une langue noire et bifide. L'odeur de la chair cramoisie lui piqua les narines- haleine caractéristique d'un dorakkar. Omegaya n'était pas grande pour son espèce. A peine une tête de plus que la jeune femme mais était tout en muscles. Ses longues ailes- 6 en tout-, ses rugissements et ses yeux qui dévoilaient une infime partie des flammes de l'Enfer en décourageaient plus d'un.
Kita toucha du bout des doigs le front de la bête. Celle-ci pressa sa tête contre sa paume et lui arracha une grimace. Les lamelles de la carapace d'un dorakkar étaient si fines et si pointues qu'il était aisé de se blesser rien qu'en les touchant. Les écailles aiguisées d'Omégaya scintillaient sous les derniers rayons du soleil. C'était le signal du départ. Les doigts de Kita glissèrent sur les cornes de la créature, légèrement torsadées et creusées de spirales. Les deux premières ailes de la dorakkar- deux fois aussi longues que son corps- se tapirent contre le sol sablonneux. La jeune femme s'installa sur le dos d'Omégaya, contractant les muscles de ses jambes et se pencha pour nouer ses doigts autour des épines parsemées sur l'échine de la dorakkar.
Chaque nouveau-né subissait une opération : le retrait de deux épines. A la naissance, de nombreux os étaient faits de cartilage. La section de petites cornes n'était pas douloureuse pour les petits mais pouvait le devenir une fois l'os formé. Torture jugée barbare mais totalement inoffensive pour les bébés dorakkars. L'opération était pourtant essentielle pour qu'un dresseur puisse s'asseoir sur les bêtes sans risquer d'y perdre un morceau de ses fesses.
Les extrémités des écailles- plus longues sur le dos- s'incrustaient dans la chair délicate de ses cuisses. Un bref coup de talon dans les flancs et le cou d'Omégaya se tendit comme un arc. Trois puissants coups d'ailes plus tard, sa monture survolait les arbres. Ses griffes courbées frôlaIent les cimes vertes des sapins qui se tendaient vers le ciel sans jamais l'atteindre.
Le vent sifflait aux oreilles de Kita, jouait avec ses cheveux en les emmêlant de ses doigts glacés. La jeune femme porta son regard sur l'horizon où le soleil, aussi rouge qu'une goutte de sang, semblait à moitié dévoré par les dunes de sable. Alors que l'aquilon gonflait des ailes de la dorakkar, le ciel revêtissait son manteau de feu. Du corail à l'or en passant par le mandarine, Kita avait l'impression d'être l'unique spectatrice d'une toile d'un artiste inconnu. Le céruléen se mêlait au pourpre, le mauve à l'orange. Aucune règle n'était dictée, aucune ligne ne délimitait les couleurs. Rien que l'indépendance et la liberté.
Les mains de la jeune femme devenaient moites tandis qu'elle s'accrochait à Omégaya, des crampes engourdissaient ses cuisses et ses fesses. Tandis que le soleil s'assombrissait, le vent s'intensifiait. Il tournoyait autour des feuilles qui lui répondaient par de joyeuses ondulations. La bête tenait bon bien qu'elle n'était pas aussi résistante que son frère, dernier dragon encore vivant. Pourtant rien de tel qu'un dorakkar pour la vitesse. En une heure, Omégaya avait survolé plus de la moitié du pays.
Kita se pencha légèrement lorsqu'elle reconnut la grande plaine où le château de la princesse se dressait fièrement. Les imposantes tours blanches trônaient au-dessus du domaine. Elles sont mes yeux, lui avait murmuré la princesse en la dévisageant de ses grands yeux noisette. La jeune femme pensait d'abord qu'elle parlait de leur taille qui lui permettait de voir le monde mais en réalité tous gardes dormaient là-haut.
La lune-de la taille d'une griffe- disspiait quelque peu les ténèbres et la brume, suffisamment pour que Kita constate avec bonheur que ces saletés de volatilles désertaient le château. La princesse ensorcelaient les corbeaux pour qu'ils volent toujours autour du donjon. Pourquoi ? Il ne lui restait plus qu'à le découvrir. La cour inférieure était plongée dans l'obscurité, telle une gueule béante dont émergeait les tours. Kita se souvenait de sa première visite. Un ciel sans nuages, des arbres qui faisaient trois fois la taille d'Omégaya, une immense allée où de nombreux soldats paradaient dans leur armure étincellante.
Kita porta son poids sur la gauche, indiquant à la dorakkar de se rapprocher. Aussi discrète qu'un traître - la dresseuse entendait à peine ses ailes claquer dans le vent- la bête se mit à tournoyer autour des tours. Les minces rayons qui parvenaient à se faufiler à travers le brouillard parsemèrent les édifices d'éclats argentés.
-Ne t'éloigne pas trop Omégaya. Un oiseau ou deux et tu reviens.
Kita lâcha sa monture et se laissa tomber dans le vide.
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