Chavirante virée
PERSONNAGES
DORA
MELLA
LA GENDARME
SYNOPSIS : Non, Dora et Mella, malgré leur look, ne sont pas Thelma et Louise. Seulement deux amies qui ont décidé de rendre visite à un ancien camarade de classe. Pourtant, quand la gendarmette s’en mêle, là ça le devient.
DECOR : L’intérieur d’une voiture
DORA: Nous avons un look très Thelma et Louise toutes les deux. Tu as vu le film, Mella ?
MELLA: Trois fois, mais jamais jusqu’au bout. Il finit comment ?
DORA: Elles se tuent en lançant la voiture dans le précipice.
MELLA: Oh mon Dieu, Dora. Tu veux que nous finissions comme elles ?
DORA: Je disais ça pour rire. Nous n’avons pas les flics au train, nous.
MELLA: Et pourquoi les aurions-nous : tu as dépassé la vitesse autorisée ?
DORA: Mais non. Je roule pépère.
MELLA: Alors, pourquoi finirions-nous au fond d’un précipice ? D’ailleurs, ici c’est plat comme tout, et nous n’avons pas un pays grand comme un continent à traverser, mais la moitié d’un département, petit comme un timbre-poste.
DORA: Je n’ai jamais dit que je voulais finir au fond d’un précipice. Arrête de psychoter.
MELLA: Je te cite : « On a un look très Thelma et Louise. J’espère qu’on ne va pas finir comme elles. »
DORA: Bon, ça va. J’ai dit cela parce qu’hier soir, j’ai revu le film.
MELLA: Où ça ?
DORA: A la télé. Sur la douze.
MELLA: Crotte ! Pour une fois que j’aurais pu le voir en entier. Je me suis enquiquinée devant une dramatique Europe profonde – Ne me demande pas le pays, je ne saurais pas te répondre – et en VO, s’il te plaît. Je ne sais pas dans quelle poubelle cette chaîne va trouver tous ces programmes.
DORA: Tu n’as pas le journal de la télé ?
MELLA: Oui, mais je ne vais pas plus loin que les six premières. Trop de boulot.
DORA: Je sais. Moi, quand je rentre le soir, je choisis d’abord mon programme – ça me prend deux bonnes heures – ensuite je prends ma douche, je me change, je m’installe devant mon ordinateur pour lire mes mails, après je prépare ma popote et celle du chat et hop, je me branche directement sur la chaîne que j’ai choisie. Elle n’est pas belle la vie comme ça ?
MELLA: Et donc tu as revu Thelma et Louise.
DORA: Voilà.
MELLA: Et ce matin tu m’as proposé d’aller rendre visite à Pilou qui habite à l’autre bout du département.
DORA: C’est sympa, non ?
MELLA: Il sait que nous venons ?
DORA: Il le saura lorsque nous serons arrivées.
MELLA: Ah bon !! Tu ne l’as pas prévenu ?
DORA: Mais non. L’effet de surprise, qu’en fais-tu ?
MELLA: Mais depuis le temps, on ne sait plus rien de lui.
DORA: Et Facebook, tu en fais quoi ?
MELLA: Je n’y suis pas.
DORA: Moi oui, figure toi. Et lui aussi.
MELLA: Et alors ?
DORA: Alors, Il sera très heureux de nous revoir.
MELLA: Ah bon, il l’a écrit sur son mur : « Pilou serait très content de revoir les deux copines qui l’ont dépucelé quand il avait treize ans »
DORA: Non, mais c’est tout comme. (Un temps) Sais-tu qui il a épousé ? (Pas de réponse) Sabrina.
MELLA: La piqueuse des mecs des autres ?
DORA: Elle-même. Aujourd’hui je peux te garantir qu’elle ne pique plus personne. Elle est devenue affreuse, énorme.
MELLA: N’empêche que si je la vois, je lui arrache les yeux. Tu sais combien de mecs elle m’a piqués cette truie ?
DORA: (Haussant les épaules) Ouais, je le sais. Il y a prescription maintenant.
MELLA: Je m’en fous. Si je la vois, je lui crève les yeux.
DORA: Ben… Figure-toi que c’est fait.
MELLA: Quoi ?
DORA: Ben… Qu’elle n’a plus d’yeux. Elle est aveugle. Peu après le mariage, ils ont eu un accident de voiture, Pilou a perdu l’usage des jambes, et Sabrina la vue.
MELLA: Comment tu le sais ?
DORA: C’est Nadège qui me l’a dit.
MELLA: Nadège ?
DORA: Mella ! Tu perds la mémoire ? Nadège, notre prof de Français.
MELLA: A ouais. (Pause) Et elle les connaît ?
DORA: Mais enfin !!! C’est la belle-mère de Pilou. La deuxième femme de son père. Tu ne te rappelles pas l’esclandre que ça a fait ? Elle venait à peine de se faire muter dans le bahut, que le père de Pilou est tombé amoureux d’elle. En trois semaines il a plaqué sa femme et son fils. Six mois plus tard, la mère de Pilou s’est jetée sous un bus.
MELLA: Ah ouais, et après ?
DORA: Et après, Pilou est allé habiter avec son père et Nadège. (Un temps) T’étais où, pendant tout ce temps ! Sur la lune ?
MELLA: Je me faisais piquer mes mecs par cette salope de Sabrina ; alors tu vois, Pilou, Nadège, son père et sa mère, ça me passait d’un côté et ça sortait de l’autre. (Un temps) En tout cas, je ne comprends pas pourquoi tu tiens tellement à les voir. Avec une belle journée comme aujourd’hui, on aurait pu aller à la plage, ou faire une rando. Non. Au lieu de cela, on traverse la moitié du département pur rendre visite à un infirme et une aveugle qui, si ça se trouve, ne nous reconnaîtront même pas. (Un temps) Franchement Dora, si c’est tout ce que tu me proposes comme balade, je préfère que tu me laisses ici. Je prendrai le train et je rentrerai en ville.
DORA: Mella ! On y reste cinq minutes pas plus. (Pause) Ecoute : on arrive, on sonne, on leur fait la bise, et on repart.
MELLA: Ah oui ! Et tu me fais faire tous ces kilomètres pour faire la bise à un paralytique et une aveugle qu’on n’a pas revus depuis plus de trente ans ?
DORA: Moi je lui parle toujours via Facebook. L’autre jour il m’a demandé de tes nouvelles : pourquoi tu n’étais pas sur Facebook et cetera ; et puis, il a fini en me disant qu’il mourrait envie de nous revoir, et il a ajouté que Sabrina avait beaucoup de choses à te dire.
MELLA: Ah ouais ? Figure toi qua moi aussi j’ai plein de choses à lui dire, et à défaut de me voir, elle va m’entendre. (Un temps) Mais au fait, si tu lui parles si souvent, comment c’est possible que ce soit sa belle-mère qui t’ait parlé de l’accident ?
DORA: (Dans un rire) C’étaient des bobards que je t’ai racontés. Ils se portent très bien tous les deux. Ils ont un fils qui s’appelle Valentin.
MELLA: (Hors d’elle) Pourquoi tu m’as raconté ces conneries ?
DORA: Ouh Mella, où as-tu mis ton sens de l’humour ?
MELLA: (Même ton) Tu appelles ça de l’humour ? Il ne faut pas blaguer avec ces choses-là.
DORA: Ça va, excuse-moi si j’ai heurté ta sensibilité.
MELLA: (Après un temps) Bon écoute Dora, je n’ai pas du tout envie de les voir : ni lui, ni elle, ni leur môme.
DORA: Mais puisque je te dis que ça leur fait plaisir.
MELLA: Mais à moi, ça ne fait pas plaisir.
DORA: Mella, je te demande un petit effort. Je te jure : on sonne à la porte, on leur fait la bise, et on se barre.
MELLA: Alors là ma vieille, je n’y crois pas du tout. Je doute fort que ce que Sabrina a envie de me dire, tienne dans ce laps de temps. Si je me souviens bien, c’était une sacrée bavarde.
DORA: Ça ne fait rien. D’emblée on leur annonce la couleur : on leur dit qu’on ne peut pas rester plus d’un quart d’heure, car nous sommes attendues ailleurs.
MELLA: Si tu veux y rester si peu de temps, pourquoi tu tiens tellement à y aller ? Surtout si tu lui parles via Facebook.
DORA: Je te répète que c’est lui qui meurt d’envie de nous voir. Tu piges ? Ce n’est pas moi qui ai envie, mais lui, lui.
(Silence)
DORA: Eh, tu as perdu ta langue ?
MELLA: Je réfléchis.
DORA: A quoi, si ce n’est pas indiscret ?
MELLA: A ce que tu m’as dit.
DORA: Ouh ! Je ne savais pas que je pouvais dire des choses qui font réfléchir.
MELLA: Tu viens de me dire que c’est lui qui meurt d’envie de nous voir ?
DORA: Oui.
MELLA: Aujourd’hui ?
DORA: Oui.
MELLA: Alors, pourquoi tout à l’heure, lorsque je t’ai demandé s’il savait que nous venions, tu m’as répondu – je te cite : « Il le saura quand nous serons arrivées. » Moi je t’ai demandé si tu l’avais prévenu et tu m’as répondu – je te cite encore : « L’effet de surprise t’en fais quoi ? (Un temps) Alors, c’est où que tu m’as raconté des bobards ?
DORA: Mella, tu aurais dû être flic. T’es aussi pointilleuse et assommante que Columbo.
MELLA: Je m’en fous. Réponds.
DORA: Ouh là ! A ce stade, je requiers la présence de mon avocat.
MELLA: Réponds
DORA: (Après un temps) Je t’ai déjà dit que lui et moi on se parle via Facebook. Un jour, comme ça, il m’a dit que ça lui ferait plaisir de nous revoir. Voilà, c’est tout. Pas besoin d’en faire tout un flan.
MELLA: C’était quand ça ?
DORA: (Pouffant) J’sais pas… Trois semaines… Un mois…
MELLA: Donc, il ne sait pas qu’on vient aujourd’hui.
DORA: Non… Mais il sait qu’on va venir un jour ou l’autre, puisque je lui ai répondu que moi aussi j’avais envie de le revoir. C’est pour cela que je t’ai dit que, dès que nous serons arrivées, je l’appelle. S’il est là : on sonne, on leur fait la bise, et on s’en va. S’il n’est pas là : on rentre, ou on continue la balade. Voilà, tu es contente ?
MELLA: Et pourquoi ça t’a pris aujourd’hui ?
DORA: A cause de Thelma et Louise.
MELLA: Je ne vois pas le rapport.
DORA: Au début, elles font quoi ? Tu t’en souviens ?... Elles doivent passer le weekend dans la maison du patron de Louise. Si elles n’avaient pas eu toutes ces embrouilles, elles seraient arrivées à bon port.
MELLA: Et pour nous ?
DORA: On a pris la voiture pour aller voir des copains.
MELLA: Et tu veux qu’il nous arrive des poisses ?
DORA: Pas autant qu’à elles.
MELLA: Attends !!! Ça veut dire quoi : « Pas autant qu’à elles » ?
DORA: Bon : elles tuent un mec, elles font un braquage, elles enferment un flic dans le coffre de sa bagnole, elles font exploser un camion et hop, elles foncent dans le précipice. (Pause) Moi je ne veux pas qu’on fasse tout ça, mais un petit peu, ça me plairait bien.
MELLA: Et c’est quoi ton : « Petit peu » ?
DORA: Me mettre à foncer comme une dingue devant une voiture de gendarmes. Ils vont nous poursuivre, et j’accélèrerai un peu plus, histoire de les faire courir eux aussi ; puis, quand je verrai que ça risque de tourner vinaigre, j’arrêterai. Ils vont nous encercler, braquer leurs armes sur nous, nous demander de descendre, ils vont nous plaquer contre la voiture, nous passer les menottes, nous conduire au poste, nous interroger… Enfin, tout le barda, quoi !
MELLA: (Hors d’elle) Tu es folle ?
DORA: Ben quoi !! On s’en tirera avec une grosse amende, plus le retrait du permis. Mieux vaut ça que de plonger dans un précipice, non ? (Pause) Ce sera un Thelma et Louise à la française. Si ça se trouve nous passerons dans le journal. (Pause) Ça met du piquant, non ? Tu me répètes sans arrêt que tu as une vie de merde ; après toutes ces péripéties, t’en auras des choses à raconter.
MELLA: Alors je te réponds que je préfère ma vie telle qu’elle est, que de me retrouver avec des flingues braqués sur moi, menottée et conduite au poste. (Pause) Et j’espère que tout ce que tu viens de me dire, ce n’était pas du sérieux. (Pas de réponse) Hé, t’as perdu ta langue ?
DORA: Je réfléchissais.
MELLA: A quoi ?
DORA: A ce que j’ai dit.
MELLA: Quand ?
DORA: Tout à l’heure.
MELLA: A propos de Thelma et Louise à la Française ?
DORA: Non, ça c’était des bobards. Moi non plus je n’ai pas envie d’être braquée et conduite au poste… Et puis, j’y tiens à mon permis.
MELLA: Alors, à quoi ?
DORA: A Pilou.
MELLA: Quoi, Pilou ?
DORA: (Après un temps) Il habite en Bretagne.
MELLA: Pardon ?
DORA: Oui, oui. Il habite en Bretagne.
MELLA: Bon sang !!! Mais où allons-nous, lors ?
DORA: Je ne sais pas. (Pause) J’ai tellement d’amis que je ne sais plus qui est qui.
MELLA: C’est malin. (Pause) Alors qu’est-ce qu’on fait, on rebrousse chemin ?
DORA: Attends, je veux tout de même voir qui habite à l’autre bout du département ; et pour cela, je dois consulter mon portable ; et pour consulter mon portable, il faut que je me gare sur le bas-côté.
MELLA: Non Dora, pas ici. Il y a une aire de service à trois kilomètres.
DORA: Impossible. Tu sais comment je suis, Mella. J’ai besoin de savoir tout de suite.
MELLA: Je te rappelle que nous roulons sur une autoroute, et que l’arrêt sur le bas-côté est toléré uniquement en cas d’ennui mécanique.
DORA: Bon… Ben… J’ai un ennui, et je m’arrête.
MELLA: Mais ce n’est pas mécanique. Les flics vont rappliquer et te demander pourquoi tu t’es arrêtée.
DORA: Je leur dirai que je dois consulter mon portable. Mieux vaut ça que de le faire en conduisant, non ?
MELLA: Ils vont te dire de rouler jusqu’à l’aire de service
DORA: Et moi je les emmerde. Je ne fais rien de mal. (Elle gare la voiture sur le bas-côté) Voilà, je mets le warning, comme ça je suis tout à fait en règle.
(Silence. Dora consulte son portable, tandis que Mella se ronge les ongles, regarde devant, derrière, à droite et à gauche)
MELLA: Tiens, je vois une voiture de gendarmes. Tu paries qu’elle va s’arrêter ?
DORA: (Tout en consultant son portable) Qu’elle s’arrête, si ça lui chante.
(Nouveau silence. La gendarme s’approche de la voiture)
LA GENDARME: (Faisant le salut à Dora) Bonjour madame, vous avez un problème ?
DORA: (Tout à son portable) Je cherche une adresse.
LA GENDARME: Savez-vous que le stationnement sur la bande d’arrêt d’urgence est réservé exclusivement en cas d’ennui mécanique ? Vous avez une aire de service à trois kilomètres.
DORA: Je le sais. Ma copine me l’a dit, mais je dois trouver cette adresse de tout de suite.
LA GENDARME: Désolée madame, il n’y a pas de tout de suite qui tienne. Il faut que vous bougiez d’ici ; autrement, je vous colle une amende dont vous vous souviendrez.
DORA: (Toujours à son portable) Lâchez-moi la grappe, voulez-vous ? Je suis sur le bas-côté, j’ai mis mon warning, et je ne gêne en rien la circulation.
MELLA: (Gênée. A la gendarme) Excusez la, elle vient d’apprendre que sa mère est tombée gravement malade et elle cherche le numéro de son médecin.
DORA: (A son portable. A Mella) Arrête de dire n’importe quoi. Maman se porte à merveille ; et ce que je cherche, ne regarde que moi.
LA GENDARME: (Perdant patience) Bon, maintenant vous descendez du véhicule, et vous me montrez vos papiers.
DORA: (Toujours à son portable) Va te faire voir.
(La gendarme esquisse le geste de vouloir ouvrir la porte, lorsque son portable se met à sonner. Petit instant d’hésitation. Nouvelle sonnerie. Elle décroche)
LA GENDARME: (Ton sec) Allô ?... Non, pas maintenant je t’en prie, je suis au boulot… Ecoute, nous en avons discuté durant toute la semaine… Je te dis et je te répète que je suis de ser= vice tout le weekend… Bon, tu m’en parleras ce soir ; pour le moment, j’ai du boulot. (Son ton se radoucit quelque peu) Ecoute trésor, l’ai toujours été très claire avec toi. Tu as mon planning de l’année… Je sais que nous sommes bien ensemble, je sais que la Corse c’est beau, mais je n’y peux rien… (Son ton se radoucit encore) Trésor je t’en supplie, pas maintenant, je travaille. (Visiblement elle a l’air très gênée. Elle baisse le ton) Trésor, ne m’excite pas comme ça, je ne suis pas seule… Non, je ne suis pas à la caserne, je suis en mission et… (D’un ton doux, elle va passer à un ton suppliant) Chéri, pourquoi me dis tu des choses pareilles ? Tu sais que je t’aime, mais je ne peux pas faire ce que je veux. (Ton encore plus suppliant) Ecoute bébé, tu ne veux que nous en parlions ce soir ? Nous aurons tout le temps… Maintenant je ne peux vraiment pas. Sois raisonnable. (Le ton suppliant se transforme en ton larmoyant) Amour, amour, ne me dis pas ça, je… Amour, je t’en conjure…
DORA: (Tandis que la gendarme continue au téléphone) Ça y est Mella, j’ai enfin trouvé qui c’est.
MELLA: Qui ?
DORA: Je te le dirai devant un café.
MELLA: Alors on bouge ?
DORA: (Indiquant la gendarme) Si elle veut bien se bouger.
MELLA: T’as qu’à lui faire signe.
DORA: Encore faut-il qu’elle me voie. Elle m’a l’air mal en point : son mec est en train de la plaquer.
(La gendarme a raccroché. Elle a des larmes plein les yeux)
LA GENDARME: Il m’a plaquée. (Sanglot) Ô que je voudrais que la terre s’ouvre sous mes pieds, et m’engloutisse ! (Sanglot) Ma vie aura désormais un goût insipide !! Ô que je voudrais que la Parque l’abrège.
DORA: Ne dites pas cela. Vous êtes jeune et jolie, et la chair n’est pas encore triste pour vous.
LA GENDARME: (Sanglot) Je veux mourir.
DORA: Vous devez vivre. Moi, dix fois plus que vous, j’ai subi ces outrages ; dix fois plus que vous, j’en ai versé des larmes ; et dix fois plus que vous, j’ai appelé la mort. Et pourtant je suis là, vivante et bien vivante. On s’en remet toujours d’un mal d’amour, ma belle. (Pause) Allez, montez avec nous. On a plein de projets ce weekend. On va s’éclater. Lundi vous reviendrez en pleine forme, et heureuse d’avoir été plaquée par un béotien qui ne vous a pas comprise (Pause. Insistant) Allez, montez. A nous la belle vie.
LA GENDARME: Non, je suis en service et je dois vous verbaliser pour stationnement abusif sur la bande d’arrêt d’urgence.
DORA: Ah non, fais pas chier. Je m’en vais là.
LA GENDARME: Trop tard.
DORA: Trop tard ! Trop tard ! Je te ferai remarquer que j’aurais pu me barrer depuis dix bonnes minutes, mais tu es restée plantée devant la bagnole, pendant ton coup de fil.
LA GENDARME: Je suis désolée, je ne peux pas faire à moins.
DORA: Qu’en fais-tu des mots de consolation que j’ai eus pour toi ?
LA GENDARME: Je vous fais grâce de tous les noms d’oiseaux.
DORA: T’es pas sympa. Ton mec t’a plaquée, et qu’est-ce que tu fais ? Au lieu de t’éclater avec nous et l’oublier, tu nous colles une prune, et tu vas retourner dans ta gendarmerie, et tu vas ruminer, et ruminer, et ruminer.
LA GENDARME: (Pleurnichant) Mais zut !! Qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? Vous voyez bien mes collègues là devant ? Ils sont en train de regarder tout ce qui se passe. Que va-t-il arriver si je monte en bagnole avec vous ?
MELLA: Je crois qu’ils ne vont pas être très contents.
DORA: On s’en fiche. Lundi tu reviens, et tu leur expliques tout. Mignonne comme tu es, ils vont passer l’éponge.
LA GENDARME: Oh non, ne croyez pas ça. Si je monte avec vous, je suis foutue. Désertion. Cour martiale. Au mieux, on me vire ; au pire, on me fout au trou pendant quelques années.
DORA: Tu te fais vraiment du mouron pour rien. Monte ! Eclate-toi avec nous, et Lundi tu verras !
(Silence)
LA GENDARME: (Ton décidé) Bon. Je suppose que tu n’es pas Prost au volant ?
DORA: Tu plaisantes ? Je suis plutôt pépère. Moi les pissenlits, je préfère les voir sur le bord de la route, que de les avoir au-dessus de moi. Et puis, avec tous ces radars, et tous ces contrôles que vous nous faites, ce n’est pas facile de le devenir.
LA GENDARME: (Même ton. A Mella.) Bon, toi tu passes derrière. (A Dora) Toi, passe à côté, et file moi le volant. Grouillez-vous, il faut nous tirer fissa !! (En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, les deux femmes se sont exécutées, et la gendarme a pris le volant) Accrochez-vous !! (La voiture démarre en trombe. Quelques instants plus tard, on entend la sirène de la voiture des gendarmes) Dites les filles, vous avez vu Thelma et Louise ?
FIN
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