Veillée funèbre

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PERSONNAGES

ADELE : La veuve

CLAPETTE : Amie de la veuve

TRSITOUNE : Amie de la veuve

BOUDOUILLE: Amie de la veuve

SYNOPSIS : Adèle a perdu son mari. Clapette, Tristoune et Boudouille, viennent la consoler ; mais peu à peu on s’apercevra que la veillée n’est pas si funèbre que ça, et qu’il n’y a que chez Franz Lehár que l’on trouve des veuves joyeuses.

DECOR : Une pièce assez sombre (les volets sont fermés) Les trois femmes sont assises au pied du lit sur lequel repose la dépouille du mari d’Adèle. Une quatrième chaise est vide

ADELE: (Voix de circonstance) Vous êtes sûres qu’elle a dit qu’elle viendrait ?

TRSITOUNE: (Idem. En se mouchant) Oui, elle me l’a dit Adèle.

CLAPETTE: (Idem et idem) A moi aussi… Mais tu sais qu’elle est toujours en retard !

ADELE: Elle fait chier !! (Tristoune et Clapette lui font les gros yeux, et lui indiquent le lit sur lequel repose la dépouille. Adèle hausse les épaules) Et alors ? Il en a sorties de bien pires. Et en ce moment, ce qu’il peut penser de moi, je m’en fiche un peu. (Pause) Je vous disais qu’elle fait chier, car je suis obligée de vous faire attendre, et je suis sûre que vous mourez d’impatience de savoir comment c’est arrivé.

(Les deux femmes acquiescent. Au même instant, on entend frapper très légèrement à la porte. Adèle se lève et va ouvrir. Entre Boudouille)

ADELE: Ah ! Boudouille, tu es là enfin !!

BOUDOUILLE: (Entrant) Ah, mon Adèle, quelle histoire !!! (Elle aperçoit Tristoune et Clapette) Tiens salut Tristoune et salut Clapette. (Elle embrasse Adèle sur les joues) Toutes mes condoléances. (Elle s’assied sur la chaise vide) Je vous disais, quelle histoire !!! Figurez-vous que toutes mes robes noires ne me vont plus. Soit trop larges, soit trop serrées. L’horreur. Il a fallu que je coure chez Josette m’en faire prêter une ; et celle-là, quand elle parle, elle ne s’arrête plus. Et vas-y qu’elle me parle de son frère, et vas-y qu’elle me parle de sa fille, et vas-y qu’elle me parle de son petit-fils, et vas-y qu’elle me parle de sa petite-fille ; et tout ça pour me répéter la même chose qu’avant-hier. Car avant-hier, je l’ai croisée…

TRSITOUNE: (La coupant) Eh, Boudouille, nous ne sommes pas là pour entendre ton histoire, mais celle d’Adèle.

BOUDOUILLE: Tu as raison. (A Adèle, prenant la voix de circonstance) Alors, raconte Adèle. Raconte. Nous sommes toutes ouïes.

ADELE: Donc, figurez-vous qu’hier au soir – comme tous les soirs, d’ailleurs – monsieur s’apprêtait à sortir sans rien dessus, sauf une chemisette et un pantalon ; alors moi, comme tous les soirs, je lui ai dit : « Pau-Paul, tu ne vas pas sortir comme ça. » Et lui, comme d’habitude il m’a répondu en soulevant le coin supérieur gauche de sa lèvre… (Elle imite la posture et l’intonation) « Hé, hé, t’es pas ma mère, hein ? » (Reprenant sa voix) Vous vous souvenez la manière qu’il avait de soulever ce coin gauche de sa lèvre du dessus ? (Nouvelle imitation) « Hé, hé, t’es pas ma mère, hein ? »

TRSITOUNE: (Ton quelque peu enjoué) Oh que oui. Je me rappelle quand nous venions dîner chez toi, et que tu lui demandais de faire moins de bruit en mangeant sa soupe. (Elle l’imite) « Hé, hé, t’es pas ma mère, hein »

BOUDOUILLE: (Même ton quelque peu enjoué) Oh oui. Quand il venait au bistrot et qu’il me commandait un peu trop de pastis, et que je le lui faisais remarquer, il me répondait : (Elle l’imite) « Hé, hé, tu n’es pas ma mère, hein ? » (Tristoune se lève et s’approche du lit) On aurait pu tout de même la lui laisser soulevée.

ADELE: Figure toi que le leur ai demandé, et qu’ils m’ont répondu que ça ne faisait pas sérieux.

TRSITOUNE: Quels pisse vinaigre, ces croque morts ! Ils n’ont aucun humour. Moi je voulais que mon Tristan soit enterré avec son habit de clown, c’est comme si je leur avais demandé de danser la samba au son de la marche funèbre de Chopin.

CLAPETTE: Bon, tout le monde le sait, que les croque morts n’ont pas d’humour. Mais ce qu’on voudrait savoir, c’est la suite de l’histoire.

ADELE: La suite de l’histoire, c’est qu’il est rentré à pas d’heure, comme d’habitude, et à peine il s’est couché, il a commencé à tousser. Une quinte de toux frénétique, qui le secouait dans tous les sens. Vous parlez comme c’était agréable pour moi qui dormais paisiblement lorsqu’il est rentré. Quel supplice. A un moment je lui ai dit : « Mon Pau-Paul, tu devrais prendre du sirop » Et, naturellement il m’a répondu : « Hé, hé, t’es pas ma m… » (Elle laisse le mot en suspens)

CLAPETTE: T’es pas mam ?

ADELE: Il n’a pas eu le temps de finir sa phrase.

BOUDOUILLE: Ah bon ! Et pourquoi ?

TRSITOUNE: Ben, je pense qu’il a dû mourir à ce moment précis ?

ADELE: Et oui.

BOUDOUILLE: Ah. (Pause) Bien sûr, tu as dû appeler le médecin tout de suite.

ADELE: Ah non ! J’ai d’abord profité du silence qui régnait dans la maison. Pensez si c’était agréable. Je suis descendue dans le salon, j’ai mis la 38ème de Mozart et je l’ai dégustée jusqu’au bout. Après, j’ai appelé le médecin. En tout cas, ça n’aurait pas changé grand’chose.

CLAPETTE: Tu as raison. Quand mon pauvre Gilbert est mort j’étais en plein dans un polar de Patricia Highsmith. J’ai fini les deux chapitres qui restaient et puis, j’ai appelé le toubib.

TRSITOUNE: Moi, je n’ai pas pu. Mon pauvre Fred est tombé du toit ; alors, vous pensez si j’ai dû faire vite.

ADELE: Ma pauvre chérie. Ça a dû être un choc pour toi.

BOUDOUILLE: Quelle idée de monter sur un toit à son âge !

TRSITOUNE: C’est-ce que je lui ai dit.

CLAPETTE: Et il ne t’a pas répondu : (Imitant) « Hé, hé, t’es pas ma mère, hein ? »

(Les quatre femmes se mettent à rire)

TRSITOUNE: (Avec un reste de rire) Alors là, s’il avait osé ne serait-ce qu’une fois de me dire une chose pareille, je lui aurais décollé la tête. (A Adèle) Je te plains, ma chérie d’avoir supporté cette cantilène durant toutes ces années.

BOUDOUILLE: Moi je te plains, ma chérie, de l’avoir supporté tout court. Paix à son âme, mais un mari pareil j’en aurais pas voulu pour tout l’or du monde.

CLAPETTE: Je n’ose pas le dire, Adèle, mais plus d’une fois je l’ai pensé si fort qu’on a dû m’en= tendre jusque dans la voie lactée. Surtout, que vous étiez aussi mal assortis qu’un tutu sur un catcheur.

ADELE: Ça se voyait à ce point ?

CLAPETTE: Comme le nez au milieu de la figure !!

BOUDOUILLE: Comme la poutre dans l’œil du voisin !!!

TRISTOUNE: Comme un chien dans un jeu de quilles !

ADELE: (Se tournant vers le lit) Tu vois, je te l’ai dit, Pau-Paul que nous n’étions pas faits l’un pour l’autre. Mais toi tu t’obstinais comme une bourrique à prétendre le contraire. (Pause. Levant les yeux au ciel) Ah, le beau gâchis. Je t’ai donné trente ans de ma vie. Pourquoi ? Pour m’entendre dire sans arrêt : (L’imitant) « Hé, hé, tu n’es pas ma mère, hein ? »

(Cela provoque l’hilarité des trois autres ; tandis qu’Adèle éclate en sanglots. Elles se rapprochent d’elle)

BOUDOUILLE: Ne pleure pas. Tu es encore belle et désirable. Je crois savoir que Francis en pince pour toi.

TRISTOUNE: Pas que lui. Hervé aussi n’arrête pas de faire des plans sur toi.

CLAPETTE: Et Olivier ? Vous l’oubliez, lui. Comme il nous parle de toi à chaque fois !!!

BOUDOUILLE: Alors, tu vois ?

ADELE: (Remontée) Ah non ! Plus question de me laisser avoir !!! Je ne veux plus me coltiner un empoté, incapable de se préparer un plat de nouilles, incapable de laver deux assiettes et deux couverts, incapable de faire une machine à laver, incapable de repasser une chemise et un pantalon, incapable de passer l’aspirateur, incapable de changer une ampoule électrique. (Indiquant le lit) Avec lui, j’ai assez donné. Alors, les Francis, les Hervé, les Olivier, qu’ils aillent se faire voir ailleurs. (Pause) Moi je vous le dis, mes amies : vivement qu’on l’ait mis sous terre, lui, et que je recommence une nouvelle vie de femme libre !!!

LES TROIS AUTRES: Ouais ! Tu as raison !!!

BOUDOUILLE: Moi, après la cérémonie, je nous propose une belle croisière autour du monde !!

LES TROIS AUTRES: Vendu !!!

FIN

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