Chapitre 7

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Anton

            Je ne peux pas revenir en arrière, donc cet après-midi, nous prenons la voiture pour faire quelques achats. Je me réjouis de te voir contente. Je vois que tu veux t’en sortir, ça me fait plaisir. Puisque nous avons une demi-heure de route à faire, je me décide à aborder notre deuxième rencontre avec toi.   

            - Je me souviens très bien. J’étais complètement paniquée et terriblement gênée. Je ne savais pas ce que je pourrais te raconter, me confies-tu.

            - Tu t’en es très bien sorti, pourtant. Je n’avais jamais rencontré quelqu’un d’aussi intéressant de toute ma vie.

            - Tu le penses vraiment ?

            - Oui. Tu le sais très bien, Jacinthe.


Jacinthe

            Tes mots me font du bien, me rassurent et m’apaisent. J’ai toujours eu la peur, ancrée au fond de moi, que tu cesses de m’aimer. Je pense que mon cœur a commencé à battre pour toi dès notre deuxième rencontre. Je ne me le serais jamais avoué à ce moment-là, mais j’y crois sincèrement. Tu m’as séduite subrepticement. J’avais peur de tomber sur un séducteur, un don Juan. Aussi, en me préparant pour notre rendez-vous à la librairie, j’ai plusieurs fois failli renoncer. Qui sait ce que je serais devenue si je m’étais écoutée ? Je ne serais sans doute plus en vie aujourd’hui. J’étais complètement perdue avant de te rencontrer. Par moments, je le suis encore, mais ton amour me donne envie de me battre. Du moins, d’essayer. Jusqu’au mois dernier. Je chasse rapidement cette pensée pour me concentrer sur notre premier rendez-vous, si l’on peut le considérer comme tel.

                                                           *****

            Lorsque je suis arrivée à la librairie, tu étais déjà là. J’avais dévoré La nuit des temps et tu m’as rapidement avoué que tu en avais fait de même pour La symphonie pastorale. Bizarrement, je me sentais plutôt à l’aise avec toi, alors que j’étais un loup solitaire et qu’en dehors du boulot (que j’avais perdu une semaine plus tôt), je ne parlais qu’à très peu de gens. On s’est fait quelques autres suggestions de romans à lire, puis tu m’as proposé d’aller prendre un café.

            - Je ne bois pas de café, mais je prendrai bien un thé.

            Je me sentais comme hors de mon corps : j’étais tout à coup devenue volubile et j’acceptais de prendre un café avec un quasi-inconnu, ce qui ne me ressemblait pas. Alors après avoir acheté les livres,  nous nous sommes installés sur la terrasse du café d’en face et nous avons commandé nos boissons.

            - On pourrait peut-être se tutoyer, non ? m’as-tu demandé avec assurance.

            - Oh… oui, oui… bien sûr, ai-je bafouillé pour toute réponse.

            - Très bien. Tu as d’autres passions que la lecture ?

            - Pas vraiment. Les livres, c’est toute ma vie. Je ne serais pas la même sans eux. Et vous ? Enfin, toi.

            Après un petit rire, tu m’as répondu :

            - J’adore la musique. Tous les genres me plaisent. Je ne joue pas d’instrument, à mon grand regret.

            - Pourquoi ?

            - Je ne prends pas le temps, tout simplement. Je travaille toute la journée, je lis un peu quand je rentre chez moi, voilà toute ma vie.

            - Tu travailles dans quoi ?

            - Je suis publicitaire.

            - Et tu es heureux ?

            La question s’est frayé un chemin de mes cordes vocales jusqu’à l’air libre sans que je ne m’en rende compte. Mon cerveau semblait avoir disjoncté. Il ne pouvait vraisemblablement pas avoir donné son accord pour que je la pose.

 

            Je t’ai vu hésiter pendant plusieurs secondes, qui m’ont paru des heures. Je croyais t’avoir vexé ou avoir fait de moi une folle

            - Je ne crois pas l’être pleinement, et toi ?

            - Moi non plus.

            Pas la peine d’en dire plus. Je ne voulais pas que tu voies ma tristesse, mes accès de colère, ma lourde dépression, si cela en était une. Après tout, les hommes n’étaient séduits que par les femmes épanouies et sûres d’elles, non ? Il est vrai que, sans me l’avouer, je voulais te plaire.   

            - Pourquoi, si ce n’est pas indiscret ?

            Ta question a soulevé des tremblements dans mon corps. À l’intérieur, des milliers de cellules se sont activées pour tenter de trouver une réponse acceptable. La discussion devenait trop intime, mais c’était de ma faute et je me maudissais de t’avoir demandé si tu étais heureux. Ma réponse s’est pourtant révélée aussi intime qu’honnête.

            - Je ne me sens pas à ma place dans ce monde.

              Tes yeux si profonds sondaient les miens. J’y voyais deux saphirs précieux là ou tout autre être humain n’y aurait vu que de simples iris. Ton regard me gênait, me donnant l’impression que tu pouvais lire mes émotions dans le mien. Quand des saphirs rencontrent des émeraudes, qu’est-ce ça donne ? Pour moi, un sentiment ambivalent. L’inconfort versus la possibilité d’être moi-même. Alors que je te connaissais à peine, je comprenais que tu ne jugeais personne, que tu cherchais simplement à comprendre les gens. En l’occurrence, à ce moment précis, moi.  

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