Chapitre 11

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Anton

            - Un chocolat chaud, ça te dit ?

            Je tente de te consoler, d’apporter de la douceur dans ce moment difficile.

            - Oui, merci, me réponds-tu avec un petit sourire.

            Tes yeux ne sont pas très expressifs, pour une fois. Je ne saurais dire si tu es triste, en colère ou réellement calme. Tu pars dans la chambre pendant que je nous prépare un petit en-cas. Tu en ressors changée en pyjama et enroulée dans une couverture rose pâle.

            - Nous sommes dans le rose, aujourd’hui ! dis-je pour détendre l’atmosphère.

            - C’est ma couleur préférée, elle me détend.

            - Je sais. Tiens, ton chocolat et un macaron pour l’accompagner.

            - Je suis désolée, Anton.

            - Désolée de quoi ?

            - D’avoir fait une crise.

            - Je te l’ai dit, Jacinthe, ce n’est pas de ta faute. On ne contrôle pas toujours bien nos réactions. Tu as paniqué, ce n’est pas grave.

            - J’ai vraiment cru que j’allais mourir, tu sais.

            - C’était un mauvais moment. On en parlera au médecin quand on le verra.

            - Tu crois que ça va recommencer ?

            - On ne peut pas prévoir. Ça peut arriver à nouveau, c’est possible et il vaut mieux que tu le saches.

            - Je suis épuisée. J’ai l’impression d’avoir couru un marathon.

            - Ton corps a certainement utilisé beaucoup d’énergie. Viens dans mes bras. On peut regarder un film, si tu veux. Il faut que tu te reposes. Tu es sortie de l’hôpital hier, ça fait peu de temps. C’est normal que tu sois fatiguée.

            Mon téléphone sonne. Avant de décrocher, je regarde le numéro.

            - C’est ma mère. Choisis le film que tu veux, je te rejoins.

            Je m’éloigne pour lui parler.

            - Bonjour maman.

            - Anton ! Je suis contente de t’entendre. Je n’arrive pas à avoir de nouvelles.  J’espère que tu n’es pas occupé ; la dernière fois que je t’ai eu au téléphone, notre conversation n’a duré que deux minutes !

            - Je suis désolé, maman. J’étais occupé, la dernière fois.

            - Tu ne l’es pas, là ?

            - Non, j’allais simplement regarder un film avec Jacinthe.

            - Très bien. Elle va bien ?

            - Oui, ça va.

            - Elle n’a toujours pas de travail ?

            - Non.

            Ma mère dans toute sa splendeur. Les gens ont la valeur de leur boulot, rien de plus. Elle t’a toujours considérée comme étant inférieure à moi parce que tu n’avais pas mon «statut».

            - J’aimerais vous inviter à déjeuner demain midi, tous les deux. Il y a un moment que l’on ne s’est pas vu. Depuis que Jacinthe a fait cette fausse couche, à vrai dire. J’espère qu’elle retombera enceinte très vite.

            - Ce n’est pas au programme pour l’instant, maman. Je préférerais que tu passes à la maison, si ça ne te fait rien.

            - Ah… Étant donné que tu es une tête de mule, je suppose que je n’ai pas le choix, fait-elle d’un ton dédaigneux.

            - Pas vraiment, non, dis-je d’un ton assuré.

            La fin de l’échange est assez abrupte, même si j’ai évidemment droit au sempiternel «mon chéri». Ma mère pense se racheter de cette façon. Elle pense convaincre, mettre les gens dans sa poche. Ce n’est pas une avocate très tendre et elle n’est pas beaucoup plus douce dans sa vie personnelle. Aborder la perte du bébé est un peu sa manière de tenter de me persuader que tu es incapable d’être mère. Pourtant, elle souhaite par-dessus tout devenir grand-mère. Probablement pour faire perdurer notre nom de famille. Puisqu’elle sait que je ne te quitterai jamais, elle s’est résignée à ce que ce soit toi qui lui donnes des petits-enfants, même si ça ne l’enchante pas.


Jacinthe

            Tu es de retour dans le salon. Tu m’annonces que ta mère passera nous voir demain, mais cela n’a pas l’air de te faire plaisir. Ton regard se perd dans le vide, tu sembles presque tendu.

            - Anton, ça ne va pas ?

            - Si, si, ça va, mais…

            Je n’aime pas lorsque quelqu’un hésite à dire les choses devant moi. Cela veut souvent dire que ça va faire mal.

            - Je n’ai pas parlé à ma mère de ta tentative de suicide.

            - Quoi ? Pourquoi ?

            - J’avais peur.

            - Peur de quoi ? Qu’elle le prenne mal ? Tu avais trop honte ?

            - Non, je n’ai pas honte, Jacinthe.

            - Je ne comprends pas. Tu n’as pas pu lui cacher ça, c’est impossible. Elle ne t’a pas appelé pendant que j’étais à l’hôpital ?

            - Si, bien sûr, mais je ne lui ai pas dit. J’ai prétexté avoir trop de travail pour la voir.

            Je suis abasourdie. Comment as-tu pu ne pas lui dire ?

            - Jacinthe, ne le prends pas mal.

            - Bien sûr que je le prends mal ! C’est comme si tu te rangeais de son côté ! Tu caches mes problèmes, comme elle l’a toujours fait. Comme si c’était mal, tabou, malsain. Comme si je n’étais pas digne de toi !

            La colère surgit telle une lionne qui protège ses petits. Je dois assurer ma défense. Des larmes de rage coulent sur mon visage.

            - Jacinthe, je n’ai pas honte de toi, je n’aurai jamais honte de toi. Je ne savais pas comment lui dire. J’avais peur de ses mots, du venin qu’elle cracherait sur toi.

            - Tu l’as peut-être empêchée de le cracher, mais c’est encore pire maintenant ! C’est comme si toi, tu avais craché du venin sur moi.

            Je ne contrôle plus rien. Les disputes sont rares entre nous et elles me font terriblement souffrir. Je m’en veux de ne pas être à la hauteur. Tu mérites une femme plus forte et plus heureuse. Mes pensées m’entraînent vers la chambre, un refuge où mon dégoût envers moi-même peut s’exprimer autant qu’il le veut. Je claque la porte et m’enferme, sachant que le sang coulera une fois de plus, se mêlant à mes larmes.  

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